IL N’EST qu’un petit garçon de 12 ans lorsque, pour la première fois, il assiste à la cérémonie de remise des prix Nobel à Stockholm (Suède). Nous sommes en 1959, son père, Arthur Kornberg, médecin et biochimiste, spécialiste des maladies métaboliques, reçoit le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur la synthèse de l’ADN. Des trois fils d’Arthur, deux suivront ses traces : Roger, aujourd’hui professeur de biologie structurale à Stanford (Etats-Unis), et Thomas, devenu professeur de biochimie et de biophysique à l’université de Californie ; le troisième, architecte, s’est tout de même spécialisé dans la conception de laboratoires.
Trente-trois ans plus tard, c’est donc, Roger, l’aîné, qui s’apprête à recevoir le 10 décembre prochain, à 59 ans, le prestigieux prix, mais cette fois en chimie. Il offre aussi à Stanford son deuxième prix Nobel de la semaine, après celui décerné en médecine à Andrew Fire. Arthur Kornberg affirme que lorsque Roger a commencé sa carrière de biochimiste – c’est aussi celle qu’avait choisie sa femme Sylvie, décédée en 1986 et qui fut sa collaboratrice –, il ne s’imaginait pas que son fils serait le deuxième lauréat de la famille. «La nature est si immense,profonde et mystérieuse qu’on ne sait où elle peut nous mener. Mais je dois dire que de toutes les personnes que je connais –et j’ai enseigné à des centaines d’étudiants–, c’est lui qui avait la vision la plus claire et était le plus déterminé.» Mais pour le doyen de l’école de médecine de Stanford, Philip Pizzo, le père n’est pas étranger à la réussite du fils, tant il a «contribué à transformer l’école de médecine de Stanford en un formidable centre de recherches intensives».
Avec Francis Crick à Cambridge.
Après des études de chimie à Harvard et à Stanford, Roger Kornberg poursuit ses études postdoctorales à Cambridge, où il rejoint Francis Crick, prix Nobel de 1962, découvreur de la double hélice. Ses travaux portent alors sur la structure de la chromatine et le conduisent à décrire les histones (H3 et H4) avec leurs unités de base, les nucléosomes. De retour à Stanford, il n’aura de cesse de comprendre le processus de la transcription chez les eucaryotes. L’élucidation du mécanisme chez la bactérie avait valu le prix Nobel de médecine 1962 à Jacques Monod, André Lwoff et François Jacob, qui avaient montré en particulier le rôle du facteur sigma nécessaire au fonctionnement de l’ARN polymérase, l’enzyme de la transcription. Pendant longtemps, on a cru que ce mécanisme mis en évidence chez la bactérie était identique chez les eucaryotes.
Chez ces derniers, il existe trois types d’ARN polymérase : le type I qui transcrit les ARN ribosomiques, le type II qui transcrit les ARN messagers et le type III pour les ARN de transfert. Le fonctionnement de l’ARN polymérase II s’est révélé beaucoup plus complexe que celui de la bactérie. Des travaux avaient déjà montré que cinq facteurs généraux (au lieu du seul facteur sigma) étaient nécessaires pour que la transcription débute. Mais cela ne suffisait pas à expliquer comment, à partir de la même information, certains gènes s’expriment dans le sang, d’autres dans le foie, etc.
C’est précisément la question à laquelle permettent de répondre les travaux du nouveau lauréat. Pour cela, il lui aura fallu beaucoup de ténacité et de patience. Avant d’avoir un modèle de cellules eucaryotes plus simples que les cellules de mammifères, le chercheur a utilisé de la levure de boulanger. Dix ans seront nécessaires pour obtenir la purification de l’ARN polymérase de la levure et mettre au point le modèle. «Beaucoup auraient abandonné bien plus tôt», souligne le jury de l’Académie royale de sciences de Suède. Grâce à la levure, Kornberg met en évidence un autre facteur, le médiateur, qui sert à activer la transcription de certains gènes spécifiques à certains tissus.
Un instantané de la vie.
La découverte était importante mais le chercheur n’en reste pas là. La percée décisive arrive en 2001 lorsqu’il parvient à obtenir un instantané de l’ARN polymérase II en plein processus de transcription. «On peut y voir le brin d’ARN en train de se construire, avec la position exacte de l’enzyme, celle de l’ADN et celle du brin d’ARN.» La méthode utilisée – la cristallographie par rayon X – n’est pas nouvelle. Mais ce qui est particulier, c’est qu’une «profonde connaissance des mécanismes biochimiques sous-jacents a permis au chercheur de maîtriser le processus qu’il cherchait à dépeindre».
Cette maîtrise a été décisive parce que la chimie traditionnelle est dans ce contexte impuissante car les changements chimiques sont minimes et qu’il est nécessaire «de voir presque physiquement les molécules et leurs positions à différents stades du processus si on veut comprendre» le mécanisme intime de la transcription. Presque «un instantané de la vie», affirme l’Académie. Il s’agit d’un des mécanismes les plus fondamentaux de la biologie moléculaire, «indispensable à toute vie». Des anomalies dans le processus sont impliquées dans un grand nombre de pathologies comme le cancer, les maladies cardiaques, les maladies métaboliques et inflammatoires. De même, il est directement impliqué dans la capacité des cellules souches à se différencier en différents types cellulaires avec des fonctions. Les perspectives thérapeutiques, on le voit, sont immenses.
Sept hommes et une femme
Depuis la création du prix Nobel en 1901, Roger Kornberg est le septième fils à avoir imité son père. Parmi eux figurent Aage Niels Bohr, prix de physique en 1975, après son père Niels Henri David Bohr en 1922, ou Ulf von Euler, prix de médecine en 1970 alors que son père Hans von Euler-Chelpin l’avait obtenu en 1929 en chimie. Mais c’est une femme qui inaugure cette transmission filiale avec Irène Joliot-Curie (prix de chimie en 1935 avec son mari Frédéric Joliot) qui succède à sa mère, Marie Curie, deux fois nobélisée en 1903, en physique avec Pierre Curie, son époux, et Antoine-Henri Becquerel, et en 1911, en chimie.
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