« Permettre au citoyen, au patient de s'orienter dans le système, de retrouver l'information, de gérer ses données conduit à repenser les systèmes d'information », souligne Norbert Paquel, délégué général d'Edisanté et président du Comité de programme des Rencontres de l'Informatisation de l'univers santé social (Riuss). Cette manifestation, organisée les 23 et 24 juin à l'Institut Pasteur à Paris (1), a l'ambition d'ouvrir le débat entre professionnels de santé, fonctionnaires et responsables des collectivités, des organismes de protection sociale, des associations et des industriels prestataires autour de l'apport des TIC au décloisonnement de l'espace santé social.
« Le sujet reste en friche, observe Didier Guidoni, directeur du pôle service public-santé au sein d'Ineum Consulting, partenaire des rencontres. Mais tout est en place pour que les transformations nécessaires puissent s'opérer. Côté public, la réforme du DMP stimule les projets informatiques des établissements hospitaliers. Côté social, la loi de décentralisation aura des effets sur l'implication des conseils généraux. Et sur le terrain, le médecin libéral voit son rôle dans la prise en charge des personnes âgées (dans les maisons de retraite, les Ehpad, etc.) s'amplifier et il se retrouve au point de convergence de l'ensemble des acteurs ; de même que l'urgentiste. »
Un Intranet pour la communauté d'établissements.
Premier type de réponse expérimenté sur le terrain avec succès : la communauté d'établissements, telle qu'elle a pu être mise en œuvre à Hyères, dès le milieu des années 1990. « Nous avons à l'époque devancé les ordonnances Juppé et structuré notre communauté en GIE avec le CH de Hyères, le centre de rééducation fonctionnelle et de soins de suite de la Mgen et une association spécialisée dans la prise en charge du handicap », raconte le Dr Guy Sevoz, directeur du centre gériatrique COS Beauséjour (2). « Faisant le constat que nous traitions les mêmes patients, nous avons surtout essayé de mettre en place des complémentarités, formalisées par convention et soutenues par la mise en œuvre de deux outils : un Intranet pour les échanges de données médicales et une cellule médico-sociale, gérée par une assistante sociale, qui anticipe les mouvements de patients et fluidifie leur parcours dans les filières déclinées au sein de la communauté. »
La communauté d'établissements a adopté un identifiant patient unique et les données traitées par le système d'information de l'hôpital, y compris radiologie et biologie, sont accessibles, de façon sécurisée, de tout autre centre. « Nous avons un dossier partagé, médico-social (même si les données médicales et sociales ne sont pas mélangées), favorable à la continuité des soins et l'action de la cellule médico-sociale a permis de réduire la durée moyenne de séjour », indique le Dr Guy Sevoz. « Il nous reste maintenant à passer au dossier médical unique et surtout à nous ouvrir sur l'extérieur pour assurer la continuité de prise en charge avec la ville : c'est l'objectif du réseau de santé en gérontologie qui doit démarrer le mois prochain avec l'aide de la dotation régionale au développement des réseaux. »
Le mobile suit la prise en charge.
Dans la région de Lille, l'association spécialisée dans les alternatives à l'hospitalisation, Santelys, a fait appel à la société d'ingénierie Hippocad pour gérer les interventions des aides-soignantes en HAD. L'expérimentation, commencée en février dernier, concerne 60 lits et devrait être prochainement élargie à 120 lits. Dotée d'un téléphone mobile de technologie Edge, qui sait lire les codes-barres, l'aide-soignante est identifiée par sa carte SIM et peut communiquer avec une plate-forme (développée pour la coordination de l'HAD) pour signaler, simplement et rapidement, si elle a pu réaliser l'intervention prévue, à quelle heure, ou encore si le patient a besoin d'un contact médical. « Nous ne gérons pas les données médicales, mais les aspects logistiques et les processus », précise Ugo Habermann, directeur associé d'Hippocad (3). En amont, le coordinateur optimise la planification des interventions et s'assure qu'aucun patient ne sera oublié. En aval, il est alerté si un soin n'a pas pu être réalisé. Outil de traçabilité de la prise en charge dans un contexte de mobilité, la plate-forme facilite également l'analyse de coûts. « Une attente forte en HAD à l'heure de la T2A (tarification à l'acte) et une demande des conseils généraux qui paient le plus souvent en aveugle aide-ménagère et repas à domicile », note Ugo Habermann.
