C'EST L'ABOUTISSEMENT d'un travail de longue haleine engagé il y a quatre ans par les équipes médicales et informatiques de l'Ifremmont, pôle d'excellence européen en médecine de montagne. Le refuge des Conscrits, 90 places, à 2 600 m d'altitude, au coeur du parc des Condamines-Monjoie, au pied du glacier de Tré-la-Tête, a été le premier, la semaine dernière, à recevoir sa parabole satellitaire. Les deux autres sont en cours d'équipement cette semaine : celui du Goûter, le plus haut perché avec ses 90 places à 3 800 m, sur la voie normale du mont Blanc, via le dôme éponyme, et celui des Cosmiques, le plus grand, avec ses 130 places, à 3 600 m, au pied de l'Aiguille du Midi. Ces trois établissements du Club alpin français édifiés en plein massif du mont Blanc ont été choisis pour «la diversité de leurs configurations et de leurs types de fréquentations», explique le Dr Pascal Le Nabat, PH urgentiste à l'hôpital de Chamonix et à celui de Saint-Paul de la Réunion, subsidiairement moniteur de canyoning et d'escalade, coordinateur de cette première télémédicale en haute altitude.
Les Cosmiques accueillent un public plutôt averti, pour des courses très techniques, et il est relativement peu isolé, à proximité de la gare supérieure de l'Aiguille du Midi. Au Goûter, en revanche, surfréquenté avec des pointes de 250 passages par nuit, on a affaire à des montagnards moins aguerris. Parmi eux, une proportion élevée présentent des symptômes du mal aigu des montagnes (lire encadré). Pour eux, comme pour toutes les victimes de traumatismes et d'accidents, la télémédecine devrait améliorer la prise en charge par les moyens, héliportés ou pédestres, du SEM (secours en montagne).
ECG 12 dérivations, tensiomètre, oxymètre et Webcam.
«Pratiquement, chaque refuge disposera d'une mallette, poursuit le Dr Le Nabat, avec son ordinateur portable endurci et miniaturisé, léger (4 kg) , de faible encombrement (30 cm dans sa plus grande dimension) , conçu en particulier pour résister au froid et aux chocs. Nous l'avons connecté à un système de câbles pour des ECG 12dérivations, un tensiomètre avec brassard automatique, un oxymètre de pouls, une Webcam (photo et visioconférence) . Des sondes d'échographie peuvent aussi être branchées.»
A la manoeuvre informatique, c'est le Dr Pascal Zellner, directeur de recherche, PH au Samu de Chambéry, qui anime depuis 2003 une équipe d'urgentistes férus de numérique. «Au départ, raconte-t-il, nous pensions utiliser les valises de télémédecine existant sur le marché, mais elles se sont révélées trop lourdes et insuffisamment fiables. Dans un premier temps, il a donc fallu modéliser chacune des données médicales utiles, tester plusieurs modes de fonctionnement, puis mettre au point un serveur pour assurer la transmission des fichiers entre les différents acteurs de la permanence des soins, le Resavu (réseau d'aide médicale urgente) .»
Essai concluant aux Kerguelen.
L'été dernier, le Dr Emmanuel Cauchy, directeur de l'Ifremmont, a procédé à des essais depuis le mont Ross, le point culminant des îles Kerguelen, dans l'océan Indien, à partir d'un simple téléphone satellitaire de type iridium. Essais concluants. De quoi donner toute confiance dans les installations des refuges alpins : elles seront dotées de paraboles bien plus performantes, avec des batteries alimentées par panneaux solaires, aptes à fonctionner par temps de neige, les rafales de vent pouvant atteindre jusqu'à 200 km/h aux Cosmiques, sans que ne soit altérée la qualité de transmission.
Ultime formalité à accomplir avant de démarrer l'expérimentation, la formation des gardiens des refuges devrait être l'affaire de quelques heures. Après un premier temps d'hésitation, ils semblent maintenant complètement acquis à l'intérêt de la valise, se félicite le Dr Le Nabat : «Les pastilles d'ECG sont faciles à coller, l'ordinateur bénéficie d'une ergonomie simple et le logiciel est très didactique. Ainsi parés, ils vont être libérés de leur angoisse d'affronter seuls des situations d'urgence vitale.»
A l'arrivée, le Samu 74, à Annecy, disposera en temps réel d'informations sémiologiques précises pour procéder à une régulation plus pertinente : les thrombolyses préhospitalières pourront débuter plus vite, espère le Dr Zellner et les secours héliportés seront déclenchés plus utilement, de même que les secours pédestres.
Mais cette saison expérimentale, si elle est concluante, ne sera pas suivie seulement d'applications en montagne. Certes, à la clé, une trentaine de refuges pourraient dès l'été 2008 être à leur tour équipés, en France, en Italie et en Suisse.
Assistance aux médecines nomades.
Mais l'équipe de l'Ifremmont poursuit des ambitions plus internationales encore : dès le mois d'août, ses membres vont s'envoler pour le Mali, pour procéder à des tests à Bamako et dans la région ; des responsables onusiens ont, d'autre part, manifesté leur intérêt pour une démarche qui pourrait faire l'objet d'une validation à l'attention des populations enclavées, partout dans le monde où les acteurs de la permanence des soins sont isolés. «C'est dans cet esprit d'assistance à toutes les médecines nomades, explique le Dr Zellner, que nous développons une politique d'open source, avec accès et logiciels gratuits.» Une politique qui pourrait contribuer à faire changer la donne de l'informatique médicale, estiment ses promoteurs, très courtisés ces temps-ci par les gros intégrateurs du secteur. Cet été, le mont Blanc va être le plus haut laboratoire de test du monde.
* Tél. 0.826.14.8000.
Un budget de 12 000 euros par refuge
Equiper un refuge de montagne en moyens de télémédecine revient à environ 12 000 euros, qui se décomposent de la manière suivante :
– installation antenne satellitaire : 3 500 euros ;
– valise de télémédecine (PC endurci, ECG, oxymètre de pouls, tensiomètre, Webcam) : 6 000 euros ;
– héliportage de l'installation : 2 000 euros ;
– service de télémédecine : de 200 à 250 euros/mois.
Ce budget n'inclut pas les frais de développement du logiciel Resamu, qui pilote la totalité des échanges médicaux et biomédicaux.
70 % de MAM au Goûter
Selon les données épidémiologiques recueillies par le Dr Cauchy, jusqu'à 70 % des 8 0000 montagnards qui s'arrêtent chaque été au refuge du Goûter présentent des symptômes de mal aigu des montagnes (MAM). Parmi eux, de 20 à 30 sont chaque saison atteints d'oedèmes cérébraux ou pulmonaires graves, qui nécessitent des manoeuvres de caissonnage hyperbare et/ou des évacuations de survie. Au total, sur 1 000 interventions de secours en montagne, 5 % sont déclenchées pour des problèmes de pathologies physiologiques liées à la haute altitude.
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