Par les drs Marie Denuelle*, Nicolas Boulloche*, Pierre Payoux**, Yves Trotter***, Nelly Fabre*, et le pr Gilles Géraud*
LA PHOTOPHOBIE est un symptôme très fréquent dans la migraine et qui fait partie des critères diagnostiques IHS. Cliniquement, la photophobie peut être définie comme une hypersensibilité à la lumière. Chez les migraineux, elle se traduit à la fois par une augmentation de la douleur en crise, mais également par un inconfort visuel en intercrise (1, 3). Au niveau expérimental, il a été mis en évidence une interaction entre la stimulation douloureuse du trijumeau et la tolérance à la lumière. En effet, il a été montré que chez le migraineux en intercrise, la stimulation douloureuse de la branche ophtalmique du trijumeau abaissait le seuil de tolérance à la lumière et, inversement, que la stimulation lumineuse abaissait le seuil de perception douloureuse dans le territoire du trijumeau (4, 5). Par ailleurs, les études en électrophysiologie ont mis en évidence chez le migraineux une hyperexcitabilité corticale en lien avec un déficit d'habituation. Au vu de ces résultats, une hypothèse physiopathologique peut être émise : la photophobie du migraineux pourrait être liée à une hyperexcitabilité du cortex visuel potentialisée par l'activation du système trigémino-vasculaire lors de la crise de migraine.
Deux études en tomographie par émission de positons (TEP) ont été réalisées chez le migraineux en crise et en intercrise. La photophobie était provoquée par une stimulation lumineuse continue et uniformément blanche dans l'ensemble du champ visuel permettant la mise en jeu des systèmes d'habituation. La première étude a concerné 7 patients migraineux en intercrise et 7 témoins lors de stimulations lumineuses de 0,600 et 1 800 candela/m2 avec et sans stimulation douloureuse concomitante dans le territoire de la branche ophtalmique du trijumeau. La deuxième étude a concerné 8 patients migraineux lors d'une crise spontanée, puis en intercrise. L'intensité lumineuse aggravant la céphalée lors de la crise a été recherchée pour chaque patient et ensuite reproduite de façon identique en intercrise. L'analyse des données a été réalisée grâce au logiciel SPM 2.
Dans la première étude, la stimulation lumineuse seule a entraîné chez le migraineux une activation du cortex visuel, alors qu'aucune activation n'était retrouvée chez les sujets témoins. Lors de la stimulation douloureuse concomitante, on observe une augmentation de l'activation du cortex visuel chez le migraineux et l'apparition d'une activation du cortex visuel chez les sujets témoins (figures ci-contre). Une interaction entre les stimulations lumineuses et douloureuses a donc été mise en évidence chez les migraineux et chez les sujets témoins. En effet, pour une même intensité lumineuse, l'activation du cortex visuel est plus importante dans les deux groupes lors d'une stimulation douloureuse concomitante. Par ailleurs, lorsque l'on compare l'activation du cortex visuel à 1800 Cd/m2 et 600 Cd/m2, on observe une augmentation de cette activation avec l'intensité lumineuse chez les migraineux avec ou sans douleur concomitante et chez les sujets contrôles lors de la stimulation douloureuse concomitante.
Enfin, globalement, en prenant toutes les conditions de stimulation lumineuse, l'activation du cortex visuel par la lumière est plus importante chez le migraineux que chez les contrôles. Dans la deuxième étude, l'intensité lumineuse ayant provoquée une augmentation de la douleur de 2 points sur une échelle de 0 à 10 lors de la crise de migraine a été excessivement variable d'un patient à l'autre, de 50 à 500 Cd/m2 avec une moyenne de 285 candela/m2 ± 190. Cette faible intensité lumineuse a entraîné une activation du cortex visuel primaire lors de la crise migraineuse alors que, en intercrise, la même stimulation lumineuse n'a entraîné aucune activation corticale. D'après les résultats de la première étude, il existe une augmentation de l'activation du cortex visuel avec l'intensité lumineuse. Cela peut expliquer l'absence d'activation du cortex visuel lors de l'examen en intercrise car l'intensité lumineuse est beaucoup plus faible (285 Cd/m2) et probablement au-dessous du seuil d'activation.
En revanche, lors de la crise de migraine, l'activation du système trigémino-vasculaire pourrait, d'après nos résultats, potentialiser l'excitabilité du cortex visuel et une activation du cortex visuel apparaît avec une faible intensité lumineuse.
En synthèse, une hyperexcitabilité du cortex visuel a été mise en évidence chez le migraineux par rapport aux sujets témoins, possiblement par déficit des systèmes d'habituation normalement mis en jeu pour une telle stimulation lumineuse. Ainsi, la photophobie chez le migraineux pourrait être liée à cette hyperexcitabilité du cortex visuel. En dehors des crises, elle s'exprime par une hypersensibilité à la lumière.
Lors de la crise de migraine, la photophobie devient plus importante et douloureuse possiblement par la mise en jeu du système trigémino-vasculaire qui augmenterait cette hyperexcitabilité comme en témoigne l'interaction avec la stimulation douloureuse du trijumeau.
* Service de neurologie et explorations fonctionnelles du système nerveux, CHU Rangueil, Toulouse.
** INSERM U825, université Paul-Sabatier, CHU Purpan, Toulouse.
*** Centre de recherche cerveau et cognition UMR 5549 (CNRS-université Paul-Sabatier Toulouse-III), faculté de médecine de Rangueil, Toulouse.
(1) Drummond PD. A quantitative assessment og photophobia in migraine and tension type headache. Headache 1986;26:465-69.
(2) Mulleners WM, Aurora SK, Chronicle EP, Stewart R, Gopal S, Koehler PJ. Self-reported photophobic symptoms in migraineurs ans controls are reliable and predict diagnostic category accurately. Headache 2001; 41: 31-39.
(3) Vanagaite Vingen J, Pareja JA, Storen O, White LR, Sand T, Stovner LJ. Light-induced discomfort in migraine. Cephalalgia 1997; 17: 733-741.
(4) Drummond PD, Woodhouse A. Painful stimulation of the forehead increases photophobia in migraine sufferers. Cephalalgia 1993;13:321-4.
(5) Kowacs PA, Piovesan EJ, Werneck LC, Tatsui CE, Lange MC, Ribas LC, da Silva HP. Influence of intense light stimulation on trigeminal and cervical pain perception thresholds. Cephalalgia 2001; 21:184-88.
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