Le microbiote intestinal a longtemps été méconnu, 80 à 90 % des bactéries qui le composent étant difficiles à cultiver par les méthodes habituelles. Mais la technique moderne de "taxonomie moléculaire", basée sur l’étude des séquences d’ADN codant les ARN ribosomaux, a permis d'identifier de nombreuses espèces. Le microbiote intestinal est spécifique d'un individu et constitué de 1 014 bactéries de 1 000 espèces différentes, soit plus d’un kilo de masse corporelle. Il est constitué de trois grands groupes, Firmicutes, Bactéroidetes et Actinobacteries. Il modifie sa composition en fonction des événements de la naissance jusqu'à 2 ans, puis reste remarquablement stable dans le temps, comme l'illustre son aptitude à se régénérer après un traitement antibiotique, du moins jusqu'à la survenue de pathologies touchant le système immunitaire ou sous l'influence du vieillissement.
Le microbiote et immunité font la paire
L'implication du microbiote dans les défenses immunitaires a été montrée dès les années 60, dans des modèles de rongeurs. Élevés sans flore intestinale, ces derniers sont inaptes à se défendre vis-à-vis de tous les agents pathogènes, bactéries ou virus. Tout un pan de la recherche s'intéresse au rôle du microbiote dans la protection contre les infections alimentaires et on sait maintenant que certaines bactéries intestinales protègent contre les infections à H.Pylori. La meilleure connaissance du microbiote humain pourrait permettre d’envisager une meilleure utilisation de ces bactéries pour améliorer les défenses contre les bactéries et les virus.
Un rôle crucial dans les pathologies inflammatoires intestinales
Actuellement, c'est dans le domaine des pathologies inflammatoires intestinales que les démonstrations de l'influence du microbiote sont les plus convaincantes, qu'il s'agisse du microbiote intestinal résident ou du microbiote "de passage" (i.e toutes les bactéries d'origine alimentaire comme celles provenant des produits laitiers fermentés). La flore microbienne agit via la production de cytokines pro ou anti-inflammatoires. "Il existe un lien fort entre la composition du microbiote intestinal, les états inflammatoires et les déséquilibres immunologiques, qu'il s'agisse de l'immunité au niveau systémique ou au niveau intestinal" explique le Dr Philippe Langella, Directeur de recherche et responsable de l’équipe « Interactions des bactéries commensales et probiotiques avec l’hôte » de l’Institut MICALIS de l’INRA de Jouy en Josas. Grâce à des techniques de séquençage génomique, des scientifiques ont montré que certaines pathologies étaient associées à un déséquilibre entre bactéries bénéfiques et néfastes (symbiontes et pathobiontes). Ces déséquilibres entraînent un dérèglement immunologique, avec une réponse orientée vers l'inflammation en cas de prédominance des pathobiontes.
Etude dans la maladie de Crohn
Une étude menée par l’INRA, l’INSERM et les gastro-entérologues des hôpitaux Lariboisière et Saint-Antoine, a quantifié les bactéries commensales avant résection iléocæcale chez 20 patients atteints de maladie de Crohn. La moitié avait un profil bactérien identique à celui des volontaires sains, l'autre moitié avait un déficit en un représentant des Firmicutes, le Faecalibacterium prausnitzii. Six mois après l’opération, seul ce dernier groupe était en rechute, suggérant les importantes capacités anti-inflammatoires de cette bactérie, qui ont été confirmées dans des modèles murins. Pour le Dr Langella, ce type de recherche est déjà en soi une certaine révolution puisqu'on part de la clinique humaine pour identifier directement les bactéries anti-inflammatoires, ouvrant ainsi la voie à 3 applications potentielles dans les pathologies intestinales inflammatoires. L'une serait d'administrer Faecalibacterium prausnitzii sous forme de complément alimentaire per os. La seconde serait d'isoler le principe actif de la bactérie, ce qui pourrait déboucher sur de nouveaux médicaments. La dernière piste serait de repérer des molécules prébiotiques capables de stimuler la croissance de F. prausnitzii au sein du microbiote.
Microbiote et syndrome de l'intestin irritable
On considère maintenant que le syndrome de l’intestin irritable (SII) correspond à une inflammation de bas grade, impliquant manifestement la flore intestinale avec une pullulation microbienne anormale et une modification dans la répartition des diverses souches, avec en particulier l'absence quasi-totale de lactobacilles. L'altération de la perméabilité intestinale observée dans cette pathologie facilite le contact des éléments bactériens ou alimentaires avec les cellules immuno-compétentes et les terminaisons sensitives, favorisant ainsi l'hypersensibilité viscérale.
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