Les éléments
La cirrhose est une maladie fréquente (de 150 à 250 cas pour 100 000 habitants) et grave (15 000 décès par an). La cirrhose compensée étant asymptomatique, la clinique est essentielle : consistance dure du foie, signes d’hypertension portale : splénomégalie, circulation veineuse collatérale et/ou d’insuffisance hépatocellulaire : angiomes stellaires, érythrose palmaire, ongles blancs.
Biologiquement, on accordera de la valeur à une diminution du temps de Quick (inférieur à 70 %), à une diminution des plaquettes et des globules blancs. Il existe dans un petit nombre de cas sur l’électrophorèse des protéines une fusion entre le pic des bêta- et des gammaglobulines réalisant un bloc bêta-gamma pathognomonique de la cirrhose.
L’échographie du foie peut montrer des signes d’hypertension portale : splénomégalie, augmentation du diamètre de la veine porte et un foie dysmorphique.
La fibroscopie oesophagienne, lorsqu’elle montre des varices oesophagiennes de grade 2 ou 3, affirme l’hypertension portale, mais n’a de valeur que positive, l’absence de varices ne permettant pas d’exclure la cirrhose.
L’appréciation de la dureté du foie par une onde ultrasonore (le Fibroscan) dont le résultat est exprimé en kPascal est un examen non invasif utile au diagnostic. Au-delà de 13 kPa, la probabilité d’avoir une cirrhose est élevée. Entre 27 et 75 kPa, il y a une corrélation avec l’importance de l’hypertension portale. La biopsie du foie reste encore l’étalon or, affirmant le diagnostic et apportant souvent une orientation diagnostique. Cependant, on pourrait proposer le dépistage d’une fibrose significative par le Fibroscan dans des populations à risque que sont les alcooliques chroniques, les porteurs des virus B et C, les malades atteints d’hémochromatose et les malades ayant un surpoids et une insulinorésistance, responsables d’hépatite pseudo-alcoolique, puis de cirrhose (chez ces malades obèses, le Fibroscan n’est cependant pas possible).
Surveillance
La surveillancecomportele dépistage du carcinome hépatocellulaire(CHC)et la recherche des signes endoscopiques d’hypertension portale.
Le CHC doit être dépisté car lorsqu’il devient symptomatique, il ne peut pas être traité efficacement. Il survient huit fois sur dix sur une cirrhose. Les malades chez lesquels le diagnostic de cirrhose a été porté doivent bénéficier d’une échographie tous les six mois. On peut y coupler le dosage de l’alphafoetoprotéine, mais peu sensible. Malheureusement, et cela s’explique par le caractère latent de la cirrhose, une fois sur deux, la cirrhose n’avait pas été diagnostiquée et on découvre en même temps le CHC et la cirrhose à l’occasion d’une décompensation de celle-ci.
La recherche d’une hypertension portale est réalisée par une fibroscopie, à faire, quelle que soit la gravité de la cirrhose. La constatation de varices oesogastriques de taille significative justifie la prescription de bêtabloquants non cardiosélectifs, qui diminuent le risque d’hémorragies digestives et augmentent la survie. En présence de varices de petite taille ou en leur absence, la fibroscopie doit être répétée dans un délai de un à trois ans. Le traitement doit être poursuivi à vie et les malades informés du risque qu’il y a à interrompre le traitement. Lorsqu’il existe une contre-indication aux bêtabloquants, une mauvaise observance ou une intolérance, et que les varices sont volumineuses, on peut proposer un programme de ligatures des varices en prophylactique.
La cirrhose peut aussi être diagnostiquée à l’occasion d’unecomplication: CHC, hématémèse ou un méléna, ascite, encéphalopathie ou ictère. Ces complications peuvent être isolées ou associées; leur pronostic est variable, allant de plusieurs années de survie en l’absence de complications à quelques semaines ou mois lorsqu’elles sont associées.
Carcinome hépatocellulaire
Toute apparition de nodule sur un foie cirrhotique est suspect d’être un CHC. Il faut : 1) affirmer le diagnostic ; 2) apprécier son importance et son extension ; 3) apprécier la gravité de la cirrhose.
1. Lorsque l’alfafoetoprotéine est très élevée (> 400 ng/l) le diagnostic est certain, mais cette éventualité est peu fréquente. Lorsque deux examens d’imagerie sont concordants, le diagnostic peut être retenu. Dans les autres cas, la biopsie échoguidée est discutée.
2) Apprécier son importance et son extension : le traitement est possible en cas de nodule unique de moins de 5 cm de diamètre ou de moins de trois nodules de moins de 3 cm de diamètre chacun. Au-delà, les possibilités thérapeutiques sont quasi nulles, de même lorsqu’il s’y associe une thrombose porte et/ou des métastases.
3) La gravité de la cirrhose conditionne le pronostic.
