«A PRIORI, la semaine de 4jours est une bonne chose», estime le Pr Marcel Rufo. «Il va y avoir des temps de scolarité plus regroupés, par couples de 2jours, lundi-mardi et jeudi-vendredi, et la durée hebdomadaire sera atténuée. Et, surtout, espère le pédopsychiatre marseillais, l'interrogation du lundi matin à 8heures devrait être reportée au jeudi à 11heures, comme le conseillent les chronobiologistes.» Cette réorganisation répond à un «changement du temps de vie familial», illustré notamment par l'avènement des «nouveaux pères», relève également le spécialiste. «Si ces derniers profitent des samedi-dimanche pour s'occuper de leurs enfants, il en résultera un progrès à la fois psychique et relationnel. J'y vois une conquête pour un meilleur temps de développement de l'enfant et de l'organisation intrafamiliale.»
Comme le rapporte le SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire, il y avait déjà un quart des écoles élémentaires qui ne travaillaient pas le samedi matin, et aucune d'entre elles n'est revenue en arrière, «Nombre de parents n'ont pas attendu la semaine de 4jours pour faire manquer à leur enfant la classe du samedi matin.» La réformeparaît donc «positive» au Dr Marie-France Le Heuzey, adjointe au chef de service de pédopsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital parisien Robert-Debré (Paris), si les parents en font l'usage imaginé par Marcel Rufo. «Pour les élèves ayant besoin de repos et de sommeil, le samedi peut se révéler intéressant», pense également le Dr Michel Bardainne, trésorier de l'Association française de pédiatrie ambulatoire, tout en relevant que «les parents n'arrivent pas à assurer à leurs enfants des rythmes corrects, avec un coucher tôt et un lever tôt enrichi d'un petit déjeuner». «Il est important de favoriser la récupération des temps de sommeil pendant les jours fériés», confirme le Dr Michel Lecendreux, psychiatre responsable du centre pédiatrique de pathologie du sommeil à l'hôpital Robert-Debré. Le syndrome de phases de retard de sommeil touche 7 % des adolescents. Chez les plus jeunes, les plaintes d'insomnies, d'endormissement et, en particulier, de somnolence se multiplient, nécessitant des aides fondées sur la prévention (hygiène de vie) et la chronothérapie, à raison de deux séances hebdomadaires sur un mois.
Premières victimes, les plus défavorisés.
Mais, pour Claire Leconte-Lambert, chronopsychologue, enseignante à la faculté de Lille, la semaine de 4 jours est une hérésie. Pour son collègue François Testu, professeur de psychologie à l'université de Tours et spécialiste des rythmes scolaires, «les enfants les plus en difficulté, du point de vue rythme de vie et structuration par rapport au temps», soit les plus défavorisés sur le plan environnemental (commune en partie démunie d'activités périscolaires) ou familial (problèmes sociaux, relationnels et affectifs), seront les premières victimes du réaménagement.
Danièle Sommelet, présidente de la Société française de pédiatrie, auteure d'un rapport sur « L'enfant et de l'adolescent : un enjeu de société, une priorité du système de santé », remis à Xavier Bertrand à l'automne 2006, met pour sa part l'accent sur les 3 jours non travaillés, qui pourraient exposer les enfants en situation de vulnérabilité à un risque d'abandon physique et psychologique. «On feint d'ignorer que 80% des mères travaillent et que tout le monde ne bénéficie pas des 35heures. C'est la porte ouverte à la sédentarisation via les jeux informatiques, ou à l'errance urbaine.» «Pourquoi n'a-t-on pas interrogé les personnels de santé, avant de laisser libre cours à une vision politique des choses», interpelle-t-elle ?
«Nous n'avons pas cessé d'appeler, depuis une quinzaine d'années, à plus de réduction du temps de travail et à son étalement sur plus de jours dans la semaine», renchérit la chronopsychologue lilloise. «Il faut alléger les programmes», préconise dans le même esprit Christine Bellas-Cabane, vice-présidente du Syndicat national des médecins de PMI.
Les apprentissages scolaires en danger.
«Avec l'interruption du samedi-dimanche, la reprise des apprentissages a du mal à se faire. Les élèves se mettent en chauffe jusqu'au mardi matin. Même si l'enseignement perd 2heures hebdomadaires (24 contre 26), le nouveau système crée un hiatus, juge le Dr Nicole Catheline, pédopsychiatre responsable de Mosaïque, hôpital de jour pour collégiens en difficulté rattaché au centre hospitalier spécialisé de Poitiers. Or les jeunes ont besoin de sollicitations régulières de la mémoire.» Outre les couchers et réveils tardifs des samedi-dimanche, qui désynchronisent les organismes, comme l'a montré lePr Yvan Touitou, «la semaine de 4jours n'aide pas à harmoniser la vie des enfants et celle des parents», martèle François Testu. La parenthèse Guy Drut, ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Juppé (1995-1997), est bel et bien refermée, depuis 2004, faute de financement. Dans 366 sites pilotes, des plages d'activité pour les loisirs, la culture et le sport étaient libérées sur le temps d'instruction, étalé sur 6 jours. L'expérience perdure, toutefois, dans le groupe scolaire de la métropole du Nord Victor-Duruy (10 classes en maternelle, 10 dans le primaire), se réjouit Claire Leconte-Lambert.
