De notre correspondante
à New York
L'ACCUMULATION et l'agrégation des peptides amyloïde bêta (A-bêta), autour et à l'intérieur des neurones du cerveau, conduit à mort des neurones et concourt au développement de la maladie d'Alzheimer.
Une approche préventive ou thérapeutique pourrait donc consister à bloquer les interactions protéines-protéines entre les peptides A-bêta.
Toutefois, ce processus est extrêmement difficile à inhiber, en dépit de trente années de recherche. En partie parce que les médicaments traditionnels de faible poids moléculaire destinés à inhiber l'interaction entre protéines sont beaucoup plus petits que les protéines.
Le Dr Isabella Graef, qui a dirigé le nouveau travail à l'université de Stanford en Californie, propose au « Quotidien » une amusante analogie : « C'est comme si l'on essayait d'empêcher deux bandes Velcro d'adhérer l'une à l'autre (les protéines A-bêta), en glissant un grain de sel (médicament) entre les deux bandes. » Des concentrations très élevées de petites molécules médicamenteuses seraient donc nécessaires pour inhiber l'agrégation protéique, impossible à obtenir dans un contexte thérapeutique.
L'équipe du Dr Graef décrit aujourd'hui dans la revue « Science » une nouvelle stratégie pour développer des petites molécules médicamenteuses capables d'inhiber les interactions protéines-protéines. Son originalité vient de ce que ces médicaments peuvent utiliser des protéines à l'intérieur de la cellule pour former des complexes inhibiteurs.
Les chercheurs ont développé une petite molécule bifonctionnelle présentant un site de fixation pour l'amyloïde bêta et un autre site de fixation pour une molécule chaperonne (de la famille FKBP), afin que celle-ci permette d'atteindre le volume nécessaire pour inhiber l'interaction entre protéines. Les molécules chaperonnes sont parfaites pour cette approche car elles se lient à des protéines pliées ou mal pliées.
« Cela pourrait être comparé au grain de sel brandissant maintenant la masse d'une balle de tennis », propose le Dr Graef.
Le cheval de Troie.
« Nous appelons cette stratégie une "stratégie du cheval de Troie", puisque le médicament entre d'abord dans la cellule, et ce n'est qu'à l'intérieur qu'il révèle son vrai potentiel inhibiteur. »
Une première petite molécule prototype a été synthétisée (SLF-CR), en unissant le composé organique Rouge Congo (CR), un ligand de l'amyloïde, au composé SLF, un ligand synthétique des Fkbp. D'autres petites molécules analogues à l'activité inhibitrice plus puissante ont ensuite été synthétisées (par exemple, SLF-Benz-CR).
Les chercheurs montrent in vitro que cette nouvelle classe de médicaments SLF-CR peut, en recrutant le Fkbp, bloquer l'agrégation d'amyloïde et prévenir la mort des neurones hippocampiques exposés à l'amyloïde bêta.
« Nos résultats indiquent que le recrutement des molécules chaperonnes peut bloquer la formation des fibrilles A-bêta et réduire considérablement la toxicité de l'A-bêta », concluent les chercheurs.
Une nouvelle classe de médicaments qui bloque la toxicité envers les neurones.
« Cette nouvelle classe de médicaments bloque la toxicité envers les neurones à des concentrations bien plus faibles que celles qui ont été précédemment rapportées pour d'autres médicaments n'utilisant pas ce mécanisme », souligne le Dr Graef. « Nous pensons donc que cette approche permettra de bloquer l'agrégation de l'A-bêta à des concentrations exemptes de toxicité ».
Cette approche qui cible l'agrégation, un événement purement pathologique dans le développement de la maladie d'Alzheimer, pourrait constituer un appoint thérapeutique précieux, en complément des récents efforts pour réduire le taux de libération de l'amyloïde bêta, et pour majorer son élimination.
L'équipe développe donc une seconde génération de molécules ; génération qui pourrait être évaluée dans des modèles animaux. Le chemin est encore long avant qu'un tel médicament puisse convenir pour le traitement des patients, prévient bien évidemment le Dr Graef.
Enfin, remarque-t-elle, « cette approche peut également être appliquée à d'autres maladies, comme le cancer et les infections virales, dans lesquelles les interactions protéines-protéines sont des étapes régulatrices clés ».
« Science » du 29 octobre 2004, p. 865.
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