L 'OUVERTURE, le 25 juin à New York, d'une session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies sur le VIH/SIDA est une première dans l'histoire des Nations unies. Aucune autre session n'avait jamais été consacrée à une question touchant la santé.
Selon l'ONUSIDA, le programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA, « ce seul fait indique la présence d'un consensus au sein des Nations unies, à savoir que le VIH/SIDA est bien plus qu'un problème de santé et qu'il représente une menace considérable pour le développement humain et économique dans le monde, mais aussi pour la sécurité de chaque nation ».
Pour les Etats membres des Nations unies, la session extraordinaire est l'occasion unique de collaborer à des stratégies de lutte contre l'épidémie et d'attirer l'attention internationale sur la nécessité d'ouvrir de nouvelles voies de coopération.
Des dons des Etats et du secteur privé
Quelque 180 délégations de haut niveau représentant les Etats membres, parmi lesquels plus de 20 chefs d'Etat, et quelque 2 000 représentants de plus de 500 organisations non gouvernementales sont attendus à New York durant trois jours (les 25, 26 et 27 juin). Ils devraient parvenir à adopter une déclaration d'engagement de 36 pages sur un programme mondial de lutte contre le VIH et le SIDA. Les Etats-Unis cherchent d'ailleurs un compromis sur le langage qui sera retenu dans cette déclaration et qui fait l'objet d'une controverse avec les pays musulmans. L'évocation des groupes les plus vulnérables face à la maladie, soit les homosexuels, les toxicomanes et les prostituées pose problème : les pays musulmans ont fait valoir que leur conduite est condamnée par la loi islamique et qu'elle reste illégale dans plusieurs pays.
Selon le patron de la division VIH/SIDA au sein de l'agence de développement international, Paul De Lay, les Nations unies tentent donc de trouver un terrain d'entente pour tenir compte des objections religieuses à certains comportements à risques comme des moyens efficaces de prévenir la maladie. L'une des solutions consisterait à promouvoir l'abstinence sexuelle et la fidélité dans le cadre du mariage.
Certes, les Etats membres se doivent d'ouvrir de nouvelles voies de coopération dans la lutte contre le VIH/SIDA. Mais cela doit s'accompagner d'une augmentation des ressources consacrées à la lutte contre la maladie. Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, attend de la communauté internationale qu'elle abonde largement au nouveau fonds mondial pour la santé qu'il a lancé lors du sommet africain sur le SIDA, fin avril, à Abuja au Nigeria. Son idée est de disposer d'un fonds de plusieurs milliards de dollars, financé par les gouvernements et le secteur privé, pour combattre le SIDA et d'autres maladies infectieuses. « Cette session sera un test pour nous tous qui nous appelons la communauté internationale », a affirmé Kofi Annan. Les Etats-Unis ont d'ores et déjà annoncé une contribution de 200 millions de dollars et la France de 150 millions d'euros sur trois ans. La Fondation Bill Gates a contribué à hauteur de 100 millions de dollars. Une initiative dont s'est félicité le directeur du programme de l'ONU contre le SIDA, Peter Piot. « Nous espérons que l'annonce de la contribution de la fondation Bill Gates va servir de catalyseur pour que d'autres donateurs participent au fonds », a expliqué Peter Piot. La première entreprise privée à verser sa contribution au fonds avait été, le 8 juin, l'assureur suisse Winterthuer, filiale du Crédit Suisse Group (CSG), à raison d'un million de dollars.
22 millions de morts
Lorsque le SIDA fut notifié officiellement pour la première fois, il y a 20 ans, personne ne pouvait se douter qu'il engendrerait l'épidémie la plus dévastatrice de l'histoire. « On ne pouvait imaginer que le SIDA se propagerait si rapidement, reconnaît Peter Piot , et qu'en 20 ans, il infecterait 58 millions de personnes et tuerait 22 millions d'entre elles. » Dans le monde, 36,1 millions de personnes vivent avec le VIH/SIDA dont la vaste majorité se situe en Afrique subsaharienne où 3,8 millions de nouvelles infections ont été enregistrées pour l'année dernière seulement (sur les 5,3 millions de personnes infectées dans le monde en 2000). Parmi les 10,4 millions d'enfants que le SIDA a rendus orphelins dans le monde, plus de 90 % vivent en Afrique subsaharienne. Selon le dernier rapport de l'ONUSIDA, dans cette région, le nombre des femmes porteuses du VIH dépasse de deux millions celui des hommes. Sur l'ensemble du continent, on estime à 1,1 million le nombre des enfants de moins de 15 ans vivant avec le VIH à la fin de l'an 2000, preuve que la transmission de la mère à l'enfant fait un nombre croissant de victimes.
L'Ouganda est le seul pays africain à avoir inversé le cours d'une épidémie majeure. Selon l'ONUSIDA, « ses extraordinaires efforts de mobilisation nationale ont rabaissé la prévalence du VIH chez l'adulte de 14 % environ au début des années 1990 à 8 % en 2000 ». A titre de comparaison, les taux de prévalence en Ethiopie et au Kenya demeurent dans les nombre à deux chiffres.
Dans les pays d'Amérique latine et des Caraïbes, près de 1,8 million de personnes sont infectées. Haïti est le pays du monde où le taux de prévalence (5 %) est le plus élevé hors de l'Afrique subsaharienne. Le Brésil semble contenir une épidémie hétérosexuelle potentiellement considérable, « grâce à de courageux efforts de prévention » note l'ONUSIDA.
