Gouvernance

La télémédecine cherche toujours sa voie

Publié le 25/04/2011
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Malgré un nouveau décret qui devait raisonner comme un coup de fouet, la télémédecine peine à rebondir. La mise en place d’une gouvernance forte a du mal à se concrétiser. Heureusement, certaines expériences profitent de plus en plus aux personnes dépendantes, quand il ne s’agit pas du téléconseil médical, en embuscade.

Et non ! D’un coup de baguette magique, une norme ne règle pas tout. C’est en tout cas le premier bilan que l’on peut tirer du décret d’octobre 2010 sur la télémédecine. Publié pour galvaniser l’univers longtemps dormeur de la télémédecine et celui de la télésanté, cet oukase semble pour l’heure sans grand effet sur le landerneau. Un exemple ? La gouvernance, tant attendue par plus d’un observateur sur le terrain, peine à sortir du mouchoir magique du gouvernement. Pourtant, « la maison brûle toujours », vous dira Ghislaine Alajouanine, présidente de la Commission Galien. (cf. interview p.). Cette lenteur, « apparente » pour Jean-Yves Robin, directeur de l’Asip Santé, cacherait un branle-bas de combat qui permettra progressivement à la France d’être à la pointe de la télémédecine, une chance pour notre pays, à plus d’un titre.

Maintenir la population âgée au domicile

Car le vieillissement de la population et l’augmentation de l'espérance de vie génèrent un net accroissement des dépenses liées aux soins dispensés par les hôpitaux aux personnes âgées. La télémédecine peut permettre de maintenir une partie de cette population à domicile, avec pour résultats des économies considérables. Selon l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, l’ouverture de 500 places en HAD par département aboutirait à une économie de 1,7 milliard d’euros. D’autre part, à l’heure où la démographie médicale est gravement souffrante, cette pratique peut aider à résorber la problématique de la pénurie de médecins dans certaines zones déficitaires. Une pénurie accentuée un peu plus par les agressions de professionnels de santé libéraux dans certaines zones. Rien que pour l’année 2010, elles seraient passées de 512 en 2009 à 920 en 2010, selon notre confrère Métro.

Comme pour vérifier la réaction des citoyens face à la possibilité de consulter leur médecin à distance, le groupe Pasteur Mutualité levait le voile sur une étude réalisée le 3 novembre 2010, c’est-à-dire dans la foulée de la publication du décret sur la télésanté. Un des enseignements phares de cette enquête : « 8 Français sur 10, ou plus précisément 81 % parmi eux ne sont pas encore prêts à consulter leur médecin à travers Internet. » Révélateur. De là à en conclure que la télémédecine laisse indifférents la majorité de patients dans l’Hexagone, il y a un pas que la logique et l’empirisme interdisent de franchir. Car d’abord, la télémédecine et la télésanté ne se limitent pas à la (télé)consultation sur Internet.

Deux nouveaux acteurs

En outre, l’expérience vient de prouver qu’une telle pratique a sa place dans le paysage médical depuis son entrée en vigueur légale le 1er janvier 2011. Car plus d’un acteur s’est engouffré dans cette brèche pour proposer une solution de téléconseil médical au public. C’est le cas de Wengo et Médecin Direct. L’un et l’autre ont profité de l’effet d’annonce du décret sur la télésanté pour lancer de nouveaux services. Le premier, qui est spécialisé en conseil via la téléphonie sur des thèmes assez particuliers (fiscalité, voyance), vient de lancer une prestation de téléconseil médical. Au cœur de cette offre, une plate-forme médicalisée émaillée de professionnels de santé (médecins régulateurs, etc.). Il s’adresse à des patients souhaitant obtenir une consultation par téléphone moyennant un coût de 2,50 euros par minute. Les cinq professionnels de santé mobilisés pour l’heure sur ce plateau d’un genre nouveau sont inscrits à l’Ordre des médecins. Wengo, qui les emploie, se défend d’intervenir dans le domaine de la télémédecine. Quoi qu’il en soit, cette pratique semble prendre sur le terrain. Le second intervenant a dévoilé l’offre Capital Santé.

Partie de la Suisse, cette pratique semble prendre sur le terrain. Des acteurs comme Mondial Assistance, qui l’a expérimentée dans la Confédération helvétique, semblent prêts à s’y essayer en France. Parmi ses objectifs, lutter contre le problème du manque de médecins dans certaines contrées.

Rapport Lasbordes

Quelles que soient ses motivations, le téléconseil intervient dans un monde de la télémédecine qui peine à démarrer. Constatant sa torpeur, l’État avait confié au député Lasbordes la rédaction d’un rapport ayant abouti à une quinzaine de recommandations, avec en prime un préambule fort : « mettre en place une délégation interministérielle sur la télésanté », avait indiqué l’élu. Parmi les propositions, un calendrier : « La première étape comprend surtout l’expérimentation en région de projets pilotes, sur deux ans. Dans la foulée débuterait la deuxième étape, sur trois ans, de généralisation des projets évalués. » Enfin, le parlementaire avait présenté les avantages de cette pratique : « un meilleur usage des urgences, le maintien à domicile, la réduction de la fracture sanitaire, une optimisation de la prise en charge de personnes âgées dépendantes et des prisonniers. »

Cinq dispositifs de télémédecine

S’appuyant sur ce travail, l’État a publié le décret sur la télésanté qui en fixe les contours et le contenu. Pour le législateur, « relèvent de la télémédecine les actes médicaux, réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Cinq ont été définis : il s’agit de la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale ; la réponse médicale donnée dans le cadre d'une régulation médicale (cf. encadré).

Ce cadre défini, avec en toile de fond la reconnaissance de l’acte de télémédecine et sa rémunération, tout semble réuni pour permettre un démarrage de cette pratique dans l’Hexagone. Pourtant, de colloque en conférences, le même discours revient, tel un leitmotiv, sans que des réalisations opérationnelles prennent le pas sur les pilotes conduits ici et là dans certains hôpitaux. Pour le directeur de l’Asip Santé, « la montée en charge de la télémédecine et plus généralement de la télésanté s’inscrit dans le temps ; il s’agit d’une lame de fond qui est appelée à traverser toutes les couches de notre société ».

Soit. Mais comment expliquer le retard à l’allumage ? Pour certains, tout devrait démarrer bientôt ; pour d’autres, le scandale du Laboratoire Servier est passé par là, reléguant au second plan un chantier considéré comme l’un des axes prioritaires du président de la République. Pour compliquer davantage la donne, le problème du financement de la télésanté reste sur le tapis. Si l’État doit y investir, ce ne sera jamais à hauteur des attentes de terrain, faute de moyens suffisants. Reste l’investissement privé. Mais on le sait, les capital riskers ne se bousculent pas aux portes du marché de la télésanté. Entre-temps, le Grand Emprunt devrait apporter son écot, quelque minime soit-il, au développement de cette pratique.

Cela dit, certains de ses domaines commencent à prendre corps, dans le sillage du plan dépendance. Ainsi, l’utilisation de la télémédecine pour assister à distance les personnes âgées et les maladies chroniques à la maison trouve une place de choix en France. Quand on sait que plus de la moitié de la population française aura plus de 50 ans en 2050, l’on estime que 20 % seront dépendants. D’ici là, espérons-le, la télémédecine aura trouvé sa voie.

Dossier réalisé par Gregg-Ivan Boumal

Source : Décision Santé: 274