UNE DES PREMIÈRES règles sociales apprises dans l'enfance est la règle d'or, ou le principe de réciprocité : «Traite les autres comme tu voudrais être traité.»
Il arrive malheureusement que nos semblables enfreignent cette règle. Il peut être alors difficile de résister à l'impulsion agressive, mais naviguer avec succès dans la vie sociale requiert une bonne dose de maîtrise de soi face à l'injustice perçue.
La sérotonine, ou 5-hydroxy-tryptamine (5-HT), un neurotransmetteur cérébral, est associée depuis longtemps au comportement social, mais son rôle précis dans l'agression impulsive est controversé.
Le jeu de l'ultimatum.
Une étude de Crockett et coll. montre un lien causal entre la sérotonine et l'impulsivité et suggère que la sérotonine module l'impulsivité en régulant l'émotion.
Ces chercheurs de l'université de Cambridge et de l'université de Los Angeles ont utilisé le « jeu de l'ultimatum ».
Dans ce jeu économique expérimental classique, un joueur propose (« offrant ») comment diviser une somme d'argent avec un autre joueur (« répondeur »). Si le répondeur accepte l'offre ou le deal, les deux joueurs empochent l'argent comme convenu ; mais en cas de refus, personne ne reçoit d'argent. En général, les répondeurs tendent à rejeter les offres inférieures à 20-30 % de la somme totale, perçues comme non équitables et injustes, même si une telle riposte leur coûte ; les décisions de rejet sont prédites par l'intensité de l'aversion pour les deals non équitables.
Vingt volontaires sains ont joué le rôle de répondeur (durant plusieurs offres), une fois sous un régime diététique abaissant temporairement les taux cérébraux de sérotonine, une autre fois sous régime placebo (en double aveugle).
Les offres étaient de trois types : 45 % de la somme (équitable), 30 % de la somme (injuste) ou 20 % de la somme (très injuste).
Les résultats montrent que les sujets aux taux de sérotonine temporairement abaissés rejettent bien plus souvent les offres injustes que les sujets témoins.
Réaction avec colère.
«L'abaissement temporaire des taux de 5-HT majore les représailles face à l'injustice perçue, sans qu'elle n'affecte l'humeur et les jugements d'équitabilité», notent les chercheurs.
«Nos résultats suggèrent que la sérotonine joue un rôle crucial dans la prise de décision sociale, en maîtrisant nos réponses sociales agressives, explique au “Quotidien” Molly Crockett (institut de neuroscience comportementale et clinique de l'université de Cambridge, Royaume-Uni), première signataire de cette étude publiée dans “Science”. Nous avons constaté qu'un abaissement temporaire des taux de sérotonine chez des volontaires sains les rendait plus susceptibles de réagir avec colère lorsqu'ils étaient traités de manière injuste. Cela suggère que la sérotonine joue un rôle crucial en modulant les régions cérébrales qui déterminent si nous résistons à des impulsions agressives ou si nous cédons à nos émotions.»
«Des changements d'alimentation et le stress peuvent provoquer des fluctuations naturelles de nos taux de sérotonine; aussi est-il important de comprendre comment cela pourrait affecter notre prise de décision quotidienne», indiquent les auteurs.
La sérotonine est fabriquée à partir du tryptophane, un acide aminé apporté par l'alimentation. Ainsi, puisque nos taux de sérotonine baissent naturellement lorsque nous ne mangeons pas, cela pourrait peut-être expliquer pourquoi certains d'entre nous deviennent agressifs le ventre vide.
Des implications cliniques.
Cela apporte également un nouvel éclairage sur les troubles cliniques caractérisés par de faibles taux de sérotonine, comme la dépression, le trouble obsessionnel compulsif et le trouble anxieux.
«Notre étude implique la sérotonine dans les difficultés sociales souvent observées dans la dépression et les troubles anxieux, fait-elle entrevoir. Ces patients pourraient bénéficier dès lors de thérapies leur enseignant des stratégies pour réguler leurs émotions durant les interactions sociales. »
Crockett et coll. « Sciencexpress », 5 juin 2008.
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