Quoi qu'en pensent les manifestants et grévistes, le gouvernement a fait preuve, jusqu'à présent, de patience et de stoïcisme.
Sous le prétexte qu'il ne veut pas renoncer à une réforme dont tous les experts, tous les politiques, y compris une bonne partie de la gauche, admettent qu'elle est urgente et indispensable, ils déclarent « se heurter à un mur ». N'ayons pas peur des mots : nombre de nos concitoyens sont à classer dans la catégorie des geignards. Du cheminot qui prend sa retraite à 55 ans, mais qui met l'accent sur des horaires difficiles, à l'enseignant dont la tâche est certes pénible, mais qui bénéficie tout de même de quelques vastes plages de vacances, le mot d'ordre consiste à répéter à l'unisson qu'on est un petit et un sans-grade cruellement frappé par un pouvoir politique froid, muet et indifférent.
Sur ce terreau propice à la révolte, les ultras de gauche font fleurir d'inquiétants actes de bravoure. Pendant que les uns crient à s'époumoner « Grève générale ! », pour mieux montrer aux syndicats qu'ils ne tiennent plus leurs troupes et inquiéter le gouvernement, d'autres s'emparent des gares, attaquent des sièges du patronat, envahissent les aéroports. Il y a un nom à ce phénomène : c'est violence ; et il y a une signification à cette stratégie : une minorité fait la loi en semant le désordre.
L'extrême gauche est intelligente. Elle est convaincue, et peut-être avec de bonnes raisons, que l'échec de la gauche en 2002 était dû à une insuffisance de radicalisme dans la gestion conduite par Lionel Jospin ; que le raz de marée de droite qui a suivi n'était qu'un acte de défense contre l'ascension de Jean-Marie Le Pen ; et qu'il recouvrait en réalité toutes les frustrations créées par la crise économique et sociale, avec son cortège de licenciements massifs, souvent présentés par des médias adorateurs de l'excès comme des scandales nationaux.
Dans ce contexte d'hostilité aux chefs d'entreprise se développe l'éternel discours français sur l'argent : les riches n'ont qu'à payer, les entreprises n'ont qu'à financer les retraites, les épargnants (souvent des salariés prudents qui mettent de l'argent de côté au lieu de s'endetter comme d'autres) n'ont qu'à être taxés : de sorte que l'épargne, qui s'accompagne le plus souvent de privations et représente donc une vertu, est perçue par les non-épargnants comme un délit.
En d'autres termes, les « révolutionnaires », longtemps discrédités par leur utopie et écartés du jeu politique par la faillite du marxisme, réinstaurent la lutte des classes : les « pauvres », parmi lesquels les enseignants, les pilotes d'avion et les conducteurs de TGV qui gagnent parfois, et même souvent, autant ou beaucoup plus qu'un cadre moyen, contre les « riches » qui deviennent de plus en plus rares dès lors qu'on peut être pauvre à 4 000 euros par mois.
Mais attention : nous sommes en 2003 et Germinal appartient au passé. Le droit de grève existe, il est inaliénable ; mais la casse, la prise d'otages, la lente destruction des services et de l'économie ne sont pas admises par le droit français. Le gouvernement n'a pas cillé devant de tels débordements qui n'honorent guère ceux qui s'y abandonnent avec délices. Il ne restera pas indéfiniment impassible, car il est responsable de l'ordre public.
Même la grève à répétition, qui empoisonne la vie de millions de Français, s'appuie sur des justifications peu crédibles : on voit bien que la plupart de ceux qui la font la vivent comme une fête, et on voit poindre la loi de la violence : non seulement des enseignants empêchent le déroulement des examens, mais un petit nombre d'élèves empêchent leurs camarades de les passer. Il y a aussi un qualificatif pour ce comportement : ignoble.
Et, au fond, ceux qui comprennent le mieux le gouvernement, ce sont les gauchistes. M. Raffarin dit : nous avons négocié une réforme, nous avons obtenu la signature de deux syndicats, nous avons adopté le projet, nous allons en débattre au Parlement et il sera amendé ; nous sommes passés de la phase sociale à la phase politique.
Réponse des gauchistes : c'est juste. Et comme la majorité est de droite, le meilleur moyen de lutter contre la réforme, c'est de renverser le gouvernement, donc d'abattre la démocratie. Le combat est bel et bien politique. Voilà à quel jeu scandaleux contribuent aujourd'hui d'incurables grévistes. Ce n'est plus la retraite qui est en cause, c'est le système ; ce n'est plus la majorité qui décide, c'est la minorité ; ce n'est plus l'électeur qui a une emprise sur la vie publique, c'est le casseur.
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