« LA CRISE FINANCIÈRE a surgi comme une maladie émergente » aux yeux d’Antoine Flahault, directeur de l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Il a d’ailleurs cité quelques-unes des analogies possibles avec une pandémie - « contagiosité, impréparation au risque, propagation de la panique » -, lors du dernier colloque organisé par la Chaire santé de Sciences Po Paris, en partenariat avec le Centre d’analyse des politiques publiques de santé de l’école rennaise.
Parmi les différents intervenants venus partager leur vision de « la Sécurité sociale face à la crise financière », Pierre-Louis Bras de l’IGAS a surtout fait parler les chiffres. On sait déjà que les comptes de la Sécurité sociale resteront déficitaires au moins jusqu’en 2012, à partir des hypothèses de croissance plutôt optimistes retenues en fin d’année par le gouvernement pour les trois prochaines années (soit une augmentation de +0,5 % du PIB en 2009, de +2 % en 2010 et +2,5 % au-delà). Or, tout aléa conjoncturel par rapport aux prévisions a un impact énorme sur les recettes de la Sécurité sociale, lesquelles reposent essentiellement sur les cotisations sociales et donc l’emploi. Pierre-Louis Bras a fait valoir qu’un point de croissance en moins de la masse salariale représente un manque à gagner dans les comptes égal à « 1,9 milliard d’euros pour le régime général (toutes branches confondues), dont 0,9 milliard pour la seule branche maladie », soit l’équivalent de « 1 % d’ONDAM » (objectif national de dépenses d’assurance-maladie). Celui qui fut directeur de la Sécurité sociale au ministère quand Martine Aubry y officiait a toutefois relativisé l’ampleur du ralentissement de la croissance annoncé, dès lors qu’il a un précédent au moins aussi important, « la crise de 2002-2003 ». « Au moment où il y avait récession, on a fait de la relance par les prix [choc des 35 heures à l’hôpital et revalorisation de 14 % de la consultation généraliste en 2002, NDLR] , d’où la plongée aux abîmes des comptes de l’assurance-maladie en 2003-2004, avant une stabilisation de l’évolution de la consommation médicale au niveau du PIB ».
1929 en arrière-pensée.
Le responsable de la Chaire santé de Sciences Po s’est aussi efforcé de replacer la crise actuelle par rapport aux fondements mêmes de la protection sociale. « L’histoire de la Sécurité sociale, d’une certaine manière, est intimement liée aux crises », a souligné Didier Tabuteau, d’autant que ses pères fondateurs (en particulier Pierre Laroque) « pensaient à la crise de 1929 quand (ils) l’ont construite » en 1945 après le traumatisme de la guerre. En outre, en offrant une protection sociale redonnant confiance en l’avenir, le système de Sécurité sociale représente en général « un investissement collectif majeur, d’autant plus important en période de crise ». Il jouerait un rôle d’amortisseur, en somme.
Pour autant, plusieurs intervenants ont estimé que la crise laisse présager une remise en cause du pacte social de 1945. Pierre-Louis Bras ne croit pas pour sa part qu’un ONDAM à +3,3 % sera tenable sur les trois années à venir, ou alors « cela suppose des actions majeures sur les prix ou sur les remboursements ». Selon l’inspecteur de l’IGAS, le déficit de la branche maladie pourrait à nouveau approcher les 14 milliards d’euros, puis les 10 milliards. « Dès 2010, des questions vont se poser », a-t-il prévenu, puisqu’ « il faudra à un moment donné se confronter au choix fondamental : augmenter les prélèvements obligatoires ou dérembourser ». Ce qui revient selon lui à se poser la question suivante : « Est-ce qu’on sort de cette crise en acceptant de payer plus pour la Sécurité sociale ou est-ce qu’on décide de l’écorner un peu plus ? ».
La crise pourrait jouer le rôle de « catalyseur de phénomènes qui évoluent lentement », a avancé Didier Tabuteau. À partir de l’idée selon laquelle, « dans une contrainte financière sans égale, l’individu est responsable de son capital santé », la tentation pourrait être grande de « déporter (des charges) sur des assurances complémentaires » et de « lier la couverture maladie au comportement de l’assuré ». Un mouvement d’ailleurs déjà esquissé par les règles de remboursement en fonction du suivi ou non du parcours de soins, a fait remarquer l’ancien directeur de cabinet de Bernard Kouchner lorsqu’il officiait à la Santé. Autre tentation probable : celle consistant à « cibler (la prise en charge) sur les personnes aux plus faibles revenus », ce qui risque d’ « effriter le consensus autour du pacte social ». « Après les Trente Glorieuses et les Trente Piteuses, a conclu Didier Tabuteau, méfions-nous des Trente Dangereuses à venir : sur la Sécurité sociale, elles sont redoutables ».
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