Suivi médical à domicile
La T2A ne peut en effet qu'inciter les hôpitaux à ne plus garder les malades dans leur lit. Et c'est peut-être ce qui, avec la politique de fermeture des lits hospitaliers, fera le succès de projet européen « Maintien médicalisé à domicile » auquel sont associés Axa Assistance, Eurogroup et France Télécom. Une expérimentation de dix-huit mois démarre fin juin dans différents services de cancérologie de plusieurs pays : deux hôpitaux publics à Rome et à Milan, l'hôpital Saint-Luc de Bruxelles, le CHU de Grenoble et la clinique du Parc à Saint-Etienne et bientôt un établissement polonais. Les malades qui remplissent les critères d'inclusion (entourage familial et niveau socioculturel suffisant notamment) se voient proposer de rentrer précocement à domicile en ayant des soins équivalents à ceux qu'ils auraient à l'hôpital (y compris les chimiothérapies). On installe chez eux un ViSadom, sorte de visiophone amélioré développé par France Télécom et doté d'une caméra avec zoom qui permet de montrer par exemple un graphique (le patient reçoit aussi un appareil de mesure multifonctions). Le médecin traitant ou l'infirmière peuvent aussi s'en servir lorsqu'ils passent au domicile pour transmettre des données ou avoir accès au dossier patient. Le ViSadom est en effet relié au service hospitalier (qui intervient comme expert) et au bureau de médecins régulateurs d'Axa Assistance qui assure la surveillance 24 h/24 et héberge les dossiers médicaux le temps de l'assistance à domicile, explique le Dr Gilles Cochon, directeur médical d'Axa Assistance internationale. Objectif de l'expérimentation, après un premier test mené en Italie avec des patients diabétiques : montrer que la durée de survie des patients est améliorée par un retour précoce à domicile et que les frais d'hospitalisation sont réduits d'environ 50 %. D'un montant de 2,4 millions d'euros (financé pour moitié par l'Union européenne et pour moitié par les partenaires), le projet MCC comporte aussi un volet étude de marché pour définir les besoins des hôpitaux ou des maisons de retraite et les types de pathologie concernés (pathologies stabilisées).
La décision médicale à distance en maison de retraite.
A Toulouse et à Lille, c'est un chariot « télé-Infirmière » qui est en cours d'évaluation dans le cadre d'un projet d'assistance médicale à distance pour les maisons de retraite et les maisons d'accueil pour personnes âgées.
Développé par Tam-Télésanté en collaboration avec le Medes, l'Inserm, France Télécom recherche & développement et le laboratoire lillois Evalab d'évaluation des nouvelles technologies en santé, il s'agit d'un chariot hospitalier classique qui remplit toutes les fonctions nécessaires à l'infirmière. Mais il va lui permettre, en outre, de communiquer avec un médecin par visiophonie et de lui envoyer tous les paramètres indispensables à une prise de décision (poids, tension, etc). Le chariot transporte en effet ordinateur portable et appareils de mesure équipés de capteurs pour assurer la transmission des données par radio. « Attention, ce n'est pas un automate, insiste le Dr Jean-Luc Weber, généraliste et ingénieur aéronautique à l'origine de Tam-Télésanté (4). La place de l'infirmière est essentielle dans la saisie de l'information, de même que sa complicité avec le médecin à distance qui va prendre une décision de modification thérapeutique ou d'hospitalisation. » L'évaluation du chariot, qui doit se terminer à la fin de l'année, permet de vérifier s'il est facile à manier en toutes circonstances, de valider l'ergonomie de la visiophonie, de confirmer les situations dans lesquelles il se révèle efficace. « Il y a, en plus, un feed-back immédiat du médecin, une décision thérapeutique », souligne Jean-Luc Weber.
