La santé en librairie
C'est parce qu'on lit mieux les émotions à travers la peau que dans le coeur que Sylvie Consoli s'est orientée vers la dermatologie et non vers la cardiologie. C'est parce qu'il lui manquait un outil de décryptage des dites émotions, y compris des siennes, qu'elle s'est ensuite intéressée à la psychanalyse. C'est parce que ce parcours original lui a permis de mesurer avec acuité l'impact de l'état de la peau et du toucher sur le psychisme qu'elle a choisi d'évoquer celui de la tendresse sur la santé en général et la relation thérapeutique en particulier (« La Tendresse, de la dermatologie à la psychanalyse »).
La peau n'est pas un organe comme les autres. Ce n'est pas en effet un simple contenant hermétique, mais un tissu assurant des fonctions vitales tout en étant l'organe privilégié et visible des relations avec autrui.
Issue embryologiquement de l'ectoderme, comme le cerveau, la peau a des liens privilégiés avec lui. La tendresse est en quelque sorte l'enfant sensible de ces deux organes : un des liens les plus fondamentaux qui unissent le toucher et la parole, la dermatologie et la psychanalyse, la peau et le psychisme, explique Sylvie Consoli.
Le toucher est interdit en principe dans la pratique psychanalytique. Sylvie Consoli s'attache à convaincre que la tendresse est malgré tout au cur de la pratique psychanalytique dans la mesure où elle est la rencontre de deux subjectivités. Dans la mesure aussi où le psychanalyste exerce sa capacité à contenir physiquement et psychiquement son patient comme une mère son bébé, et qu'il favorise chez son patient sa capacité de mémorisation.
La psychanalyse n'est donc pas forcément une pratique désincarnée, dit-elle. Le toucher peut être pour un psychanalyste un moyen de lier aux yeux du patient souffrance physique et souffrance psychique, de le reconnaître dans sa souffrance physique et d'amorcer ainsi un lien thérapeutique, première étape vers l'amélioration clinique. La présence physique du psychanalyste doit néanmoins être suffisamment « légère » pour que le transfert puisse « prendre de nombreux chemins différents », souligne Sylvie Consoli, soucieuse de respecter à sa façon l'orthodoxie psychanalytique. Les dermatologues et les psychanalystes sont faits pour s'entendre car la peau est la messagère du plaisir de penser, dit-elle.
Une sensibilité à fleur de peau
Certaines maladies cutanées peuvent être l'expression d'un manque de tendresse, mais bouleversent aussi en retour l'expression de celle-ci. A travers de nombreux exemples cliniques rencontrés dans sa pratique de psychothérapeute « ex-dermatologue », S. Consoli montre « combien les maladies cutanées, les aléas des échanges tactiles peuvent bouleverser les relations de l'individu avec les autres et avec lui-même », et ce que le médecin peut faire pour adoucir ces échanges avec l'extérieur. Le contact cutané établi par le dermatologue avec son malade a bien sûr des visées diagnostiques, mais également la vertu de rapprocher psychiquement et physiquement les deux protagonistes de la relation médicale.
« Les intouchables » étaient bien, au Moyen Age, les parias de la société. La qualité de vie est une dimension essentielle en dermatologie. Les dermatoses ont des répercussions psychiques indéniables : un psoriasis étendu, une dermatite atopique, une acné, sont des affections « affichantes ». La souffrance psychique a, inversement, de nombreuses expressions dermatologiques (pathomimie, prurit, etc.). De surcroît, l'évolution de nombreuses dermatoses est incontestablement dépendante de facteurs psychosociaux. Heureusement, les dermatologues sont « aujourd'hui convaincus de l'indissociabilité de la peau, du corps et du psychisme », rapporte S. Consoli.
Le toucher est vital, et pourtant de plus en plus tabou. L'interdit grandissant de l'expression de la tendresse par le contact physique - avec les enfants dans les milieux de l'éducation (par crainte de l'accusation d'abus sexuel), mais aussi des adultes dans les milieux professionnels (par peur de l'accusation de harcèlement sexuel) ou dans ceux de la médecine (dans la société américaine hyperjudiciarisée par exemple) - va de pair avec le développement des approches corporelles centrées sur le toucher, remarque avec justesse Sylvie Consoli. Preuve que l'être humain ne saurait survivre sans tendresse, besoin essentiel.
Les travaux des éthologues, comme ceux des nombreux spécialistes qui se sont intéressés à la relation mère-bébé et à l'importance du toucher dans ce lien, ne sont pas étrangers à ce courant. Toucher, effleurer, masser sont des thérapeutiques désormais reconnues en pédiatrie comme dans les autres disciplines médicales.
L'image de soi et le moi corporel
La souffrance d'un patient ne commence pas avec son éruption cutanée. Son expérience des patients souffrant d'infections liées au VIH a permis à Sylvie Consoli d'observer attentivement les liens entre maladie de peau et souffrance psychique. Ce qui est vrai pour une affection particulièrement grave et stigmatisante comme le sida l'est aussi pour d'autres maladies cutanées « visibles ». Ces troubles, qu'il s'agisse d'un psoriasis ou d'un eczéma, auront d'autant plus de répercussions sur la qualité de vie que la solidité psychique du sujet qui en est atteint était précaire avant la survenue de la maladie cutanée.
La qualité des relations affectives nouées avec autrui depuis le début de la vie est à ce titre déterminante dans la façon dont l'affection cutanée est perçue et vécue. Car s'aimer soi-même c'est aimer son corps, corps materné, donc touché par la mère. Sylvie Consoli évoque les thèses des quelques auteurs qui ont beaucoup travaillé sur le sujet. Didier Anzieu, entre autres, avec le concept de « moi-peau » et l'impact de la qualité des échanges corporels entre le bébé et sa mère sur l'harmonie du développement somatique et psychologique du petit. Son expérience lui permet également de montrer, dans certaines situations, la nécessité d'une certaine proximité physique entre le thérapeute et son patient et l'intérêt pour l'un comme pour l'autre d'un attendrissement réciproque.
Si la relation médecin-malade est toujours marquée d'un certain degré d'empirisme, laisser la tendresse colorer ce lien nécessite expérience et réflexion pour être thérapeutique.
Faire le lien entre la peau et le verbe n'est pas toujours simple. La maladie dermatologique qui se montre parfois au médecin avant même de s'exprimer verbalement ( « Regardez docteur... ») peut court-circuiter toute parole si le praticien n'y prend garde, alors que le trouble cutané est un support de médiation parfait pour amorcer une écoute active et efficace.
Le dermatologue n'est pas tout puissant : il ne peut pas plus réparer un défaut cutané qui n'existe que dans l'imaginaire du patient qu'il ne peut radicalement modifier l'intolérance aux altérations physiques inévitables dues à l'âge ou à certaines autres imperfection physiques. Il peut en revanche participer à la réconciliation du sujet avec son corps, premier pas des retrouvailles du sujet avec l'estime de soi, en collaborant intelligemment avec le spécialiste du psychisme à condition qu'il sache faire usage d'une « tendresse bien tempérée ».
« La Tendresse. De la dermatologie à la psychanalyse », Sylvie Consoli, Editions Odile Jacob. 220 pages, 20,50 euros.
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