CINEMA
DE NOTRE ENVOYEE SPECIALE
RENEE CARTON
A PRES « Journal intime » et « Aprile », Nanni Moretti, 47 ans, délaisse la veine autobiographique sans lâcher ses obsessions personnelles. Il avait depuis longtemps l'idée de faire un film sur la mort des autres, la façon dont on réagit après la mort d'une personne qu'on aime, et il l'a développée, après « Aprile », avec deux co-scénaristes, Heidrun Schleef et Linda Ferri. En se donnant comme toujours le rôle principal, celui d'un psychanalyste. Ce qui lui offre l'occasion, une fois de plus, de faire rire de la souffrance, à travers de savoureux portraits de névrosés de la plus belle eau.
Mais le cur du film, on le sait, c'est la mort du fils. L'irruption de l'irréversible dans une famille bourgeoise unie, la douleur indicible qui dérègle des pans entiers de la réalité. Le père (Moretti), la mère (Laura Morante), la sur (Jasmine Trinca), chacun réagit à sa manière. C'est très juste, sans fioritures et il est difficile de ne pas partager, le temps du film, cette peine insupportable, signifiée souvent par de petits incidents du quotidien. Auteur, scénariste, acteur, producteur (avec sa société Sacher) et même exploitant de salle, Nanni Moretti est un homme-orchestre qui n'a jamais « été effleuré par la crise du cinéma » car, dit-il au « Film français », « jai toujours eu du plaisir à voir les films des autres ». Ce plaisir du cinéma, il s'exprime cette fois par l'évocation de sentiments que chacun peut comprendre - et redouter. A partir d'un tel sujet, il était sans doute difficile (certains diraient inconvenant), de se lancer dans des artifices de mise en scène. On peut par moments le regretter, en se contentant d'admirer la solide direction d'acteurs, la touchante Laura Morante en tête.
« Taurus », d'Alexandre Sokourov
Lénine, en voie de disparition
Tout est dans le titre, le taureau révéré et sacrificiel, et les intentions, montrer un homme de pouvoir dans son intimité et sa destruction. Le film, lui, est aride, peu expressif. Lénine se meurt et l'on s'agite autour de lui, Lénine est mort.
T AURUS est la traduction du russe Telets (jeune taureau), mot qui renvoie à la racine Telts (soulever, porter) et au grec tolas (la souffrance) ; sans oublier le taureau objet de sacrifice ou celui devant lequel on se prosterne, et encore le Minotaure, monstre et victime tout à la fois.
« Taurus », donc. Après « Moloch », qui évoquait Hitler, c'est le deuxième film d'une tétralogie que le Russe Sokourov entend consacrer aux hommes au pouvoir au XXe siècle. Car, explique-t-il, « nulle part ailleurs qu'en Russie, ni avec une telle constance, le pouvoir n'a été aussi impitoyable avec ses compatriotes (...) Et nulle part ailleurs qu'en Russie, la vie de chacun, sous tous ses aspects, est aussi fortement liée au pouvoir. Et c'est pourquoi la question du pouvoir est, pour l'absolue majorité des Russes, une question qui touche à la sphère la plus intime de l'individu ».
Le pouvoir, au moment où Sokourov le saisit, en 1923, Lénine ne l'a plus. Il a été victime d'une attaque et, très diminué, se retrouve dans une maison mise à sa disposition, infantilisé par son médecin et son entourage, et par Staline, qui vient se repaître de sa décrépitude. Pas d'explications, pas de théorisation, un homme filmé dans sa déchéance physique ; au spectateur, russe ou non, de savoir ce qu'il a été, ce que son nom représente de puissance et de violence. Sokourov, qui signe lui-même l'image, noie son sujet dans les brumes qu'il affectionne puis dans des verts trop campagnards pour être honnêtes.
Soljenitsyne a beaucoup aimé le film qui, selon lui, « donne à voir, dans sa chair, l'impasse de la vie bouillonnante, pleine de génie, dévastatrice et sans pitié que fut celle de ce leader fanatique ». Ce n'est pas aussi simple que cela et « Taurus » n'est pas si explicite, bien loin de là. Mais c'est un film qui angoisse par son vide même. C'était aussi, semble-t-il, le but recherché.
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