La sécurité alimentaire compromise par la pénurie de vétérinaires ?

Publié le 06/06/2001
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« L A France manque de vétérinaires et, au lieu d'augmenter le nombre de postes mis au concours, on le baisse et 75 % des candidats seront recalés après deux années de travail acharnés en classe préparatoire. » L'indignation exprimée par le collectif des prépas vétos a précipité dans les rues de Paris, le 18 mai, plusieurs centaines de manifestants qui ont marché jusqu'au ministère de l'Agriculture, leur administration de tutelle.

Les apprentis vétérinaires exagèrent : le nombre de postes offerts au concours en 2001 ne diminue pas. Avec un effectif total de 430, il reste stable. Mais, c'est vrai, sur les trois concours qui sélectionnent les élèves des quatre écoles françaises (Alfort, Lyon, Nantes et Toulouse), celui qui est ouvert aux classes préparatoires, le concours A, passe cette année de 380 à 376. Dans le même temps, les deux autres concours (le B, ouvert aux bac + DEUG, et le C, ouvert aux bac + BTS) accusent une progression de deux postes chacun.
Pour autant, le simple maintien des effectifs vétérinaires suffit-il à garantir la sécurité sanitaire en France ? Les missions se sont en effet fortement accrues et diversifiées, ces dernières années : contrôle de l'état sanitaire des animaux qui sortent d'élevage, vérification de la bonne utilisation des médicaments destinés à l'animal pour s'asssurer que les résidus ne nuiront pas à la santé du consommateur, partenariat avec les industries agro-alimentaires, contrôles dans les abattoirs, les lieux de vente (grandes surfaces, marchés, etc.) et restaurants de collectivités, etc. Les crises de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et de la fièvre aphteuse ont montré à quel point la profession vétérinaire, libérale ou publique, jouait une partition essentielle pour le principe de précaution appliqué à l'alimentation.
« Le problème du numerus clausus et du nombre des vétérinaires formés n'est pas un problème français, mais une affaire européenne, rectifie Christian Rondeau, le président du conseil supérieur de l'Ordre des vétérinaires. « L'harmonisation s'est faite pour la libre circulation des vétérinaires au sein de l'Union, explique-t-il, mais pas pour leur formation. De ce fait, certains pays du Sud, tels l'Espagne et le Portugal, se livrent à une irresponsable surenchère et forment des jeunes qui sont cinq fois plus nombreux que leurs aînés prenant leur retraite. La France, pour sa part, se veut raisonnable, avec deux jeunes installés pour un départ à la retraite. »

Déstabilisation de la profession

Pour l'Ordre, c'est cette disparité entre les Quinze qui risque d'entraîner la déstabilisation de la profession, la France attirant de plus en plus de vétérinaires venus de l'étranger. Et plus que d'Europe du Sud, c'est de celle du Nord, et en particulier de Belgique que viendrait aujourd'hui le péril. A Liège (francophone) et à Gand (néerlandophone) deux facultés de médecine vétérinaires recrutent en effet des étudiants sans concours d'accès. C'est ainsi que l'essentiel de leurs effectifs est constitué de Français qui s'inscrivent en Belgique pour contourner le numerus clausus en vigueur chez eux.
« C'est le problème de l'accréditation des écoles, pas seulement en Belgique, qui se trouve ainsi posé, analyse le directeur exécutif de la Fédération vétérinaire européenne, Pierre Choraine. La directive de 1978, toujours en vigueur aujourd'hui, met en place un certain nombre de critères pour la formation. Près d'un quart de siècle est passé sans une mise à jour qui est devenue indispensable ; il est urgent de fixer de nouvelles exigences minimales. »
Selon M. Choraine, sur la cinquantaine d'établissements qui fonctionnent dans les quelque 32 pays européens membres de sa fédération, cinq ou six laisseraient à désirer. D'où la proposition d'une évaluation en vue de la reconnaissance de chacune de ces écoles.
La question numéro un posée aujourd'hui ne serait donc pas tant quantitative que qualitative. Mais la Commission européenne ne semble pas pressée d'ouvrir un chantier qui, sans représenter un sujet politiquement prioritaire, constitue un processus législatif lourd, mettant en cause le principe de subsidiarité des Etats membres.
Quand même, « le problème quantitatif est bel et bien posé, proteste René Bailly, le président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL), c'est celui de la cruelle pénurie des vétérinaires ruraux. Alors qu'en médecine vétérinaire de ville, les besoins sont largement comblés, à la campagne, les partants sont de moins en moins souvent remplacés et les clientèles ont cessé d'être revendues. »
Deux raisons à ce phénomène : le recrutement des élèves, qui s'effectue désormais dans des milieux socio-professionnels totalement étrangers à la ruralité, alors que celle-ci fournissait jadis le principal des bataillons de la profession ; et la féminisation massive, avec 70 % des promotions maintenant féminines. « Sans être le moins du monde machiste, constate René Bailly, il faut bien être conscient de l'extrême pénibilité de la profession, alors que l'Etat ne met aucune contrepartie sur la table. »
Pour le président du SNVEL, une légère révision à la hausse du numerus clausus pourrait, dans ces conditions, être envisagée, avec une plus forte proportion de recrutement auprès des titulaires de BTS agricole.
Quant aux étudiants d'Alfort ils conviennent du problème de la répartition entre ruraux et citadins, mais ne se montrent pas favorables à une révision à la baisse de la sélection qui, estime le président du cercle des élèves, Thibaut Liottin, « n'est pas justifiable ». Les déséquilibres européens ne les bouleversent pas davantage, « tant que tous les vétérinaires qui sortent de l'école trouvent du travail ».
Le ministre de l'Agriculture, qui, l'an dernier, quand il présidait le conseil européen des ministres de l'Agriculture, s'était heurté sur la question au manque d'enthousiasme de ses collègues, rappelle son « attachement à une présence vétérinaire significative en milieu rural, afin d'assurer un maillage territorial garantissant une surveillance épidémiologique efficace des maladies animales, ainsi que dans les métiers de la sécurité sanitaire des aliments ». Sans plus de précision.
Et tout au plus Jean Glavany annonce-t-il des « discussions avec les ministère de l'éducation nationale » pour étudier de nouveaux débouchés pour les candidats malheureux aux concours vétérinaires. La réforme, la vraie, n'est pas pour demain.

* Samedi 9 et dimanche 10 juin, de 10 heures à 18 heures. Entrée libre. Renseignements : 01.43.96.71.84.

Christian DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6931