LES HOMMES POLITIQUES arpentent le terrain sanitaire en marchant sur des oeufs. Le secteur est glissant, casse-gueule, on a vite fait de s’y embourber et cela peut coûter cher. A quelques mois de l’élection présidentielle, Lionel Jospin vient de le rappeler aux futurs compétiteurs.
Dimanche dernier à La Rochelle, à l’occasion de l’université d’été de son parti, revenant brièvement sur sa défaite lors du scrutin de 2002, l’ancien Premier ministre n’a fourni, sur le fond, qu’une poignée de raisons à sa déroute – il n’a reconnu que quelques «erreurs», trois tout au plus –, mais les 35 heures à l’hôpital en faisaient partie. Sur ce dossier, «il aurait fallu aller moins vite», a concédé Lionel Jospin.
Certes mal préparée, coûteuse (l’addition initiale dépassait les 3 milliards d’euros), souvent incohérente (les personnels à recruter, notamment les infirmières... n’existaient pas), l’application de la réduction du temps de travail aux quelque 800 000 agents de la fonction publique hospitalière et aux milliers de médecins des hôpitaux a-t-elle été à ce point électoralement décisive ? Beaucoup, dont Bernard Kouchner, ministre de la Santé dans le gouvernement Jospin (voir encadré), tendent à penser que oui. Si l’impact de cette réforme sur le vote des Français reste difficile à mesurer, le fait que son ampleur soit tenue pour acquise par les politiques est en tout cas symptomatique : dans ce petit milieu, l’hôpital et, plus largement, le monde de la santé, font peur. Sur un mode sans doute un peu fantasmatique, les élus, les candidats à tel ou tel suffrage prêtent au secteur un poids et une influence considérables.
Ils fondent leur théorie sur des cas d’école, reliant par exemple le rejet massif du plan Juppé par les médecins à l’échec de la droite en 1997. Plus loin dans le passé, ils ne négligent pas l’effet qu’a pu avoir le basculement à gauche d’une partie du corps médical, furieux contre les projets de maîtrise des dépenses de Raymond Barre, sur l’élection de François Mitterrand en 1981.
Au-delà du vote des professionnels de santé, il faut dire que, quand elle déraille, la santé imprime des images fortes dans l’esprit des Français. Qui ne se souvient pas de la marée de blouses blanches des grandes manifestations infirmières de 1988 ? Sans remonter aussi loin, qui a oublié la canicule de l’été 2003 et l’intervention désastreuse du ministre de la Santé, Jean-François Mattei, en polo, au bord de sa piscine ?
Trois niveaux d’angoisse.
Pour schématiser, on peut considérer que la santé constitue, pour tout gouvernant et/ou aspirant au pouvoir, trois niveaux d’angoisse. Le premier barreau de l’échelle est l’hôpital public, énorme vivier d’électeurs ; le mécontenter, c’est se mettre directement à dos près de un million de votants – sur un total de 40 millions, ce n’est pas si négligeable. Second niveau : les médecins. Eux sont 200 000 « seulement », mais l’imaginaire leur prête volontiers une faculté qu’ils n’ont sans doute pas (ou plus) : celle d’influer sur les opinions de leurs patients. La figure d’autorité du médecin, le huis clos du colloque singulier... alimentent cette chimère d’un redoutable « téléphone arabe ». A eux deux, ces premiers niveaux ont de quoi donner des sueurs froides à tout candidat au pouvoir car, pour ne rien arranger, ces « professionnels de santé » tant redoutés réunissent des individus (des brancardiers, des directeurs de clinique, des grands professeurs de médecine, des aides-soignantes, des médecins à diplôme étranger...) aux préoccupations et aux aspirations tout ce qu’il y a de plus hétéroclites.
Le dernier barreau de notre échelle n’éclaircit pas la donne puisqu’il s’agit de... la population tout entière, préoccupée par la préservation de sa propre santé – ne montre-t-elle pas les dents dès qu’un hôpital de proximité est menacé de fermeture ? –, vite choquée par les défaillances du système.
Cerise sur le gâteau : le coût de la santé. Les chiffres, astronomiques (un trou de 6,3 milliards d’euros est attendu à la fin de l’année pour les comptes de l’assurance-maladie), sont propres à effrayer tout électeur normalement constitué.
Avis, donc, aux candidats déclarés ou putatifs au scrutin d’avril prochain. Dans le domaine de la santé : les pincettes s’imposent.
Quand la gauche a déçu son propre camp
Bernard Kouchner était ministre de la Santé au moment de la mise en oeuvre des 35 heures à l’hôpital. Il n’a pas attendu Lionel Jospin pour qualifier ce chantier d’ «erreur» et ses répercussions de «séismes». Dans son livre « Le premier qui dit la vérité... » (Robert Laffont, 2002), il est sans appel : «La plaie sera longue à cicatriser», écrit-il. Appliquée trop vite avec un calendrier trop «contraignant», la RTT a fait «tout vaciller» à l’hôpital. «C’est bien plus qu’une ambiguïté, un énorme malentendu, assène Bernard Kouchner, nous avons voulu forcer le rythme et imposer cette réforme sans impliquer assez les gens. Fabriquer du bonheur à marche forcée. (...) Nous avons beaucoup déçu, hélas, et surtout chez nos partisans.»
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