L'augmentation du nombre des infections est tout aussi alarmante en Asie, où 6 millions de personnes vivent avec le VIH/SIDA, en Europe centrale et orientale (250 000 personnes infectées en 2000, dont une majorité d'hommes, consommateurs de drogues injectables).
Dans les pays industrialisés, l'ONUSIDA note deux zones d'ombre. Elle pointe du doigt le fait que les efforts de prévention « piétinent ». Elle déplore par ailleurs « une nouvelle tendance : l'épidémie se déplace vers les populations plus pauvres - notamment les minorités ethniques - qui ont des risques d'infection disproportionnés, sont plus susceptibles d'échapper aux campagnes de prévention et sont privées d'accès aux traitements ». Selon l'ONUSIDA, les taux de prévalence du VIH parmi les consommateurs de drogues injectables sont alarmants : 18 % à Chicago et même jusqu'à 30 % dans York.
L'impact démographique de l'épidémie est dévastateur. En Afrique australe, on peut s'attendre maintenant à ce qu'un enfant né entre 2005 et 2010 meure avant l'âge de 45 ans. Les effets de l'épidémie se propagent des ménages sur l'ensemble de la société. En Côte d'Ivoire, les ménages urbains ayant perdu au moins un membre de la famille à cause du SIDA ont vu leur revenu chuter de 52 à 57 %, alors que leurs dépenses de santé quadruplaient. Pour faire face, ils ont réduit leur consommation alimentaire dans une proportion allant jusqu'à 41 %.
Selon l'ONUSIDA, « deux décennies d'efforts nous ont donné les connaissances nécessaires pour inverser le cours de l'épidémie (...) . Les leaders politiques et autres au niveau le plus élevé ont la responsabilité de montrer l'exemple qui encouragera les autres à l'action ».
Brevets et licences
Une centaine d'organisations non gouvernementales viennent de demander l'arrêt des pressions de laboratoires et de certains gouvernements empêchant les pays pauvres de tirer profit des potentialités de l'accord TRIPS de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en matière de production de génériques et d'importations parallèles de médicaments. L'accord TRIPS (accord sur les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle), entré en vigueur en janvier 1995, protège les détenteurs de brevets - en l'occurrence les laboratoires pharmaceutiques. Mais il autorise une certaine souplesse, prévoyant des sauvegardes en cas d'urgence nationale de santé, comme c'est le cas du SIDA. Un gouvernement peut délivrer des licences obligatoires autorisant la production locale d'un médicament, bien que ce médicament soit protégé par un brevet. Depuis le procès de Pretoria (Afrique du Sud), intenté en avril dernier par 39 grands groupes pharmaceutiques contre une loi sud-africaine favorisant l'accès aux médicaments génériques à bas prix, les laboratoires pharmaceutiques ont multiplié leurs efforts de baisse des prix en faveur des pays en développement (voir encadré). Devant le tollé qu'avait soulevé leur procès avec le gouvernement sud-africain, fini par retirer leur plainte, cherchant à redorer un blason quelque peu terni.
L'industrie pharmaceutique partenaire de la lutte contre le SIDA
« La semaine prochaine à New York, Kofi Annan (le secrétaire général de l'ONU) disposera de mesures plus concrètes sur son fonds international. Nous aurons des chiffres sur ce que les pays et les grandes organisations vont se décider à mettre » pour lutter contre le SIDA, note le Dr Louis Teulières, directeur des échanges internationaux au Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP). Pour l'industrie pharmaceutique, l'accès aux médicaments, notamment aux antirétroviraux, ne se résume pas à leur mise à disposition gratuitement, mais est une affaire de partenariat : « Les réticences culturelles, le manque d'engagement et de financement des gouvernements des pays concernés, la faiblesse des infrastructures, le problème de l'accessibilité géographique, la faible mobilisation de la société civile, le manque de prévention, les marchés illicites, etc., sont autant de freins dont il faut tenir compte pour être efficaces », souligne le SNIP.
Après l'affaire du procès de Pretoria, « épisode malheureux » selon elle, l'industrie pharmaceutique « est passée à un autre stade, celui de la baisse du prix des médicaments ». « Nous sommes maintenant dans la phase des partenariats », a insisté le Dr Teulières, expliquant que les laboratoires avaient d'ailleurs commencé à assumer leur part de responsabilité.
Dans le cadre de l'initiative ACCESS, née du partenariat, mis en place en mai 2000, entre l'ONU et cinq laboratoires pharmaceutiques (1) afin d'améliorer l'accès aux soins et aux médicaments du VIH/SIDA, dix pays (2) sont parvenus à un accord avec les fabricants sur des baisses importantes du prix des médicaments dont des antirétroviraux. Dans ces pays, une trithérapie coûte en moyenne de 605 à 965 dollars par an, selon les offres des laboratoires producteurs. Le génériqueur indien Cipla a proposé son traitement à Médecins sans Frontières au prix de 350 dollars par an. Il vend en revanche la même trithérapie 600 dollars par an aux gouvernements et 1 200 dollars par an en Inde.
Par ailleurs, 36 pays ont manifesté leur intérêt à collaborer avec l'ONUSIDA sur l'accès aux soins. Vingt-deux de ces trente-six pays ont achevé ou sont en passe d'achever le processus de planification de leur programme.
(1) Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, GlaxoSmithKline, Merck & Co, Hoffman-La Roche.
(2) Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Côte d'Ivoire, Gabon, Mali, Maroc, Rwanda, Sénégal et Ouganda.
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