Hémorragie digestive
L’hémorragie digestive doit être prévenue par la prescription de bêtabloquants non cardiosélectifs, l’éviction de l’acide acétylsalicylique et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Lorsqu’elle survient, elle impose l’hospitalisation. Un traitement vasoactif doit être mis en route dès que possible, associé au remplissage vasculaire. La fibroscopie oesogastrique permet le diagnostic et les premiers gestes d’hémostase. Même en l’absence d’infection, une antibiothérapie pendant sept jours avec de la norfloxacine est recommandée. Une fois l’épisode aigu passé, un traitement prophylactique de la récidive repose soit sur la prescription de bêtabloquants, soit sur la ligature des varices oesophagiennes. Quatre à six séances de ligature espacées de deux à trois semaines sont habituellement nécessaires pour obtenir une éradication. Une fois celle-ci obtenue, des contrôles endoscopiques sont nécessaires à intervalles réguliers.
L’ascite et ses complications
L’ascite est due essentiellement à l’hypertension portale, elle se manifeste par une augmentation du poids et du périmètre ombilical, parfois des oedèmes des membres inférieurs associés, une diurèse sodée faible. La ponction montre qu’il s’agit d’un transsudat, peu riche en cellules et non infecté, contenant moins de 250 polynucléaires par mm3. En première intention, le régime pauvre en sel (2 à 3 g/jour), associé à la spironolactone, peut suffire à assécher l’ascite. La perte de poids ne doit pas être trop rapide (< 1 kg/j si oedèmes des membres inférieurs associés et < 500 g/j en cas d’ascite seule). Il faut surveiller natrémie, kaliémie et créatinine une à deux fois par semaine. Les ponctions évacuatrices sont parfois nécessaires lorsqu’il existe une gêne.
L’ascite réfractaire se définit par la récidive précoce de l’ascite malgré un régime sans sel bien suivi et de fortes doses de diurétiques (400 mg/j de spironolactone et 160 mg/j de furosémide), ou par des complications induites par les diurétiques obligeant à leur arrêt de type hyponatrémie inférieure à 125 mEq/l ou insuffisance rénale, en l’absence de prises d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, formellement contre-indiqués.
L’ascite infectée: dans la majorité des cas, il s’agit d’une infection spontanée sans foyer septique abdominal, qui s’observe surtout chez les malades ayant une insuffisance hépatocellulaire sévère, une hémorragie digestive, une concentration de l’ascite en protides particulièrement basse (inférieure à 10 g/l) et un antécédent d’infection du liquide d’ascite. Le diagnostic est suspecté devant des douleurs abdominales, une fièvre, une encéphalopathie, une insuffisance rénale ; elle peut avoir été précédée d’une diarrhée. Dans l’ascite, il y a plus de 250 polynucléaires neutrophiles/mm3. La positivité de l’asciculture n’est pas obligatoire pour poser le diagnostic d’infection. Le traitement repose sur une antibiothérapie. Le risque de récidive étant élevé, une antibiothérapie prophylactique (norfloxacine 400 mg/jour) au long cours est recommandée.
Le syndrome hépatorénal est une insuffisance rénale fonctionnelle qui complique une cirrhose avec insuffisance hépatocellulaire sévère et ascite réfractaire. Cinq critères doivent être présents pour l’affirmer : hépatopathie sévère, clairance de la créatinine inférieure à 40 ml/min ou créatinine supérieure à 130 µmol/l, absence de cause à l’insuffisance rénale (pertes hydriques digestives ou rénales, état de choc, infection bactérienne, prise de produits néphrotoxiques, absence de néphropathie ou d’obstacle sur les voies urinaires), protéinurie des vingt-quatre heures inférieure à 500 mg/dl, absence d’amélioration de la fonction rénale après arrêt des diurétiques et expansion volémique avec 1,5 l de sérum salé. Il existe deux types de syndrome hépatorénal : le type 1 défini par une insuffisance rénale aiguë rapidement évolutive et le type 2 caractérisé par une insuffisance rénale moins sévère.
Encéphalopathie
L’encéphalopathie est diagnostiquée devant des troubles de la conscience et un flapping tremor. Il faut en rechercher la cause : hémorragie digestive, infection en particulier du liquide d’ascite, absorption de médicaments (sédatifs, métoclopramide contre-indiqués), troubles hydroélectrolytiques.
Ictère
L’ictère a des causes multiples, le plus souvent en cas de cirrhose alcoolique, il s’agit d’une hépatite alcoolique aiguë. Après une période d’intoxication alcoolique importante, survient un ictère et une fébricule. Biologiquement, la bilirubinémie est augmentée et s’associe à une augmentation modérée des transaminases avec un rapport ASAT/ALAT supérieur à 1. La gamma-glutamyltransférase est souvent très élevée et le taux de prothrombine abaissé. La mortalité spontanée à trente jours est de 35 % lorsqu’il existe une encéphalopathie et/ou un ictère particulièrement intense et un taux de prothrombine particulièrement bas attesté par un indice de Maddrey supérieur à 32 [indice de Maddrey = 4,6 x (temps de prothrombine du malade – celui du témoin) + (bilirubine en µmol/l divisé par 17)]. Dans ce cas, il faut hospitaliser le patient, confirmer le diagnostic par une biopsie du foie et instituer une corticothérapie, qui diminue la mortalité.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature