De notre correspondante
à New York
« Notre objectif était de découvrir les mécanismes qui gouvernent l'apprentissage de la perception (ou la faculté d'améliorer la perception par la répétition) », explique au « Quotidien » le Dr Hubert Dinse qui a dirigé ces travaux à l'université de Bochum en Allemagne. « Des études sur des coupes cérébrales ont suggéré que les récepteurs NMDA (N-methyl-D-aspartate) jouent un rôle majeur dans la plasticité synaptique. Nous voulions d'abord montrer que les mêmes mécanismes opèrent au niveau de la perception, même lorsque le système entier de "l'être humain" est en jeu. Deuxièmement, on sait, par les études cellulaires, que des médicaments, comme les monoamines, stimulent la plasticité synaptique. En conséquence, nous voulions montrer que cela est aussi valable pour l'apprentissage de l'homme. »
« Dans cette étude, nous montrons que les récepteurs NMDA sont essentiels pour l'apprentissage de la perception et que l'amphétamine peut doubler l'apprentissage. »« Afin d'induire l'apprentissage, nous avons récemment mis au point un protocole dit de coactivation », relate le Dr Dinse. « Le bout de l'index est stimulé sur le plan tactile, de façon synchrone, par une petite membrane que portent les sujets. Cette stimulation est appliquée à une fréquence moyenne d'une stimulation par seconde, ce qui est donc assez discret », précise-t-il.
Réorganisation temporaire du cortex
« L'application de cette coactivation (stimulation) pendant trois heures améliore l'acuité tactile uniquement du doigt stimulé. Lorsque nous bloquons les récepteurs NMDA (par la mémantine), cette amélioration de l'acuité après stimulation est éliminée. Quand nous donnons une dose d'amphétamine, l'amélioration est doublée. Ces agents pharmacologiques n'ont aucun effet sur d'autres doigts non stimulés. »
L'équipe montre aussi que la stimulation du doigt s'accompagne d'une réorganisation temporaire du cortex somatosensoriel. La quantité de réorganisation corticale est corrélée de façon linéaire à la modulation pharmacologique de l'acuité (ou des seuils de discrimination). « En d'autres termes, plus grands sont les changements corticaux, plus grande est l'amélioration de l'acuité individuelle, et vice versa », explique le Dr Dinse.
« Nous avons donc un protocole qui nous permet d'interférer directement avec l'organisation cérébrale, et contrôler ainsi le comportement. De plus, en utilisant certaines classes de médicaments, nous pouvons majorer les effets. »
L'équipe cherche maintenant à optimiser le protocole de stimulation et rendre les effets plus permanents et durables. Les applications cliniques pourraient être vastes, selon le chercheur. « Ce protocole, qui nous permet de manipuler l'organisation cérébrale et la perception, offre une large gamme d'applications possibles », affirme au « Quotidien » le Dr Dinse. « Nous avons amélioré le déclin lié à l'âge de l'acuité tactile chez des vieillards, rendant à un octogénaire l'acuité d'un quinquagénaire. Nous débutons maintenant une étude chez des patients souffrant de douleur chronique. »
L'aube d'une interaction avec le cerveau
« Nous sommes à l'aube d'une ère ou nous pouvons interagir avec le cerveau », commente-t-il dans un communiqué. « Nous pouvons utiliser ce que nous savons sur la plasticité cérébrale afin d'instruire le cerveau et altérer le comportement. Nous avons évalué ici l'apprentissage d'une compétence inconsciente. Jusqu'à quel point cela pourrait-il nous mener à l'apprentissage cognitif ? Cela reste à voir. A mon avis, les progrès en pharmacologie cérébrale déboucheront tôt ou tard sur des implications tout aussi dramatiques, sinon plus, que celles liées aux discussions sur les gènes et le clonage. »
« Science », 4 juillet 2003, p. 91.
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