PAR LE Dr LAURENT KODJIKIAN*
LA TOXOPLASMOSE est une maladie infectieuse congénitale ou acquise. Il est bien connu maintenant, notamment des femmes en âge de procréer, que la maladie peut se transmettre, soit par l’ingestion de viande (mal cuite ou crue), de légumes ou de fruits (souillés, mal lavés), soit, théoriquement, par l’inhalation d’oocystes provenant de la litière du chat, par exemple. Néanmoins, de nouveaux modes de contamination sont apparus : par l’eau, par des oeufs ou du lait contaminés, par transplantation d’organe, par transfusion sanguine ou par inoculation accidentelle de tachyzoïtes au niveau conjonctival (« maladie professionnelle » des personnels de laboratoire médical). Les cas de transmission par eau souillée non traitée ou non filtrée ont donné lieu chaque fois à de petites épidémies de primo-infection symptomatique. Ce problème semble être une particularité du continent américain, les critères de traitement ou de filtration de l’eau étant plus strictes en Europe. Enfin, il existe une dernière voie de transmission : la voie transplacentaire, responsable de la toxoplasmose congénitale en cas de primo-infection de la mère. Il est important de savoir qu’une primo-infection ayant eu lieu plusieurs mois avant le début de la grossesse reste potentiellement à risque de transmission foetale et doit donc faire retarder une procréation de plusieurs mois. De même, de très rares cas de transmission congénitale ont eu lieu chez des femmes préalablement séropositives pour la toxoplasmose, ce qui remet en cause le principe même de l’absence de risque de transmission transplacentaire pour les femmes antérieurement infectées.
Une cohorte de 430 enfants à Lyon.
Le service d’ophtalmologie et de parasitologie du CHU de la Croix-Rousse à Lyon suit la plus grande cohorte mondiale d’enfants atteints de toxoplasmose congénitale (430 enfants en 2005). Notre taux global de transmission de la toxoplasmose à partir d’une femme présentant une primo-infection au cours de sa grossesse et traitée est de 30 % (485 enfants parmi 1 625 séroconversions sur une période de vingt-six ans). Ensuite, à partir de la cohorte prospective de 327 enfants atteints de toxoplasmose congénitale, traités en majorité pendant la grossesse et durant la première année de vie et suivis pendant quatorze ans (médiane de huit ans), nous avons seulement noté 79 rétinochoroïdites, soit une incidence de 24 % (figure 1). Des récidives sont apparues dans 29 % des cas. Il est utile pour un meilleur suivi de nos patients de savoir que les pics d’apparition de ces rétinochoroïdites se situent entre la naissance et 1 an, et entre 7 et 8 ans. Un troisième pic semble être présent au moment de la puberté, mais reste à confirmer par un suivi encore plus prolongé de notre cohorte. Enfin, du point de vue fonctionnel, nos données sont très rassurantes : 69 % des enfants présentent une acuité visuelle normale et aucun n’a de baisse d’acuité bilatérale.
Le diagnostic de certitude ne doit pas retarder la mise en route du traitement si celui-ci est urgent, surtout si la présomption de toxoplasmose oculaire est forte. La sérologie est quasi inutile puisqu’elle ne peut ni affirmer une toxoplasmose oculaire ni l’infirmer, les faux négatifs étant possibles. Seule l’analyse de l’humeur aqueuse a une valeur, avec calcul du coefficient de charge immunitaire (coefficient de Witmer- Desmonts, considéré comme positif au-delà de 3) et réalisation d’un western blot (immuno-blot) dans certains laboratoires à la recherche d’une synthèse intraoculaire d’anticorps spécifiques. L’amplification génique à la recherche du génome toxoplasmique par PCR ne semble indiquée que chez les immunodéprimés et les patients âgés.
Traitements curatif et préventif.
Différentes molécules thérapeutiques antiparasitaires sont actuellement disponibles pour le traitement « curatif » : la pyriméthamine, la sulfadiazine, et, hors AMM, la clindamycine, le cotrimoxazole, l’azithromycine et l’atovaquone, pour les principales. L’association des deux premières molécules représente encore le traitement classique de référence. Néanmoins, elle est susceptible d’entraîner des effets indésirables, potentiellement gravissimes, notamment une toxidermie allergique (syndrome de Lyell) liée aux sulfamides, responsables de l’arrêt prématuré du traitement chez 26 % des patients immunocompétents. C’est pourquoi les indications thérapeutiques ont globalement été limitées à la zone 1 de l’oeil (figure 2), d’autant qu’il n’existe pas de preuve formelle du bénéfice du traitement curatif de la toxoplasmose oculaire chez le patient immunocompétent en ce qui concerne la durée et la sévérité de l’inflammation intraoculaire.
Néanmoins, de nouvelles thérapeutiques efficaces et bien moins dangereuses sont apparues, ce qui pourrait remettre en question dans un avenir très proche le dogme, ancien, de ne pas traiter systématiquement toute toxoplasmose oculaire. Ainsi, dans une récente étude randomisée multicentrique, l’association pyriméthamine-azithromycine (500 mg le premier jour, puis 250 mg/j) a fait preuve d’une efficacité similaire à celle du traitement standard, mais avec un pourcentage d’effets secondaires réduit de moitié (33 % versus 64 %). L’azithromycine seule s’est également révélée efficace et bien tolérée dans une petite série de patients. Enfin, l’atovaquone a été utilisée avec succès, mais reste un médicament de troisième intention.
Chez les patients à risque de récidive (cicatrice en zone 1 et au moins deux récidives par an ou chirurgie intraoculaire programmée), le cotrimoxazole (triméthoprime-sulfaméthoxazole) a fait la preuve de son efficacité en traitement préventif, à raison de 1 comprimé tous les trois jours. Lors de cette étude, il a été prescrit pendant vingt mois et le nombre de récidives a été divisé par 4. La durée optimale de ce traitement reste à préciser.
* Praticien hospitalier universitaire.
Service d’ophtalmologie du Pr J.-D. Grange, CHU de la Croix-Rousse, Lyon et université Claude-Bernard de Lyon-I.
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