LA PARTICIPATION AU VOTE des régionales pourrait ne pas dépasser les 50 %. Tous les sondages indiquent une désaffection du public : beaucoup de personnes interrogées n'iront pas voter, beaucoup sont encore indécises sur leur choix, mais au moins une question fait florès : s'agit-il pour vous d'un vote sanction ? Le oui est largement partagé.
Au point que, si l'on fait les comptes, nombre d'électeurs favorables au vote sanction éliront quand même des candidats de la majorité.
Un électorat dispersé.
On en perdrait son latin si on ne comprenait ce que d'autres chiffres suggèrent : les Français voudraient bien manifester leur mécontentement au pouvoir, mais en même temps ils n'ont pas envie de voter pour l'opposition. On en tirera l'idée qu'il y aura peut-être plus de votants au second tour, notamment parce que les démocrates se feront un devoir de barrer la route au Front national, mais que le premier tour risque de fournir une cartographie très disparate de l'électorat. En d'autres termes, on croit de moins en moins au système, mais on est de plus en plus hostile à toutes les formes de pouvoir.
On avait eu un aperçu de cette évolution de la mentalité populaire quand les Français ont éparpillé leurs voix au premier tour de la présidentielle de 2002, ce qui a permis à Jean-Marie Le Pen de passer devant Lionel Jospin. Le comportement qui a suivi, des manifestations monstres pour écarter le danger de la l'extrême droite, était à la fois émouvant et illogique : il aurait suffi aux manifestants de voter Jospin au premier tour. Ils ne l'ont pas fait et ils l'ont regretté.
Des micro-peuples.
Mais l'idée que la rue est le dernier recours ou qu'elle peut servir de tour supplémentaire imprègne désormais les esprits : la culture politique contemporaine s'exprime tout entière dans les manifestations catégorielles ; il n'y a plus un seul peuple, mais divers micro-peuples, enseignants, étudiants, provoile, antivoile, intermittents du spectacle, chercheurs, chômeurs, féministes, beurs, buralistes, agriculteurs, contrôleurs aériens, pilotes, cheminots, viticulteurs, éleveurs, la liste est longue, qui tous assortissent leurs revendications d'un blocage de la vie quotidienne. Pour chaque profession ou chaque groupe de mécontents, une manifestation doit être nationale. Par conséquent elle doit gêner l'ensemble de la nation.
DES LORS QU'ON PEUT JOUER LE GRAIN DE SABLE DANS LE ROUAGE, POURQUOI VOTER ?
Dès lors que des groupes ne représentant chacun qu'un pour cent ou moins d'un pour cent de la population peuvent se faire entendre du pouvoir en jouant le grain de sable dans le rouage, à quoi bon se rendre aux urnes ? C'est l'idée même du mandat électif qui disparaît : la majorité de nos concitoyens ne croit pas qu'une majorité parlementaire et un président sont élus pour cinq ans. Ils ne sont élus que pour rendre des comptes, que pour incarner une autorité transformée par la grogne en punching-ball permanent. Ils ne sont pas élus pour appliquer un programme pendant le temps que leur accorde la Constitution, mais pour autant que ce programme n'est pas contraire à ceux qui s'en estiment victimes.
Aux amples mouvements de l'alternance politique ont succédé les saccades répétitives des crises sociales ; à la notion de majorité a succédé la notion d'infirme minorité dotée d'un pouvoir de nuisance infini.
Un contre-pouvoir.
Le phénomène n'est pas nouveau : les meilleurs projets de réforme de Lionel Jospin (celui des fonctionnaires des impôts et celui de l'Education nationale) ont été bloqués par ceux qui risquaient de pâtir des réformes. M. Jospin y a d'ailleurs renoncé. Aujourd'hui, M. Raffarin s'entête sur les intermittents, sur l'Education, sur les retraites, sur la santé, mais il trouve plus entêté que lui : rien ne nous dit que le nouveau statut des intermittents ne sera pas aboli, ni que M. Ferry parviendra à dégraisser le mammouth. Il existe donc dans chaque catégorie professionnelle un contre-pouvoir politique qui n'est pas le produit de la démocratie mais celui de la capacité de nuire. Quand on est en désaccord avec le gouvernement, on peut toujours, comme le font souvent les agriculteurs ou les routiers et d'autres, casser, brûler, paralyser jusqu'à ce que, de guerre lasse, le pouvoir recule. Dans ces conditions, pourquoi voter ? Quel programme pourrait durer cinq ans qui sera, de toute façon, remis en cause dès l'application de sa première ligne et bientôt retiré par le gouvernement ? Et en définitive, quelle importance si c'est la droite ou la gauche qui gouverne, dès lors qu'elles se heurteront aux mêmes révoltes, comme on l'a déjà vu à l'Education ?
Cette réflexion n'est pas destinée à nier l'utilité du débat d'idées permanent ou de la critique de l'action gouvernementale : sur la recherche, sur la réforme de l'aide médicale d'Etat, sur cette étrange lutte antitabac a
DES LORS QU'ON PEUT JOUER LE GRAIN DE SABLE DANS LE ROUAGE, POURQUOI VOTER ?
u moyen d'une taxation féroce, elle-même assortie d'une aide aux buralistes, sur la dérive sécuritaire que présentait la loi dite Perben II jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel en atténue les dispositions, la sévérité des jugements n'est pas excessive. Il n'y aurait d'ailleurs aucun mal à ce que M. Raffarin se ravise parfois : pourquoi ne pas admettre qu'un gouvernement est faillible ?
La faillite du civisme.
Le problème est ailleurs. Il est dans la faillite du civisme. Il est dans dans des dialectiques violentes qui remplacent la sérénité du vote. Il est dans la destruction du mandat, et on se demande d'ailleurs pourquoi les élus continuent à faire de la politique dans ces conditions. Nous avons bougrement besoin de nous ressaisir : on aura beau dire et beau faire, il n'y a pas d'alternative au système parlementaire.
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