LE TEMPS DE LA MEDECINE
LA PRISE d' « adjuvants » par des élèves de terminale qui visent la mention au bac, des étudiants de classes préparatoires aux grandes écoles, des carabins inscrits en première année ou encore des candidats à Sciences-Po, est comparable, toutes proportions gardées, à ce qui se fait dans le monde sportif de haute compétition. Du plus lointain de leur histoire, ces filles et ces garçons se sont tissés des étoffes de vainqueurs ou ont été programmés pour la performance à tout prix. « Tu seras un gagnant, mon enfant !»
Poudre de perlimpinpin.
Pour certains, le café, le Coca-Cola ou le thé à haute dose sont les auxiliaires du succès recherché ; pour quelques-uns, ce sont les substances illicites, notamment le cannabis ; et pour d'autres, la poudre de perlimpinpin suffit. Les produits pour doper la mémoire, par exemple, sans effet chimique évident, répondent à cette attente. Le problème, car il en existe même avec la poudre de perlimpinpin, c'est l'entrée dans « le cercle vicieux » de la consommation, puisque le produit est vu comme « nécessaire biologiquement » et que l'étudiant pense qu'il ne réussira pas sans lui. Une fille sur trois et un garçon sur cinq candidats au bac 2004 auraient demandé à leur mère ou père de passer à la pharmacie pour les approvisionner en « dope mentale ». « On peut parler de grigri, sans conséquence au niveau somatique, qui, sur un plan psychologique, aide à tenir », explique au « Quotidien » le Dr Patrice Huerre, psychiatre, directeur médical de la clinique médico-universitaire Georges Heuyer (fondateur de la pédopsychiatrie), à Paris. Etablissement psychiatrique de la Fondation santé des étudiants de France, qui compte 12 centres de soins offrant une approche médicale et pédagogique, Georges Heuyer anime, depuis octobre 2003, du lundi au vendredi une consultation Relais étudiants-lycéens (REL) ouverte aux jeunes qui « se shootent aux études ». De tous temps, les apprentis du savoir « ont été confrontés à des projets d'excellence, qui sont des sortes de défis pouvant entraîner une série de problèmes comme la dépression, l'angoisse, voire la tentative de suicide ».
Assurée par des psychiatres, des psychologues et des infirmiers, en présence d'un enseignant, la consultation REL, d'une durée de soixante-quinze minutes, est prise en charge par l'assurance-maladie. Elle est complétée par des interventions dans les lycées, où le Dr Patrice Huerre et son équipe traitent du stress à la veille d'enjeux scolaires.
La caféine et les psychostimulants.
« Il y a celles et ceux, également, qui choisissent la caféine ou les psychostimulants, médicamenteux de type anorexigène, ou de style cocaïne et autres. Là, c'est plus ennuyeux », fait remarquer le psychiatre. A un état hypomaniaque s'ajoute un effet d'épuisement dû au manque de sommeil, un défaut de mémorisation et une accélération du cours de la pensée qui ne peuvent qu'être préjudiciables le jour J. « L'intéressé a l'illusion d'être plus performant, sans l'être vraiment. Il a le sentiment d'avoir bien réussi, alors que ça ne sera pas le cas. »
Ils sont des centaines, des milliers peut-être, à vouloir tenir le rythme de travail nécessaire toute l'année, ou pendant deux ans, avant de se présenter à l'épreuve éliminatoire ; « car, si ça ne marche pas, ils iront dans le mur », selon eux. La clinique Georges Heuyer en voit trois ou quatre par semaine « dopés à la caféine ou aux psychostimulants », à qui il est proposé de « relativiser les enjeux scolaires et universitaires », grâce à un travail psychothérapeutique plus ou moins informel. « Nous nous employons à leur faire rouvrir le champ des possibles ; accepter de ne pas être une machine toujours plus performante », dit le Dr Huerre. Une ou deux séances peuvent aider à « lever la pression, à chasser l'obnubilation », qui mettent en difficulté l'étudiant et peuvent l'entraîner jusqu'au suicide.
Les anxiolytiques.
Nombreux aussi sont les « angoissés », taraudés par la peur de rater, qui se tournent vers les anxiolytiques de la pharmacie familiale, l'alcool et/ou les joints. Comment être moins anxieux sans perdre ses capacités ? Or, très vite leur rythme veille-sommeil et leurs niveaux d'attention et de concentration sont déréglés. Là encore, le remède se révèle pire que le mal. L'usager, croyant qu'il n'a pas pris assez de « ces redoutables substances », entre inexorablement dans le « cercle vicieux » de la dépendance « au lieu de compter sur ses propres ressources ». « Le concours n'a rien d'essentiel. C'est important, mais pas au point de se mettre en danger » : tel est le message de la clinique psychiatrique parisienne, lors d'entretiens hebdomadaires, avec deux ou trois étudiants angoissés.
L'autoexcitation.
Une autre méthode de stimulation, sans produits, est fondée sur l' « autoexcitation » et semble tout aussi déstabilisante. Des milliers d'élèves des circuits dits d'excellence et de carabins de PCEM1 font du « non-stop », ne s'accordant aucune pause dans leur travail. Les officines de soutien scolaire, et depuis peu les boutiquiers du « coaching », qui prétendent exercer la « solidité mentale », sont pris d'assaut. De tels comportements ont l'effet d'une drogue et entraînent beaucoup de fatigue. « Quand nous recommandons aux étudiants concernés de prendre le temps de faire une balade de dix minutes, afin de décompresser, force est de constater qu'ils ont du mal à s'exécuter, car, dans leur esprit, c'est leur avenir qui est en jeu, souligne le Dr Patrice Huerre . Ils doivent comprendre que le cerveau a besoin de récupération de temps en temps. Il ne suffit pas de mettre du carburant dedans pour le faire tourner à plein régime, de jour comme de nuit. »
« Ce n'est pas le concours qui crée la pathologie, mais il est un révélateur », conclut le Dr Patrice Huerre, qui s'apprête à publier chez Hachette, au début de l'année prochaine, un ouvrage sur « les trop bons élèves », ceux qu'on ne plaint pas et dont on ignore les problèmes de santé alors qu'ils « se tuent à gagner des lauriers ».
Huit places pour 60 demandes
Qu'il s'agisse d'amateurs de poudre de perlimpinpin, de caféine et autres psychostimulants, d'anxiolytiques ou de ceux qui ne prennent pas le temps de souffler, plus d'une soixantaine d'étudiants demandent à être hospitalisés chaque année à la clinique Georges-Heuyer, et seulement huit sont acceptés faute de place. Poussés à l'extrême, comme des machines, ils présentent pour la plupart une décompensation dépressive, anxieuse, avec un profil anorexique. Le temps d'hospitalisation moyen est de huit mois. Pour les élèves de première et de terminale, l'enseignement se fait à la clinique, tandis que les étudiants restent en contact avec leur université tout en bénéficiant sur place d'un soutien pédagogique.
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