PAS LE temps de souffler ! A peine achevée la première série d'entretiens particuliers entre Frédéric van Roekeghem, l'homme fort de l'assurance-maladie, et les syndicats représentatifs que les partenaires conventionnels remettent le couvert, toujours dans le cadre de rencontres bilatérales.
Jusqu'à mercredi, chaque délégation syndicale devrait être à nouveau reçue séparément par la direction de l'Uncam pour « approfondir » les discussions en attendant le (déjà fameux) « séminaire résidentiel » de négociation expresses, organisé jeudi et vendredi prochains (et plus si nécessaire) à l'université de Jouy-en-Josas, dans les Yvelines. Les chambres ont d'ailleurs été réservées dès mercredi soir.
La fumée blanche sortira-t-elle de ce conclave à huis clos ? Les syndicats ne le jureraient pas et quelques-uns parient déjà sur des prolongations, ce qui augmenterait inévitablement le risque de surenchère.
Rocky le magicien.
De fait, les premiers échanges bilatéraux, où chaque partie a commencé à tester les limites de l'autre, ont fait monter la pression d'un cran.
Même si le climat est toujours, selon les divers leaders syndicaux, « serein », « cordial » et même « chaleureux », les mêmes s'accordent à dire que la voie est étroite en raison de la contrainte financière qui pèse sur ces négociations. « Soyons clairs : les attentes des médecins dépassent largement les possibilités financières des caisses et l'acceptabilité par les patients et les politiques », analyse, en vieux routier des négociations, le Dr Dinorino Cabrera, président du SML. Ce qui ne l'empêche pas d'affirmer que « ça reste jouable ».
Résolument confiant à ce stade des discussions, le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, majoritaire, ne vend pas pour autant la peau de l'ours conventionnel. « Le contexte économique est très difficile mais les marges existent, explique-t-il. Il n'y a pas de blocage quand on parle d'investissement financier sur les honoraires. Sera-ce suffisant ? Je n'en sais rien. »
Reçu pendant plus de quatre heures, dont une bonne partie de la nuit, le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF, a un jugement plus que mitigé. « Rocky (surnom du directeur) est un vrai magicien, il nous endort : il ne chiffre quasiment rien mais il nous fait comprendre que le cadrage financier est impératif. » Il est vrai que l'enveloppe mise sur la table par l'assurance-maladie (principalement pour valoriser les parcours de soins) devra respecter l'Objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) fixé à 3,2 %. « Il y a un tel retard en matière d'investissement sur les soins primaires que ce ne sera jamais assez », avertit le Dr Pierre Costes, président de MG-France. « Il y a une nette envie d'y arriver mais quand on passe aux sous, c'est toujours plus compliqué », constate Félix Benouaich, président d'Alliance.
30 euros pour la CS « coordonnée », 40 euros pour l'expertise ponctuelle.
De l'avis général, les prochaines réunions devraient permettre d'affiner les simulations, qui portent notamment sur la revalorisation des consultations des spécialistes dans le parcours de soins. Le SML demande que la consultation de suivi spécialisé (dans le cadre d'un protocole par exemple) soit fixée à 30 euros. La Csmf veut également 30 euros pour cette nouvelle CS coordonnée ( « on parle de réseau, pas de filière », insiste le Dr Chassang). Le même chiffre est cité par le syndicat Alliance, toujours dans le cadre d'un suivi spécialisé.
En revanche, pour la plupart des syndicats, la consultation de consultant ou d'expertise (ponctuelle, sans suivi), pour un épisode particulier, doit rester facturée « C 2 » (40 euros) au minimum, et étendue aux spécialistes qui n'y ont pas droit (anciens CES). Mais l'assurance-maladie refuse de s'engager à l'aveugle. Combien de CS seraient ainsi majorées ? Quelles modalités pour les praticiens du secteur II (l'assurance-maladie propose de créer pour eux une « option de coordination » à adhésion individuelle) ? Autant de questions encore en débat.
D'ores et déjà, la caisse s'est efforcée d'évaluer les marges de manœuvre résultant de la maîtrise médicalisée. L'assurance-maladie a fait ses calculs (parfois grossiers), qu'elle a présentés à ses interlocuteurs. Plus de 500 millions d'euros (jusqu'à un milliard, prétend la Csmf) pourraient résulter d'une application stricte de la réglementation sur les ALD (respect scrupuleux de l'ordonnancier bizone, révision des « Pires »); une baisse annuelle de 10 % des prescriptions d'antibiotiques apporterait 90 millions d'euros ; la même diminution obtenue sur certains psychotropes (tranquillisants, hypnotiques) dégagerait 30 millions d'euros et encore 70 millions d'euros sur les IJ de courte durée . Selon la caisse, une rationalisation des prescriptions d'antiagrégants pourrait économiser plusieurs dizaines de millions d'euros. La méthode commence à faire grincer quelques dents. « Cette politique de la carotte, c'est de la logique comptable », fulmine le Dr Régi. « On est dans le donnant-donnant, pas dans le donnant », estime un membre de la délégation du SML. « La convention médicale ne doit pas se résumer à un plan médicament », prévient également le Dr Chassang. Quant au Dr Costes, il pose des jalons. « Il n'est pas question que les marges dégagées par les généralistes profitent aux seuls spécialistes. » En clair : l'assurance-maladie devra être attentive à la répartition du gâteau des revalorisations. Surtout si les parts sont maigres.
Guéguerre sur le sort du référent.
La question de l'avenir du médecin référent est un autre sujet de crispation, en partie idéologique. Au cours de leurs entretiens respectifs avec le directeur, la Csmf et le SML ont exigé la suppression de cette option honnie depuis toujours, au motif que la logique du référent est incompatible avec la nouvelle donne fondée sur le médecin traitant. C'est même un casus belli pour le SML. Le Dr Costes (MG-France) reste droit dans ses bottes. « Il est impossible de supprimer un droit acquis. » Et d'expliquer que ce qui sera négocié au bénéfice des généralistes « ne peut être en deça de ce qui existe déjà ». Un principe que MG-France applique pour le forfait référent mais aussi pour chaque « Pires » (50 euros) ou encore pour la consultation approfondie (Cald) à 26 euros.
Pour la Csmf, la solution passe, dans l'immédiat, par un forfait de 50 euros par patient en ALD pour le médecin traitant.
Un dépassement plafonné à 40 euros ?
La limitation des dépassements hors parcours de soins reste un dossier ultrasensible. Le directeur de l'Uncam a annoncé sa préférence : il milite pour un plafonnement « par acte », et non par an , dans un souci de transparence tarifaire. « Le problème de la fixation des dépassements reste entier », analyse le Dr Cabrera. La Csmf surtout, qui mesure les exigences des spécialistes de secteur I sur ce dossier, n'est pas disposée à accepter facilement le plafonnement par acte. « S'il y a plafonnement systématique, et que le plafond est bas, il n'y a plus de modulation possible», relève le Dr Chassang, qui voit là « un point dur de la négociation ». Le syndicat Alliance est plus précis. « Le CS libre (en accès direct) ne devra pas être plafonné en dessous de 40 euros », met en garde son président, le Dr Félix Benouaich.
Rien n'est encore gagné, loin s'en faut. « Les gens raisonnables ont tout intérêt à s'entendre », analyse un responsable syndical. Mais il peut arriver que la négociation conventionnelle quitte les chemins de la raison.
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