EN 1998, LA LOI Huriet-Serusclat sur la recherche biomédicale avait placé la France dans le peloton de tête des pays européens, notamment en matière de protection des personnes. A telle enseigne que cette mesure législative avait servi d'inspiration, sinon de modèle, aux dispositifs en matière d'essais cliniques chez un certain nombre de nos voisins européens.
En 2001, une directive européenne sur les essais cliniques de médicaments est venue bouleverser la donne.
Aux termes de cette directive, qui vise à harmoniser les législations européennes en la matière, et que chaque pays membre de l'Union est tenu de transposer en droit national, la France doit modifier la loi Huriet-Sérusclat. Une opération délicate qu'on est en train de faire au moyen de la loi de santé publique, déjà discutée en première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat, et qui doit repasser à partir du 8 avril en deuxième lecture au Palais-Bourbon. Selon tous les acteurs concernés par la transposition en droit français, les modifications induites par la directive européenne ne sont pas énormes, car la directive s'inspire elle-même pour partie de la loi française de 1988. Cependant, elle induit un certain nombre de modifications ou d'adaptations, et ouvre une large concurrence entre les Etats membres en ce qui concerne leur attractivité en matière d'essais cliniques.
La « balance bénéfice-risque ».
Tout d'abord, la directive européenne supprime la distinction faite par la loi française entre la recherche avec bénéfice individuel direct (BID) pour la personne qui se prête aux essais et la recherche sans bénéfice individuel direct (Sbid), qui étaient jusqu'à présent deux régimes séparés. La directive européenne ne parle que de l'évaluation de la « balance bénéfice-risque » pour le volontaire. Cette modification n'est pas pour déplaire à l'industrie pharmaceutique française qui estime que le distinguo complique son travail, notamment dans les protocoles internationaux où la France était le seul pays à l'appliquer.
De plus, la loi de 1988 permettait un démarrage des essais cliniques avec le seul aval du Comité de protection des personnes pour la recherche biomédicale (Cpprb, appellation française du comité d'éthique prévu par la directive européenne) : l'Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) n'exigeait alors, à ce niveau, qu'une simple déclaration de démarrage des essais envisagés.
« Ca, c'est fini, explique-t-on au Leem (ex-Syndicat national de l'industrie pharmaceutique), et ça complique sérieusement les choses, car il faudra désormais envoyer deux dossiers, l'un au comité de protection des personnes, et l'autre à l'Afssaps. Et il faudra que ces deux entités se synchronisent entre elles pour ne pas émettre des avis totalement divergents, ce qui pourrait entraîner des allongements de délai insupportables ». D'autant qu'en France ces deux entités n'ont aucun lien juridique, alors que dans certains pays, comme la Hollande, elles ne font qu'une.
Enfin, la directive prévoit un délai maximal de 60 jours entre le dépôt d'une demande d'essai clinique et la réponse (qu'elle soit positive ou négative) de l'Afssaps et du CPP, à charge pour chaque Etat-membre de fixer, à l'intérieur de ce cadre, ses propres délais. Et c'est là que le bât blesse pour l'industrie pharmaceutique française ; elle regrette amèrement que, en l'état d'avancement du projet de loi sur la Santé publique, le texte se contente d'indiquer que « le comité se prononce par avis motivé dans un délai fixé par voie réglementaire ». Au Leem, on fait valoir que certains pays ont déjà fixé par voie législative ou réglementaire des délais bien plus courts (voir tableau ci-contre), et on justifie cette stratégie de délais comprimés : « Dans le développement d'un nouveau médicament, en raison notamment des questions relatives à la protection des brevets, plus tôt vous mettez votre médicament sur le marché, plus longue est votre couverture de brevet ; l'exercice que fait toute l'industrie pharmaceutique, c'est de comprimer au maximum les délais de développement. »
D'ailleurs, il convient de noter qu'un pays comme l'Allemagne a mis au point une stratégie qui semble de nature à combiner les intérêts de la recherche clinique et ceux des volontaires qui s'y prêtent : pour une nouvelle étude de phase I, le délai sera de 30 jours, mais quand il s'agira d'une deuxième ou troisième étude de phase I avec le même dossier et seulement un protocole différent, le délai passera à 15 jours.
Le retard français.
Quoi qu'il en soit, il est certain que le législateur français est en train de prendre du retard par rapport aux autres pays européens en la matière : la loi de santé publique ne repasse à l'Assemblée qu'à partir du 8 avril prochain, et ne sera adoptée définitivement que si la Chambre basse ne procède à aucune modification par rapport à la version votée par le Sénat. Faute de quoi, la navette parlementaire se poursuivra entre les deux assemblées. A moins que le gouvernement ne décide de gagner un peu de temps en la faisant passer devant une commission mixte paritaire, commission chargée en gros de faire la synthèse entre les modifications et amendements voulus par les deux assemblées. Et il faudra encore attendre la parution des décrets d'application, chargés par le législateur de fixer ces fameux délais sur lesquels se focalise l'industrie pharmaceutique.
Au Leem, on est plutôt pessimiste quant à la date de parution des décrets (à titre d'exemple, les décrets d'application sur le partage des données entre les Urcam et la Cnam ont mis dix ans à être publiés), et la loi étant théoriquement applicable dès le mois de mai prochain, on redoute que seuls les délais maximaux prévus par la directive européenne ne soient opposables, avec le risque de perte d'attractivité que cela pourrait entraîner pour les essais cliniques en France.
Avec des conséquences économiques évidentes et peut-être même le départ de certains centres de recherche vers des cieux plus propices.
A l'Afssaps, on est conscient des contraintes de l'industrie pharmaceutique, et Chantal Belorgey, chef du département de l'évaluation des médicaments à statut particulier et des essais cliniques, se veut rassurante : « Nous sommes conscients des craintes exprimées par l'industrie pharmaceutique, mais il faut savoir que les textes français n'indiqueront que des délais maximaux ».
En clair, si le texte prévoit 30 jours, rien n'empêche que l'avis de l'Afssaps et du CPP ne soit rendu dans un délai plus court. Chantal Belorgey reconnaît cependant qu'il est « important pour la suite de garder les essais de phase I en France » et qu'il pourrait y avoir « un souci » si ces délais étaient supérieurs à 30 jours. Mais dans l'attente des décrets français qui fixeront les délais, nos voisins européens, pour la plupart, ont déjà bouclé leur transposition : en Italie, en Belgique, en Angleterre et en Espagne, la transposition est déjà effective. Quant à l'Allemagne et aux Pays-Bas, ce sera chose faite au 1er mai prochain.
Les délais de démarrage des essais
- Pays-Bas : entre 10 et 15 jours.
- Belgique : 15 jours.
- Angleterre : entre 14 et 21 jours.
- Allemagne : 30 jours pour la première étude, 14 pour les suivantes.
- Espagne : entre 55 et 60 jours.
- Italie : maximum 60 jours.
- Norvège : maximum 60 jours.
- Suède : Maximum 60 jours.
- Danemark : maximum 60 jours.
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