QUE DIRE DE MOUSSAOUI, sinon qu’il s’est évertué à donner de lui-même une image répugnante ? Devant un tel déferlement de haine, une telle glorification du mal à l’état pur, une telle cruauté à l’égard des victimes, une telle joie à l’égard de la souffrance des autres, quel homme, quelle femme, quelle famille ordinaires n’auraient pas eu envie de l’envoyer au diable, littéralement, par l’intermédiaire de la peine de mort ?
Il est clair toutefois que le jury a deviné que, les pires accusations ayant été proférées par Moussaoui lui-même, il y aurait eu quelque chose d’indécent et même de dangereux à le traiter comme un procureur. Et, au fond, ne pas condamner Moussaoui à mort, c’est le priver d’une jouissance ultime : avec son déluge verbal qui charriait tout ce qu’il peut y avoir de haine dans un coeur, il a mangé son pain blanc. Il a tout le loisir, désormais, de réfléchir, dans un confinement absolu, au sens absurde qu’il a donné à sa vie. Et, effectivement, comme il se livrait jeudi à sa dernière rodomontade, en annonçant sa prochaine libération et en insultant les victimes, la présidente du tribunal lui a rappelé que, une fois enfermé dans cette cellule, il finirait bien par se taire.
Complicité.
Or il fallait beaucoup d’intelligence, de subtilité et d’honnêteté pour éviter un amalgame créé de toutes pièces par une complicité objective entre l’accusation et la défense telle que Moussaoui a voulu l’assurer. Le procureur, c’est l’Etat. Et l’Etat, en l’occurrence, voulait à toute force que le procès de Moussaoui fût celui du 11 septembre ; la meilleure preuve en a été fournie par les multiples et déchirants témoignages des familles des victimes.
LE TRIBUNAL D'ALEXANDRIA A RENDU UN SACRE SERVICE AU GOUVERNEMENT AMERICAIN
De son côté, Moussaoui, sans doute sous l’emprise d’un orgueil démesuré, ne voulait pas être seulement un brigand arrêté avant d’avoir commis son forfait. Il n’a cessé de revendiquer une participation au complot historique qui a abouti à l’attentat ; il a même prétendu qu’il avait la responsabilité de détourner un cinquième avion pour l’écraser sur la Maison Blanche, alors que l’école américaine de pilotage qu’il fréquentait avant son arrestation, qui a précédé le 11 septembre de près d’un mois, le jugeait parfaitement incapable de prendre les commandes d’un appareil de ligne.
L’accusation voulait une grand-messe pour apaiser la douleur des Américains ; et Moussaoui voyait dans l’événement le moyen de passer à la postérité. Il fallait donc beaucoup de courage aux jurés pour résister à cette incroyable connivence entre accusateurs et accusé. Il fallait résister simultanément au torrent de haine et d’insultes et à la volonté des autorités politiques, qui voulaient sacrifier Moussaoui sur l’autel de la vengeance dans un pays qui n’a pas aboli la peine de mort, et à l’énorme pression d’un crime si grave qu’il est inscrit dans l’histoire des Etats-Unis.
Mais Moussaoui n’était pas vraiment coupable. Même aux Etats-Unis, on n’est jamais coupable d’avoir l’intention de tuer. Les liens avec Al-Qaïda qu’il n’a cessé de revendiquer étaient pour le moins distendus : ses « patrons » le jugeaient peu fiable et il est improbable qu’ils l’auraient placé dans l’une des quatre équipes de terroristes du 11 septembre s’il avait été disponible. On ne condamne un homme ni pour ses intentions ni pour ses mots ; on ne punit la haine dans le droit d’aucun pays. Tout ce qu’il y avait à la charge de l’accusé, c’était un visa périmé, des contacts avec d’autres terroristes, des cours de pilotage suspects et une volonté patente de faire le mal.
La patience de Mme Brinkema.
Il ne s’agit nullement de disculper ici Zacharias Moussaoui. Il ne s’agit surtout pas de réclamer, comme le font sa mère, ses avocats et la Ligue des droits de l’homme, son rapatriement en France (les conditions de détention seraient plus dures aux Etats-Unis). Moussaoui est un homme sinistre et dangereux. Il aura été néanmoins jugé dans des conditions extrêmement équitables. Ses avocats ont pu trier les jurés ; la présidente du tribunal, Leonie Brinkema, a fait preuve d’une patience et d’une sérénité à toute épreuve, alors que Moussaoui se livrait à de grotesques provocations ; certains parents de victimes ont su dire, avec une remarquable dignité, qu’ils étaient de toute façon contre la peine de mort.
Mais l’environnement du procès était très inconfortable pour tous ses acteurs, avec une nation renvoyée à l’un des pires moments de son histoire, des familles de victimes que Moussaoui a malmenées de façon scandaleuse (qu’en pense la Ligue des droits de l’homme ? Quand s’occupera-t-on enfin des victimes plutôt que des malfaiteurs ?) ; et, enfin, l’administration Bush n’a jamais caché ses intentions politiques dans l’affaire.
Mme Brinkema et les jurés ont su écarter toutes ces influences néfastes à la justice elle-même.
De sorte que, en définitive, le débat sur la peine capitale n’avait pas lieu d’être : le jury n’a pas eu besoin d’amorcer une réforme de la justice fédérale ; dans le cadre contraignant d’un pays qui applique la peine de mort, il a trouvé les arguments qui lui permettaient de ne pas l’appliquer. Moussaoui aurait-il été condamné à mort que l’Amérique, pour le coup, aurait été dénoncée par les bien-pensants comme le haut lieu de la barbarie et on aurait inversé, comme d’habitude, le rapport entre accusateur et accusé, en assurant du même coup à Ben Laden et consorts une formidable publicité pour leur cause. M. Bush ne le sait peut-être pas, mais le tribunal d’Alexandria lui a rendu un sacré service.
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