Le généraliste ancien est en train de se faire totalement dépouiller de ses fonctions ; quand on attaque le principal symbole du généraliste, la prise de tension artérielle, (la TA est le symbole de la vie pour les patients) en le confiant à un assistant médical, l’assassinat du généraliste est réalisé. Messieurs les politiques, sauf à proposer des holters tensionnels réguliers à chaque patient, prendre la TA, interpréter le résultat de la globalité de l’acte est un vrai acte médical aux mains des preneurs de tension aux mains nues. Si on apprenait aux jeunes générations les subtilités de la prise de TA, la prise en charge des patients serait très améliorée. Mais non, on découpe chaque acte, prise de TA par l’assistant, interprétation par le généraliste, qui à son tour envoie au spécialiste pour avoir le traitement optimal ; méconnaissance totale de la signification de la médecine générale tant par les spécialistes aveuglés par leur savoir pointu voire dangereux comme un rayon laser mais très limité, que par les politiques dont ils sont les conseillers médicaux attitrés. Je vais exposer ci-après quelques cas personnels qui n’interpelleront malheureusement pas les politiques (c'est une certitude), coincés dans une douillette bulle de leur tensiomètre falsifié sur l’état de la santé de leurs concitoyens.
Mon épouse fut hospitalisée dans un grand hôpital parisien. L’infirmière vient prendre la TA de la voisine de chambre, sans la moindre réaction, elle annonce 09/06, et replie son appareil. La fille, présente, interloquée, signale : « Vous êtes sûre ? Elle à 14/8 d’habitude ». Re-dépliage du brassard, reprise de la tension, l’infirmière dit, « Effectivement, elle a 14/8 », replie son appareil, puis s’en va avec son chariot. Je suis resté sur le cul de cette expérience hospitalière navrante !
Je prends sa tension, « 14/8 » alors qu’habituellement elle a 12/8. « C’est exactement ce que m’a trouvé mon guérisseur hier ! ». Interloqué, je lui demande de m’expliquer la technique du guérisseur, avec son pendule. Inconsciemment, elle a calqué la TA de ce jour sur le résultat de son guérisseur, histoire de se prouver, qu’aller consulter un guérisseur n’est pas si négatif que cela (pour faire faire des économies à Dame SS ?). Les médecins issus d’une sélection drastique purement scientifique ne croiront pas à l’explication de cette coïncidence. Alors…
Elle a 80 ans passés, sa TA habituelle est à 12/8 sous l’équivalent d’un Esidrex® à trois francs six sous. Une nuit, elle tombe du lit, passe sa nuit sur la carpette, lieu où sa fille la retrouve le lendemain sans avoir dormi, prend sa TA avec son appareil personnel : 22/12. Ni une ni deux, elle met la maman dans la voiture et se précipite chez le cardiologue, prise entre deux, d’où elle ressort avec une ordonnance dont le coût est 20 fois supérieur à celui de l’Esidrex®. Le lendemain, TA toujours aussi élevée, remise de la maman dans la voiture, retour chez le cardiologue, changement total de traitement, encore plus fort (en prix). Idem le troisième jour ; le cardiologue comprenant qu’il allait bientôt avoir épuisé toutes ses munitions dit à la fille que maintenant, j’étais capable (histoire de se débarrasser poliment des cas difficiles) de la prendre en charge ; que l’on peut aussi traduire, « en cas de mauvais résultat, ce sera de la faute du généraliste ». (Ce qui à mon sens est effectivement vrai). Appel de la fille, je trouve 22/12 ; elle doit partir en vacances, elle me demande de passer tous les jours ! Le lendemain matin, 22/12. Je profite de la disparition de la fille pour dire à la maman que l’ancien traitement lui convenait très bien, et qu’il fallait le reprendre. Le nouveau lendemain montre une TA à 22/12 ; je lui annonce, 21/11 ; « Il y a du mieux, on est sur la bonne piste, je reviens dans deux jours ». 21/11, je lui annonce « 20/10, on est sur la bonne voie » ; c’est ainsi qu’on est revenu progressivement à 12/8 le jour du retour de la fille, qui a pu constater après mon départ que je ne lui mentais pas.
Elle aussi a 80 ans passés, sous 1/2 Esidrex®, uniquement à visée psychologique ; car sa TA est toujours à 22/12. Car il y a un « mais »… Allongée, prise de son pouls : 80 ; pose du brassard à TA : le visage se contracte, se fige, elle ne dit plus un mot, le regard anxieux, le pouls passe à 120, la TA est à 22/12 ; le brassard enlevé, le visage se décrispe, le pouls redescend instantanément à 80. Sauf une fois… Allongée, « je l’hypnotise » en lui racontant des histoires drôles, prise de TA sans qu’elle ne s’en rende compte, le pouls est resté à 80, la TA était à 12/8.
La médecine générale est le plus souvent un tout qui ne peut être coupé en morceaux sous peine de ne plus avoir une vue d’ensemble, elle doit tenir compte du contexte, elle ne peut être seulement, comme ici, l’interprétation et le traitement d’un résultat brut produit par un autre. NOUS NE SOMMES PAS ET NE SERONS JAMAIS DES SPÉCIALISTES. Malheureusement, contrairement à d’autres cultures actuelles évoluées, le contexte est une notion qui disparaît de la philosophie du monde occidentalisé, au motif, dans le domaine de la santé, d’une illusoire « amélioration » de la connaissance par nos uniques, et devenues nécessaires, simplificatrices classifications statistiques, contrôle de productivité oblige ; mais quelle productivité ! Le trou de la Sécu.
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