Jean-François Mattei s'apprête à passer une semaine éprouvante. Avec un mardi « noir » inscrit depuis longtemps à son agenda.
La Commission des comptes de la Sécurité sociale présentera demain au ministre de la santé une facture qui n'a jamais été aussi douloureuse et qui donnerait le vertige à n'importe quel responsable ayant la responsabilité des comptes sociaux. Aggravant encore les dernières prévisions, la Commission des comptes annoncera un manque à gagner proche de 11 milliards d'euros en 2003 pour la seule branche maladie, plombant l'ensemble du régime général (salariés du privé). La dégradation financière est d'une ampleur exceptionnelle. En 2002, l'assurance-maladie accusait déjà un déficit de 6,1 milliards d'euros mais les maigres excédents des branches vieillesse (+ 1,7 milliard) et famille (+ 1 milliard) avaient permis de sauver les apparences : - 3,4 milliards pour l'ensemble du régime général. En 2003, rien de comparable puisque l'ardoise approchera les dix milliards d'euros. Comme l'a rappelé le cinglant rapport annuel de la Cour des comptes, rendu public la semaine dernière, le très fort accroissement des dépenses d'assurance-maladie (7 % en tendance annuelle) conjugué au ralentissement de la progression des recettes « a provoqué un effet de ciseau qui a porté le déficit à un niveau jamais atteint ». Denis Morin, conseiller-maître à la Cour des comptes, donne aussi cette image parlante. « C'est comme si une famille vivait totalement à crédit pendant un mois et demi par an, il y a donc urgence à agir ».
4 milliards impossibles à trouver
Dès la rentrée de septembre, Matignon a mesuré l'ampleur du désastre et repris en main le dossier Sécu, révisant à la baisse les objectifs. Il ne s'agissait plus d'équilibrer les finances sociales (mission impossible sans une hausse de deux points de la CSG, exclue par le Premier ministre dans un contexte de baisse d'impôts), mais de « stabiliser » le déficit du régime général autour de 10 milliards d'euros. En clair, il fallait éviter de glisser inexorablement vers les quatorze ou quinze milliards de trou annoncés pour la seule année prochaine (estimations). Une spirale infernale que confirme un expert du dossier. « Les choses sont très simples : si l'on suit la pente actuelle sans rien faire, le déficit se creuse de 4 à 5 milliards d'euros par an ». Concrètement, le gouvernement s'est attaché à trouver rapidement 4 milliards d'euros de recettes ou d'économies nouvelles, à inscrire dans le projet de loi de financement pour 2004 (PLFSS). Mais les services du Premier ministre ont buté sur cette quadrature du cercle ces dernières semaines. Des fuites ont été distillées pour tester des mesures impopulaires ou ulcérant certains lobbies (taxe sur le vin aussitôt enterrée). Des ballons d'essai ont été lancés avant les ultimes arbitrages intervenus la semaine dernière, comme celui sur la hausse du forfait hospitalier, qui fait hurler la gauche, la CFDT et la Mutualité, ou encore la baisse du remboursement de l'homéopathie (« le Quotidien » du 19 septembre). Pour contenter Bruxelles, Bercy réclamait une ou deux mesures « douloureuses » comme une taxe forfaitaire de 1 euro par feuille de soins (rapportant 2,5 milliards d'euros) ou un forfait non remboursé de 50 centimes par boîte de médicament (1,3 milliard). Des options très pénalisantes pour les assurés, envisagées avec une extrême prudence par l'Elysée, qui les aurait écartées.
Mattei au charbon
Mais comme le veut la coutume, c'est Jean-François Mattei qui profitera de cette réunion de la Commission des comptes, demain, pour annoncer officiellement les grandes lignes du nouveau PLFSS (voir page 4). Pour le ministre de la Santé, c'est une nouvelle épreuve qui s'annonce. Ce budget qui, outre les patients, met notamment à contribution les laboratoires, sera ensuite présenté en Conseil des ministres le 8 octobre, avant la discussion parlementaire. Certains ne manqueront pas de dénoncer le décalage entre le mal dont souffre la Sécu et les remèdes apportés. Le PLFSS 2004 ne prévoit pas de mesures structurelles, le gouvernement ayant refusé d'anticiper sur la réforme prévue l'année prochaine après un long cycle de concertation. Quant aux médecins libéraux, appelés à s'engager massivement et rapidement dans l'évaluation de leurs pratiques, ils devraient, comme l'an passé, être ménagés dans ce projet de loi, malgré la défaillance des mécanismes de maîtrise des dépenses dénoncée par la Cour des comptes. Pour combien de temps ? François Logerot, premier président de la Cour des comptes, est très clair: « Notre système n'est plus régulé aujourd'hui, cette situation n'est plus tenable. » Jean-François Mattei, qui interviendra en fin de semaine lors de la traditionnelle université d'été de la CSMF à Ramatuelle (Var), devrait préciser ce qu'il attend des médecins libéraux en 2004. Le ministère de la Santé a déjà annoncé que « le gouvernement est déterminé à poursuivre la promotion des accords de bon usage des soins (AcBUS) et des contrats de pratiques professionnelles ».
Honoraires généralistes : les mauvais calculs de la Cour des comptes
La rapport de la Cour des comptes présenté la semaine dernière contenait une petite bombe. « L'accord du 5 juin 2002 avec les généralistes induit à lui seul (...) un effet en année pleine de 690 millions d'euros, soit une majoration de 17,7 % par rapport au total des honoraires de généralistes remboursés en 2001. Les effets compensatoires par l'accélération des prescriptions de génériques et la rationalisation des visites sont réels mais limités (70 millions d'euros) », pouvait-on lire au chapitre des « décisions majeures » ayant entraîné une forte accélération des dépenses. De quoi apporter de l'eau au moulin de ceux qui affirment, en substance, qu'un chèque en blanc avait été remis aux généralistes en 2002. Mais, surprise : l'affirmation de la Cour des comptes a été à peine exprimée qu'elle a été démentie par la CNAM, puis par le ministère de la Santé. Les comptes de la Cour seraient de mauvais comptes ! Pour la caisse, « en réalité le coût de cet accord était pour l'assurance maladie de 270 millions d'euros en année pleine et a d'ores et déjà été compensé à hauteur de 150 millions d'euros par l'effet cumulé de l'accroissement des prescriptions de génériques, de l'action sur les prescriptions des antibiotiques et la baisse marquée du nombre de visites à domicile ». En vitesse de croisière, précise la CNAM, c'est même « plus de 200 millions d'euros » d'économie annuelle à attendre de la délivrance des génériques. De son côté, Jean-François Mattei a apporté ses « précisions » pour « rectifier le chiffrage » des magistrats de la rue Cambon. Comme la CNAM, le ministre affirme que le coût de l'accord avec les généralistes a été compensé « à hauteur de 150 millions d'euros ».
C. D.
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