Décision Santé. Vous plaidez sans relâche pour une télémédecine opérationnelle, sortie des champs expérimentaux. Où en est concrètement cette pratique après la publication du décret en la matière le 19 octobre dernier ?
Ghislaine Alajouanine. Dans le cadre du Haut Conseil de la télésanté, dit la Commission Galien, nous avons alimenté le débat sur l’avenir industriel de la télémédecine en France avec pour message « La maison brûle ». Cette image a pour vocation de montrer à quel point il est urgent de passer de la phase expérimentale à une exploitation qui profite réellement au patient et à notre économie. Pendant longtemps, chacun s’est employé dans son coin à conduire une expérimentation en matière de télémédecine. Cette période exploratoire était tout à fait fondée. Toutefois, en rester à ce stade serait irresponsable, tant la télémédecine peut apporter beaucoup à notre société. Aujourd’hui, la technologie est mature ; la volonté politique semble l’être également. Il faut agir.
D. S. Le travail de la commission Lasbordes a abouti à un rapport qui a largement servi de base à la rédaction de l’article 78 de la loi HPST et de son décret du 19 octobre 2010 en la matière. Parmi les idées phares, figurait en prérequis la mise sur pied d’une gouvernance de la télésanté à l’échelle nationale. Plus de dix-huit mois après, il n’en est rien. Savez-vous pourquoi ?
G. A. Le rapport Lasbordes et le décret ont certes mis en avant la nécessité d’une gouvernance unique qui porte l’action et coordonne les différentes applications concrètes, immédiates pour l’exemplarité de l’apport des nouvelles technologies à la disposition de la réorganisation des services de santé et d’hospitalisation à domicile (HAD) avec à la clé, une revalorisation des professions de santé. Toutefois, cette structure de pilotage n’a pu pour le moment voir le jour, comme cela était prévu. À mon avis, le ministère de la Santé, et plus largement le Gouvernement qui a logiquement consacré une grande partie de ses efforts à gérer le problème du Médiator®, a quelque peu relégué au second plan le devenir de la télémédecine et de la télésanté. Entre-temps, le problème de l’avenir de cette pratique reste cuisant. Et pour compliquer sa généralisation, plusieurs organismes se positionnent comme candidats à la prise en main de sa gouvernance. Il y a pléthore de prétendus experts qui se bousculent au sein du cockpit de pilotage. En fait, le principal est oublié au profit de l’accessoire ; les idées et actions concrètes au profit des personnes, de l’individualisme et carriérisme.
D. S. Que proposez-vous ?
G. A. Le décret du 19 octobre 2010 plante le nouveau décor de la télémédecine qui devient par surcroît la télésanté, du fait de la prise en compte du volet social qu’elle embarque, et tout particulièrement la dépendance, un sujet de plus en plus critique dans notre société. Pour répondre rapidement à ce besoin crucial comme à celui de la démographie médicale, nous devons nous appuyer sur les structures qui existent. Je pense fondamentalement aux ARS qui, après la phase d’amorçage par une force d’intervention et d’appui au développement de la télémédecine, doivent avoir un rôle de suivi. Elles vont alors contribuer aux actions de définition des compétences, de gestion des ressources et des formations associées. Sur cette base, un plan quinquennal doit être lancé. Ce dernier doit répondre à la troisième dimension du développement durable : la HS2 ou Haute Sécurité de santé. Là où le concept de HQE ou Haute Qualité environnementale participe à la protection du capital patrimoine- planète, le HS2 va permettre de protéger notre capital humain.
D. S. Comment conduire ce plan que vous appelez de vos vœux ?
G. A. Il est nécessaire de dynamiser trois différentes catégories d’acteurs qui relèvent de domaines d’interventions différents : les experts de l’innovation issus du monde de la recherche, des pôles de compétitivité, des responsables de la politique industrielle, ainsi que les acteurs du monde de l’entreprise ; les producteurs d’usages technologiques que sont les décideurs du monde de la santé des secteurs public et privé, ceux de l’éducation ; les acteurs de la solidarité (personnes qui travaillent auprès des populations fragilisées, les responsables du codéveloppement) ; les travaux de ce triptyque permettraient de mettre en exergue la visibilité des actions de télémédecine conduites, d’améliorer la lisibilité des bénéfices et de rapprocher l'État des territoires.
D. S. Au-delà de cette réalité, reste le nerf de la guerre. Comment financer le passage à la généralisation ? Les caisses semblent vides. ?
G. A. Comme dans d’autres secteurs d’activité, il devrait y avoir des fonds d’investissements permettant de porter certains projets de télésanté, sachant que l’État ne peut tout financer. En deçà d’un chiffre d’affaires de cinq millions d’euros, il est difficile de trouver des investisseurs privés qui acceptent de porter le risque. Cela explique pour beaucoup la pandémie de projets d’expérimentation mort-nés que nous constatons depuis toujours. Il faudra donc savoir intéresser les investisseurs privés avec un cadre clair et une volonté affichée.
D. S. En attendant de trouver des moyens, certains industriels semblent tirer leur épingle du jeu dans le sillage de la parution du décret de télémédecine. C'est le cas du téléconseil médical. Qu’en pensez-vous ?
G. A. Dans la foulée de la publication de ce nouveau cadre réglementaire, beaucoup d’agences de communication ont su bien en profiter en lançant des offres, justement de téléconseil, qui n’ont rien à voir avec la télésanté, mais qui surfent sur ses effets positifs annoncés. Face à ces pratiques à dénoncer vivement, nous devons insister sur le rôle réel de cette nouvelle pratique que sont la télésanté et ses impacts positifs sur notre société. La télémédecine, ce n’est pas la médecine à la télé !
D. S. Pouvez-vous donner un exemple concret ?
G. A. Je me bornerai à citer l’exemple de la télésanté qui va permettre aux personnes dépendantes de rester chez elles : on est bien à l’hôpital, on est quand même mieux chez soi ! Cette transformation des usages peut avoir différents corollaires, parmi lesquels la transformation du rôle du facteur, par exemple. Un agent de La Poste peut voir sa mission évoluer en lien social en intégrant un volet médico-social. En complément du réseau distant, il a la possibilité de rendre visite à un patient et lui apporter le traitement qui lui a été prescrit en ligne par son médecin. En définitive, on le voit, la télésanté constitue un grand défi qui touche à toute notre société. Les pouvoirs publics ont d’ailleurs cerné ses retombées économiques qui peuvent faire de la France l’un des leaders mondiaux de cette pratique. Cela nécessite une mobilisation immédiate et une action coordonnée à l’échelle interministérielle par une sorte de commissariat (Committere=préposé) sous la houlette du Premier ministre, piloté par un tandem constitué d’un parlementaire et d’un expert reconnu. C’est urgent ! We can, We must !
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