LE 3 NOVEMBRE 1967, le grand public entendait parler pour la première fois de transplantation cardiaque. Ce jour-là, au Cap, en Afrique du Sud, un jeune chirurgien, Christiaan Barnard, procédait pour le première fois à une greffe cardiaque humaine qui avait permis au receveur de rester en vie. Un insuffisant cardiaque de 53 ans, Louis Washkansky, a reçu le coeur d'une jeune femme de 25 ans décédée dans un accident de voiture. Elle avait été maintenue en vie de façon artificielle une fois l'état de mort cérébrale déclaré ; le prélèvement avait eu lieu à coeur battant. Il s'agissait d'un des premiers cas où la définition de la mort encéphalique établie en 1959 était prise en compte. Le patient a survécu 18 jours, une pneumopathie bilatérale ayant entraîné son décès.
Palier technique.
Un mois après, le Dr Norman Shumway (Stanford) procédait à une première transplantation aux Etats-Unis. Puis, le Pr Christian Cabrol réalisait, en compagnie du Dr Gérard Guiraudon, la première greffe cardiaque européenne, le 28 avril 1968.
Le Pr Iradj Gandjbakhch (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) explique au « Quotidien » que «même si dans le petit monde de la chirurgie cardiaque cette première mondiale était attendue, il s'agissait véritablement d'un événement. Un palier technique avait été franchi et une ère nouvelle s'ouvrait. Mais, rapidement, la question du devenir des patients s'est posée de façon aiguë. En 1968, une centaine de greffes ont été effectuées et plus de 90% des malades étaient décédés dans les semaines, voire les jours, suivant l'intervention».
Après l'engouement initial, le nombre des transplantations effectuées chaque année a nettement baissé et s'est stabilisé. Seules les équipes de la Pitié, à Paris, et de Stanford ont conservé une activité significative. Le Pr Gandjbakhch explique que «le taux de survie a un an s'établissait à 15% des patients avec toutefois des exceptions notables –comme celle d'Emmanuel Vitria. A l'époque, il était impossible de prédire le devenir des patients et nous en étions très frustrés».
Palier pharmacologique.
L'arrivée de la ciclosporine en 1981 a modifié totalement l'approche de la transplantation cardiaque. «L'amélioration des techniques pharmacologiques d'immunosupression et un meilleur suivi histopathologique des greffons a contribué à généralisation des techniques de greffe», poursuit le Pr Gandjbakhch. Aujourd'hui, les protocoles d'immunosuppression ont encore été améliorés avec la mise sur le marche de nouvelles molécules telles que le mycophénolate mofétil, l'évérolimus et le sirolimus.
Palier technique.
«Le dernier facteur qui a modifié notre pratique est l'apparition de l'assistance circulatoire. Depuis 1986, la gestion de l'attente de greffe est facilitée par l'arrivée de ce matériel. A l'hôpital de la Pitié, par exemple, où, en 2006, 82transplantations ont été réalisées, nous avons fait bénéficier d'assistance circulatoire 140patients pendant une période allant jusqu'à un an», analyse le Pr Gandjbakhch. Aux Etats-Unis, actuellement, certains patients peuvent vivre jusqu'à trois ans grâce à des appareils de ce type qui sont désormais miniaturisés.
Quel est l'avenir de la transplantation cardiaque ? Aux Etats-Unis, en 2006, 2 000 personnes étaient en attente de greffe et en moyenne 87 % d'entre elles pouvaient bénéficier de l'intervention dans les douze mois. La survie moyenne du greffon est actuellement de plus de dix ans. Si le nombre de candidats augmente encore régulièrement, la prophétie du Dr Shumway pourrait prendre toute sa valeur, «les xénogreffes sont l'avenir de la transplantation… et elles le seront toujours».
Christiaan Barnard, une vie médiatisée
Fils d'un pasteur afrikaner, Christiaan Barnard est né le 8 novembre 1922. L'histoire raconte que sa vocation médicale est venue à la suite du décès à l'âge de 5 ans de son petit frère en raison d'une maladie cardiaque. Après avoir exercé la médecine générale entre 1946 et 1951, au Cap, il s'est orienté vers la chirurgie. En 1956, grâce à une bourse, il a pu devenir l'élève d'un chirurgien américain, le Pr Wangensteen. De retour en Afrique du Sud en 1958, il travaille conjointement en chirurgie, où il a procédé à une première transplantation rénale, en 1959, et dans un département de recherches animales. Il devient chef du service de chirurgie cardio-thoracique en 1961. Au total, entre 1967 et 1973, le chirurgien sud-africain a procédé à dix transplantations cardiaques orthotopiques (quatre patients ont vécu plus d'une année) avant de choisir de réaliser une technique hétérotopique qu'il a appliquée à 49 patients entre 1975 et 1984, date à laquelle il a pris sa retraite hospitalière en raison d'une polyarthrite rhumatoïde. Qualifié de chirurgien « opportuniste » et sachant parfaitement utiliser les médias, il est devenu plus célèbre pour sa vie publique que pour son travail de recherche.
Au moment de sa retraite, il a choisi de rester vivre en Afrique du Sud et de s'impliquer en politique au côté de son frère militant antiapartheid. Il s'est aussi consacré à la recherche antivieillissement, avant de mourir en septembre 2001, à Chypre, d'une crise d'asthme. Dans sa biographie, il estimait qu'il n'avait jamais eu le prix Nobel en raison de sa qualité de Blanc vivant en Afrique du Sud dans les années d'apartheid.
Norman Shumway, le pionnier de l'ombre
Considéré comme le père de la transplantation cardiaque, Norman Shumway avait le premier annoncé au milieu de l'année 1967 que son équipe était prête pour la première transplantation cardiaque. Les techniques chirurgicales avaient été mises au point dans son unité de Stanford et les travaux préliminaires confirmaient la faisabilité de son approche. Il ne lui manquait plus qu'un donneur et un receveur.
Il lui a fallu attendre le début de l'année 1968 pour que la conjonction d'événements lui permette de réaliser sa première transplantation. Son implication dans le domaine de la greffe ne s'est jamais démentie, et il a continué à améliorer les techniques chirurgicales (conservation du greffon en ischémie froide, première greffe coeur-poumon), médicamenteuses (prévention des infections opportunistes) et mécaniques jusqu'à la fin de sa vie en 2006.
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