Le vieillissement de la population a en tout cas stimulé les ingénieurs ces dernières années. Ainsi, à Grenoble encore, le Laboratoire TIM-C concourt à la recherche sur l'habitat intelligent pour la santé (5). La faculté de médecine abrite un appartement d'apparence banal. Sauf que ses murs sont truffés de sondeurs infrarouges qui ont pour mission de transmettre aux services sociaux et médicaux des données biologiques concernant son occupant, représenté, sur un ordinateur, tel un avatar qui se déplace dans un modèle en trois dimensions de l'appartement. Ce clone virtuel (tout comme les personnages de jeux vidéo) permet de retracer l'activité physique du patient et d'observer une éventuelle chute. Le projet Ailisa (appartement intelligent pour une longévité affective) est en phase d'expérimentation jusqu'à fin 2006 sur quatre plates-formes : une chambre de l'hôpital Charles-Foix d'Ivry, une autre au CHU de la Grave à Toulouse et chez deux personnes du foyer Notre-Dame à Grenoble. Les personnes ou leur chambre sont équipées de capteurs dont les données seront consultables à distance. Les chercheurs font l'hypothèse qu'une personne en bonne santé a un certain rythme d'activités et qu'un changement de rythme (décelé par les capteurs) marque la survenue d'un problème de santé.
A Paris, cet été, à la résidence Brune de Medipep, groupe privé spécialisé dans la prise en charge des personnes dépendantes, sera testé en partenariat avec Orange l'acceptation d'un bracelet-téléphone équipé d'un système de géolocalisation GPS. Le tout pèse 100 g et doit permettre de retrouver une personne qui s'égare.
A Nice-Sophia Antipolis, les équipes de Mbds Valorisation font preuve d'une approche pragmatique. L'association homologuée par l'université de Nice pour encadrer les étudiants du mastère « Multimedia, bases de données et intégration de systèmes », a vocation à élaborer des prototypes en partenariat avec des entreprises et elle s'intéresse de plus en plus largement au secteur santé social (6). Elle a par exemple développé, avec les technologies Oracle, et notamment la plate-forme HTB (Healthcare Transaction Base), le projet Meals@Home qui consiste à intégrer suivi de la prescription nutritionnelle (avec contrôle de l'observance d'un régime) et respect des goûts du patient à un service de commande et de livraison de repas à domicile. Après consultation du dossier médical, le nutritionniste prescrit électroniquement un régime alimentaire adapté aux problèmes de santé de la personne. Quand celle-ci se connecte, elle choisit parmi une liste de menus et la commande est transmise au livreur. A la livraison, l'utilisation de la technologie Rfid permet de vérifier que le bon plateau est remis au bon client. Le livreur peut, en outre, envoyer un SMS d'alerte au médecin traitant, aux services sociaux ou à la famille s'il observe un événement inhabituel (par exemple, la personne est restée au lit lors de la livraison). Après ce premier démonstrateur réalisé durant l'année 2003-2004, la chef de projet de Mbds Valorisation, a travaillé sur un autre prototype, Care@Home, pour la prise en charge coordonnée à domicile de maladies chroniques telles que le diabète.
Reste maintenant à mettre ce type de services en situation réelle. Et surtout à définir qui va offrir quoi, selon quel mode de financement...
Il reste beaucoup de questions sur le mode de tarification, rappelle Didier Guidoni, qui accompagne les conseils généraux sur ces problématiques. « Il va falloir être innovant à l'avenir ! » Les débats des Riuss devraient en tout cas stimuler la réflexion.
(1) Programme et inscriptions : www.rencontressantesocial.com.
(2) Présent le 23 juin à 9 h 30 pour un atelier des RIUSS.
(3)Présent le 23 juin à 16 h 30 pour un atelier des RIUSS.
(4) www.tamtelesante.com.
(5 ) www-timc.imag.fr .
(6) www.mbds-fr.org.
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