A rien ou à pas grand-chose
–«Je n'avais aucune piste pour ma thèse. Au cours de mon stage d'internat obligatoire en CHU, mon patron m'a demandé si j'avais déjà un sujet. Il m'en a donné un auquel je ne comprenais rien, mais j'ai quand même écrit 50pages.» (généraliste, Carcassonne)
– «Mon sujet était “Syndrome de Budd-Chiari: à propos d'un cas traité par fibrinolyse et revue de la littérature”», dit l'un. Un autre a traité des « Armes de guerre chimiques en 1993 » et un troisième a fait l'« Etude analytique et critique des transports interhospitaliers médicalisés : à propos de 2 269 cas ». Autant de sujets qui ne leur ont bien évidemment jamais servi dans leur pratique quotidienne, disent-ils tous les trois (médecins hospitaliers, Paris, Melun, Paris).
– «La seule fois où j'ai rencontré le diagnostic, dont j'avais parlé dans la thèse écrite à propos d'un cas hospitalisé dans le service où je travaillais, je l'ai raté. Elle ne m'a donc pas servi à grand-chose.» (médecin n'exerçant plus d'activité de soins, Paris)
– «Aucun intérêt. Une thèse sur les maladies à caractère professionnel, faite durant le CES de médecine du travail et bâclée parce que j'étais amoureuse et enceinte…» (mère au foyer, Hauts-de-Seine)
– «J'ai soutenu ma thèse de médecine et ma thèse de sciences quasiment en même temps, puisque je me destinais à une carrière hospitalière. Les scientifiques m'ont tous guidé, accompagné, soutenu et encouragé. J'ai eu l'impression d'être accepté dans un milieu qui reconnaissait mon travail et sa valeur propre. Du côté des médecins, j'ai ressenti un vide immense. Dans ces conditions, pourquoi imposer une thèse?» (PU-PH, Paris)
– «J'ai travaillé pendant six mois sur un premier sujet. Lorsque j'ai présenté les données que j'avais colligées, mon directeur de thèse avait “oublié” qu'il m'avait proposé ce sujet. Il m'en a imposé un second dans lequel, après une phase de passage à vide, j'ai dû me plonger. Heureusement, j'ai pu me servir de mes premières données pour passer mon mémoire de CES.» (rhumatologue, Hauts-de-Seine)
– «En 1980, passer sa thèse tenait de la sinécure. Il fallait aller à la bibliothèque universitaire, compulser des fiches, utiliser les premiers ordinateurs et commander par courrier les articles au prix de 18F si les documents étaient conservés en France ou de 32F s'ils devaient être acheminés de l'étranger. Puisque l'on n'avait même pas accès au résumé, les commandes étaient motivées par les seuls titres. Alors, souvent, quinze jours après, quand on recevait l'article, on s'apercevait qu'il ne servait à rien.En plus, il fallait sous-traiter la frappe avec une secrétaire qui disposait d'un traitement de texte, puis aller faire les photocopies et lareliure… Indispensable pour quelqu'un dont le futur métier est de soigner des patients…» (généraliste, Montélimar)
– «Deux ans de biblio et d'écriture pour que mon travail soit repris par le patron dans un article où je n'étais même pas cité. Un vrai sentiment d'injustice.» (radiologue, Saint-Nazaire)
Des bénéfices secondaires
– «J'avais trois mois pour l'écrire et la passer, puisque je devais reprendre le cabinet de campagne de mon oncle souffrant. J'ai tout expliqué à un prof qui me paraissait assez compréhensif. Il m'a donné un sujet dont la bibliographie avait déjà été sortie par un des internes du service en vue d'un article. Le plus dur a été de réunir un jury…» (généraliste, Béziers)
– «Mon mari, dont je me séparais, m'a écrit ma thèse pendant que je m'occupais des enfants. Un cadeau de divorce, en quelque sorte…» (gériatre, Oise)
– «Un peu dépassée par mon sujet, j'ai demandé de l'aide à mon chef de clinique, qui avait pourtant bien d'autres choses à faire et qui ne pouvait même pas siéger dans mon jury. Il m'a longtemps évitée et peut-être même détestée par moments. Mais mon obstination a payé. Il m'a accordé un peu de temps et m'a guidée dans les méandres de la bibliographie. Finalement, j'ai passé ma thèse, et lui a pu publier dans une revue internationale un article sur le sujet. Quelques années après, nous nous sommes mariés, mais c'est une autre histoire.» (psychiatre, Bordeaux)
