Il est bien difficile de dresser un premier bilan de l'expérimentation de la tarification à l'activité, désormais baptisée « T2A », six mois après son lancement et six mois avant la généralisation prévue de ce nouveau mode de financement à tous les établissements de santé.
Au ministère de la Santé, la direction de l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins (DHOS) est peu bavarde sur la question. Unique commentaire : l'expérimentation se déroule correctement, un état des lieux précis du traitement de l'information médico-économique a pu être dressé dans les 60 sites volontaires (21 hôpitaux publics, 8 hôpitaux privés à but non lucratif, 29 cliniques privées à but lucratif, 2 centres de lutte contre le cancer). Mais pour l'heure, aucune application de la T2A, même virtuelle, n'a eu lieu sur le terrain (voir entretien ci-dessous). L'expérimentation, fondée sur le codage fictif des actes, ne commencera qu'en octobre 2003, ce qui ne manque pas d'inquiéter les directeurs d'hôpitaux, qui n'ont aucun détail sur la façon dont ils devront mettre en uvre la réforme le premier janvier prochain.
« Ça traîne, car les arbitrages ne sont pas pris, indique le directeur du centre hospitalier de Saint-Cloud, qui fait partie de la mission ministérielle sur la tarification à l'activité. Trois schémas d'application sont envisagés pour les hôpitaux, et on ne saura qu'à la fin du mois, voire à l'automne, lequel la DHOS a retenu. » Jean-Yves Laffont résume son inquiétude : « L'outil T2A n'est pas mauvais en soi, mais il n'est pas prêt. »
Pour affirmer cela, le directeur de l'hôpital de Saint-Cloud, par ailleurs vice-président de l'UHRIF (union des hôpitaux de la région Ile-de-France), se fonde sur les résultats de l'enquête menée par la mission T2A en début d'année auprès des 60 sites expérimentateurs. L'étude montre que les médecins codent le PMSI (programme médicalisé du système d'information) trop lentement : « Au lieu de se faire tous les trois mois, le codage devra se faire tous les mois, voire au jour le jour avec la T2A, rappelle Jean-Yves Laffont. Cette accélération du rythme de production des RSS (résumés de sortie standardisés) est vitale pour l'hôpital, puisque l'obtention des recettes en dépend. »
Dans leur ensemble, les directeurs d'hôpital sont d'accord pour appliquer la T2A, « outil de dynamisme et de stratégie », pense Jean-Yves Laffont. Mais ils ont peur, car bon nombre de questions restent en suspens. Un exemple : la T2A va permettre de distinguer clairement les services hospitaliers rentables des services coûteux, comme dans le secteur privé. « Va-t-on maintenir un service non rentable ?, s'interroge Jean-Yves Laffont. Ou alors, va-t-on réunir deux services non rentables pour en faire un service rentable grâce à des restructurations et des réductions de personnel ? Et dans ce cas, qui va mener les restructurations, qui prendra la décision d'envoyer telle infirmière ou tel médecin dans un autre service ou un autre établissement ?»
Envisagée sous cet angle, la T2A risque fort de modifier la gouvernance hospitalière. Et les directeurs ne se sentent pas aidés pour faire face à de telles conséquences.
Autre danger que souligne le vice-président de l'UHRIF : la T2A va peut-être déclencher une logique productiviste chez les médecins. Des dérives sont alors à prévoir : le praticien pourra être tenté de baisser les coûts en diminuant la qualité des soins ou en sélectionnant les malades les moins chers. Ou à l'inverse, pour accroître les recettes de son service, le médecin ira à la chasse du malade : s'il lui manque quinze opérations pour remplir son quota à telle date, il fera venir les malades à tout prix, imagine Jean-Yves Laffont.
Mais la principale crainte du vice-président de l'UHRIF est ailleurs : il redoute que les médecins revendicatifs n'abusent de leur nouveau pouvoir pour paralyser toutes les payes. « Du jour au lendemain, les médecins hospitaliers vont devenir le fournisseur essentiel de l'information nécessaire pour que l'hôpital touche ses recettes, explique-t-il. La T2A leur donne un moyen de pression énorme : il leur suffit de ne plus transmettre l'information, et, presque immédiatement, l'hôpital n'aura plus de recettes. Le directeur sera alors dans l'incapacité de payer ses salariés. »
Le directeur adjoint du centre hospitalier de Blois, Patrick Expert, ne partage pas cet avis : « Je ne crois pas à cette bombe à retardement ; les médecins seront responsables. Je leur fais confiance, ils seront également capables de fournir les données du PMSI plus vite. Je ne comprends pas ceux qui disent que l'état des lieux dressé par la mission sur la T2A est négatif. Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain, l'application aura bien lieu l'an prochain, mais de façon progressive, ce qui permettra les ajustements techniques nécessaires. »
Côté cliniques privées, on a « de fortes raisons » d'être inquiet, déclare Olivier Toma, qui dirige la clinique Champeau à Béziers, autre site expérimentateur de la T2A. « La tarification à l'activité représente un enjeu énorme pour l'hospitalisation privée », affirme-t-il. « Or, telle qu'elle est envisagée, la réforme n'aboutira à aucune égalité de traitement entre les secteurs public et privé, ni même entre cliniques, contrairement à ce qu'avait promis Jacques Chirac, puisque la grille de tarifs des hôpitaux ne sera pas la même que celle des cliniques, et puisque chaque clinique recevra un coefficient correcteur qui va pérenniser des distorsions tarifaires observées depuis plusieurs années. De plus, la nouvelle échelle de valeur sera calculée sur le PMSI et non sur le coût réel de l'acte, c'est illogique. Si les cliniques n'obtiennent pas une harmonisation par le haut de leurs tarifs, elles ne s'en sortiront pas », conclut Olivier Toma .
Les syndicats de médecins libéraux sont également mécontents. Trois d'entre eux (UMESPE, UCCSF, UCF) incitent les praticiens « à ne participer à aucune des commissions techniques » sur la T2A, pour protester contre l'absence de rémunération prévue pour compenser le travail administratif supplémentaire occasionné par la réforme.
L'objectif de la réforme
Le gouvernement veut harmoniser le mode de financement entre les secteurs hospitaliers public et privé. A terme, la tarification à l'activité, ou « T2A », remplacera la dotation globale des hôpitaux et l'objectif quantifié national des cliniques. Cette substitution se fera par étapes. Le calendrier n'est pas arrêté mais le gouvernement semble pencher pour une mise en uvre étalée sur plusieurs années pour les hôpitaux publics : 90 % au minimum des ressources versées au secteur public en 2004 le seront sous forme de dotation globale, et le reste sous forme de T2A. En 2005, le rapport sera 80 %/20 %, et ainsi de suite. Pour les cliniques, le scénario est déjà arrêté. Le principe de la rémunération au séjour demeure ; une nouvelle échelle des tarifs est en cours d'élaboration, différente de celle du secteur public. Avec ce nouveau système d'allocations des ressources, chaque établissement de santé, qu'il soit public ou privé, sera rémunéré en fonction de la nature et du volume de son activité. Seules les missions de soins du secteur MCO (court séjour) seront concernées par la réforme. Les missions de service public (enseignement, urgences...) seront quant à elles rémunérées par des forfaits ou des financements mixtes.
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