Il aurait été judicieux d'établir une alternance quotidienne entre temps d'enseignement et activités périscolaires, estime également le Dr Patrice Huerre, pédopsychiatre, chef de service de l'établissement public de santé Erasme à Antony (Hauts-de-Seine). «Mais les pouvoirs publics ont cherché à faciliter la vie des adultes –80 % des parents approuvent la réforme, NDLR –, principalement de ceux qui détiennent une résidence secondaire à ouvrir le week-end.»
«La semaine de 4jours ne vaut rien de bon, tant sur les plans scientifique et pratique que sur le plan pédagogique», conclut François Testu . Tandis que Marcel Rufo croit à «une conquête pour un meilleur temps de développement de l'enfant et de l'organisation intrafamiliale».
Des recherches validées
Le 20 octobre 1995, déjà, le pédiatre Guy Vermeil, Claire Leconte-Lambert, Hubert Montagner, biophysiologiste montpelliérain, et François Testu cosignaient dans « le Monde » un article contre la semaine de 4 jours. En mai 2000, le Dr Guy Vermeil reprenait la plume pour plaider en faveur d' «une réforme ne tenant compte que des données biologiques»: «Une année scolaire de 200jours au moins. De 4 à 6heures quotidiennes, selon l'âge, y compris le travail à la maison ou à l'étude. De 5 à 6jours de classe hebdomadaires en fonction des saisons ou des conditions locales. La semaine de 4jours, véritable escroquerie qui maintient la répartition scandaleuse de 175jours de classe pour 190jours de congé, est à proscrire.»«Notre position emprunte à des recherches unanimement validées, fait remarquer avec force au « Quotidien » le chronopsychologue François Testu, qui a participé à l'expertise collective INSERM 2001 sur les rythmes biologiques chez l'enfant. Il cite notamment les travaux d'Yvan Touitou (biomédecine, INSERM unité 713 « Douleurs et stress ») et d'Alain Reinberg (CNRS), experts en rythmes biologiques.
L'organisation du temps
Les quelque 2 500 000 enfants de 3 à 5 ans scolarisés en maternelle et les 4 100 000 élèves de 6-11 ans du primaire bénéficient de «vingt-quatre heures d'enseignement à raison de six heures par jour, les lundi, mardi, jeudi et vendredi» (décret du 15 mai 2008). Depuis 1991, vingt-six heures étaient dispensées. Des aménagements par établissement peuvent être apportés, après avis de l'inspecteur d'académie, dès lors que le samedi reste férié et la durée de la semaine scolaire égale ou inférieure à neuf demi-journées. Les élèves en difficulté ont droit à deux heures de soutien personnalisé hebdomadaire, après 16 heures.
Chiffres
– 11,98 millions d'élèves, contre 12,32 l'an dernier, dont 2,5 millions en maternelle et 4,1 dans le primaire.
– 66 747 écoles, collèges et lycées publics et privés, 870 023 enseignants et 174 005 personnels divers.
– 172 000élèves handicapés (10 000 de plus que l'an dernier), 18 300 auxiliaires de vie scolaire (+ 2 000) et 1 540 unités pédagogiques d'intégration dans le secondaire (+ 250).
– 4 000 écoles en ZEP proposent des accompagnements éducatifs après la classe (soutien, sport, activités culturelles).
Pour un bilan rapide des nouveaux rythmes
Le SNUipp-FSU, syndicat qui représente 45 % des enseignants du primaire, demande à Xavier Darcos un bilan de la semaine de quatre jours «le plus objectif possible, à la Toussaint ou à Noël, pour que le dispositif évolue de façon favorable». L'organisation syndicale aurait souhaité une dérogation pour placer une partie des 24 heures de classe le mercredi matin. Elle estime, d'ores et déjà, que la concentration de l'enseignement sur les lundi, mardi, jeudi et vendredi, sans compter l'aide personnalisée, va entraîner des journées lourdes. «Il y aura des évolutions» à apporter, à l'issue de l'année en cours, qui sera une période «transitoire» pour les rythmes en primaire, prévoit le SNUipp-FSU.
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