– «Mon sujet de mémoire de CES et celui de thèse étaient les mêmes. J'ai pu écrire mes deux “corvées” à partir d'un même travail de déchiffrage. Heureusement.» (rhumatologue, Paris)
Un vrai travail de recherche
– «Pour moi, c'était une vraie thèse sur laquelle j'ai travaillé pendant plus d'une année. Je ne regrette pas, parce que c'était finalement l'unique occasion de faire un vrai travail écrit, raisonné, réfléchi et scientifique. C'était, par ailleurs, l'occasion d'établir un rapport particulier avec les professeurs qui m'ont fait confiance, ont été à mon écoute et m'ont aidé. Et comme ma thèse était pluridisciplinaire, cela m'a permis d'avoir des rapports privilégiés avec des cliniciens d'autres spécialités.» (radiologue, Libourne)
– «Me destinant à être urgentiste, j'ai pris conscience du fait que, pendant mes études, la question de la lecture rapide des ECG n'avait jamais été abordée. Je m'y suis donc intéressé. Ce travail personnel a finalement donné lieu à une thèse. Aujourd'hui, je lis des ECG tous les jours et je fais profiter mes internes de mon enseignement, même si je ne suis pas cardiologue.» (urgentiste hospitalier, Paris)
– «J'ai fait ma thèse sur l'historique du paludisme. Le titre exact était “Paludisme: historique, mythes, croyances et idées reçues”. Pour cela, j'ai fait une revue (non exhaustive!) de la littérature en remontant aux écrits d'Hippocrate. La partie la plus importante comportait les premières traces retrouvées dans des romans de ce qui ressemblait cliniquement au paludisme. Dans des traités ou résumés de traités de médecine, j'ai trouvé les premières théories sur la transmission et le traitement. J'ai suivi l'évolution de ces théories en remontant jusqu'à la compréhension du cycle et de la quinine, et l'apparition des premières campagnes de prévention. Cette approche du sujet n'est pas très utile en pratique quotidienne, sauf pour enrichir un peu ma culture générale.» (médecin généraliste hospitalier, Paris)
– «Un sujet difficile, mais intéressant. Des recherches qui ont de loin dépassé le cadre de la médecine, puisqu'elles étaient centrées sur la notion du soin et de la guérison. Un rattrapage de la culture générale que je n'avais pas pris le temps d'acquérir au cours de mes études en sectionC. Une ouverture d'esprit qui me sert encore aujourd'hui, peut-être parce que ma pratique quotidienne n'est plus en rapport avec le simple soin aux patients.» (médecin de santé publique, Paris)
– «Du travail, du travail, du travail… J'étais fière de moi, mais le jury n'a pas été tendre, me reprochant des fautes d'orthographe et des virgules mal placées. A croire que le contenu n'avait passionné que moi. Et puis, comment expliquer à sa famille que, le plus important, c'est le sujet fouillé à fond, bien plus que des détails de forme. Ma mère pense encore que j'ai bâclé mon travail.» (radiologue hospitalier, Paris)
Un espace de liberté
– «J'ai présenté ma thèse en 1999 et le sujet abordait deux questions qui sont devenues très actuelles en 2007.
A l'époque, personne ne l'a lue, comme toutes les autres thèses. Pire encore, j'ai renié mes propres conclusions: je recommandais aux futurs chirurgiens de s'installer dans le nord et l'est de la France, et d'éviter l'Ile-de-France. Je me suis installé à Paris. D'ailleurs, je donnerai ce conseil à nos futurs collègues qui écrivent leur thèse: soignez les remerciements et le résumé, car c'est tout ce qui sera lu de votre thèse. Pour le reste, écrivez ce que vous voulez, profitez de cet espace de liberté que personne ne viendra vous contester. C'est si rare. Voilà peut-être la meilleure raison de conserver la thèse…» (chirurgien libéral, Paris)
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