AVIS au nouveau ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, et à son collège de la Santé, Philippe Douste-Blazy : les nouvelles organisations du travail engendrent de nouveaux risques pour les travailleurs, surtout pour leur santé mentale, avec un coût économique, social et humain important.
C'est le Conseil économique et social (CES) qui formule ce diagnostic. Dans l'avis présenté au nom de la Section du travail par Elyane Bressol (qui est aussi secrétaire générale de l'Institut CGT d'histoire sociale), il analyse les conséquences des changements intervenus depuis les années 1990 dans la production et l'organisation du travail. Les mutations sont techniques, avec l'utilisation des nouvelles technologies, mais surtout liées à la globalisation des marchés financiers, à la concurrence qui s'installe au niveau mondial et à la précarisation croissante de l'emploi. Et des secteurs jusque-là protégés, comme les services financiers, les transports ou les télécommunications se retrouvent dans la tourmente.
Conséquences, selon le rapport, « une augmentation de l'intensification du travail alimentant des sentiments d'insatisfaction liés à la pénibilité physique et à la charge mentale du travail ». Car, contrairement à une idée répandue, les « pénibilités anciennes » n'ont pas disparu. S'y ajoutent les nouveaux risques qui touchent aussi bien les cadres que les ouvriers : marge de manœuvre réduite à cause de l'intensification du travail et de la rigidité de certaines organisations, isolement dans une ambiance de précarité qui renforce la mise en concurrence des salariés, sous-traitance en cascade et division des tâches qui diminuent à la fois l'autonomie et le sens du collectif.
Ces tensions entraînent des souffrances et des pathologies que différentes études réalisées ces dernières années ont permis de repérer et d'identifier.
Les pathologies de la pression et de la peur.
Il y a d'abord les « pathologies de surcharge », alors que la charge de travail devrait être diminuée par l'automatisation et la robotisation. Les troubles musculo-squelettiques sont fréquents et en augmentation. Ils ne touchent plus seulement les ouvriers soumis à des mouvements répétitifs ou à de fortes tâches de manutention. La surcharge peut aussi se manifester par l'épuisement professionnel dans les professions d'assistance et de soins.
Deuxième type de pathologies, celles qui sont liées à la pression et au harcèlement. Les moins qualifiés ou les plus âgés peuvent être touchés par des formes d'anxiété, favorisée par l'urgence et la crainte de commettre des erreurs.
On a également identifié des « pathologies de la peur », avec l'inquiétude, le plus souvent diffuse, de perdre son emploi. Enfin, les pathologies post-traumatiques, naguère encore réservées aux employés de banque victimes de braquages et qui se diffusent à d'autres catégories de salariés, en particulier celles qui sont au contact de clients ou d'usagers, exposés à une ambiance d'agressivité et de violence verbale, bien des soignants en ont fait l'expérience.
Restent les dépressions et, « phénomène émergent », les tentatives de suicide et les suicides, « signes extrêmes d'expression de la souffrance ». Mais ces problèmes sont difficiles à chiffrer car, en période de crise économique, les salariés ayant un emploi ne s'autorisent pas souvent à faire état de leur détresse.
Les conséquences humaines, y compris sur l'environnement familial, sont faciles à imaginer. Les conséquences économiques ne sont pas à négliger. « Quand bien même le raisonnement exclurait toute considération sanitaire, l'amélioration des conditions de travail constituerait à elle seule un investissement économique pertinent », souligne le CES.
La construction de l'identité.
Et de passer aux recommandations pour promouvoir la santé au travail. Car « il n'existe par nature aucun lien de fatalité entre travail et pathologies mentales », insiste l'avis. D'autant que « le travail contribue à la construction de l'identité et de la santé mentale ». « Nombre de compromis favorables pour la santé, tant physique que mentale, peuvent être trouvés entre contraintes de travail et attentes en termes d'accomplissement de soi », estime-t-il.
Il faut promouvoir la santé mentale au travail, mettre en place des outils d'évaluation et sensibiliser aux nouveaux risques les acteurs de terrain. Il faut aussi, n'hésite pas à affirmer le CES, reconsidérer les organisations du travail et construire un « système de précaution », avec pour les salariés et leurs représentants un vrai pouvoir d'intervention. Toutes les énergies doivent être mobilisées, et principalement les médecins du travail.
« Le débat collectif sur ce qui peut engendrer de la "souffrance au travail" ne fait que commencer », conclut l'avis qui doit être examiné aujourd'hui en assemblée plénière. Il convient de s'engager résolument dans la construction de la santé au travail et par le travail, intégrant les dimensions de la santé mentale, dont les effets puissent durablement profiter à la société tout entière. »
Une boîte à outils pour prévenir la souffrance psychique
La souffrance psychique au travail est aussi le sujet du livre de Gérard Huber, du Dr Madeleine Karli et de Christian Lujan, « Quand le travail rend fou », sous-titré « Pour que ça change ! ». Mais l'angle d'approche est bien différent. Les auteurs, un psychanalyste-psychosociologue, un médecin du travail et un écrivain-psychanalyste, veulent donner les moyens de prévenir ou de réparer les troubles psychiques engendrés aujourd'hui par le travail.
L'intérêt de cet ouvrage très riche et qui ne mâche pas ses mots est la multiplicité des approches, enrichies par des cas concrets, à commencer par les héros de Kafka (« le Château », « la Métamorphose »), qui « avait perçu que la folie au travail pourrait devenir une norme ». Pour comprendre ce qui se passe dans sa propre organisation de travail, le lecteur trouvera par exemple une série de questions autour de sept axes (stratégie, structure, systèmes, savoir-faire, style, personnel, valeurs partagées). S'y ajoutent quatre principes pour entreprendre des actions de changement (travail d'acteur, travail de deuil, travail de projection dans l'avenir et travail de mémoire).
Un autre chapitre propose une approche psychanalytique des logiques du sens, avec les interpénétrations de la réalité, du symbolique et de l'imaginaire. Là encore, des exemples permettent de projeter sa situation personnelle et de comprendre ce qu'il faut faire « pour vraiment changer ».
Les médecins s'intéresseront plus particulièrement à l'étude sur la prévention au travail, qui doit être le plus en amont possible. Comment agir quand l'alerte est tardive, que faire en cas de suicide, comment réagir en face d'une souffrance collective et peu exprimée ? Les médecins du travail trouveront des réponses argumentées et détaillées.
L'éthique a aussi sa place dans l'ouvrage, de même que des repères théoriques pour aller plus loin. « Une vigilance active est indispensable à tous les niveaux des organisations publiques et privées pour rappeler en permanence qu'il n'est pas question de céder à la folie au travail. Chacun de nous peut y contribuer », conclut le livre, qui y contribue lui-même de façon originale.
>>>>« Quand le travail rend fou », Editions Jean Attias, 230 pages, 24,90 euros.
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