Les médecins libéraux ne peuvent encore mesurer avec précision les conséquences de la rupture des liens conventionnels la semaine dernière.
Concernant le règlement conventionnel minimal (RCM), maintenant inévitable, le ministère de la Santé indique que son contenu est « en cours d'arbitrage » et qu'il envisage soit un règlement destiné aux seuls médecins spécialistes (similaire au RCM en vigueur depuis 1998), soit un RCM avec « certaines mesures touchant aussi les généralistes ».
Si la convention des généralistes reste toujours en vigueur tant qu'elle n'est pas dénoncée, le ministre, Jean-François Mattei, prendra cependant la précaution de mettre en musique les mesures visant les généralistes, dans l'accord du 10 janvier conclu entre les caisses et quatre centrales syndicales (revalorisation de la consultation approfondie pour les patients en ALD, forfait pédiatrique, coordination de soins palliatifs...).
Dans l'esprit du Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), le RCM doit permettre d' « expédier les affaires courantes ». Selon lui, une version « négative » du texte consisterait à reprendre le RCM de 1998 en y remettant les pénalités financières suspendues depuis neuf mois (1). En revanche, les médecins verraient positivement un RCM incluant la suppression des pénalités, une hausse de 10 % du KCC (lettre clé des chirurgiens), et surtout « une majoration momentanée et circonstancielle du CS ».
Deux dangers
Le Dr Cabrera considère que l'hypothèse d'une consultation spécialisée facturée 25 euros « n'est pas impossible » dans le cadre de l'Objectif national de dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) pour 2003. « Il faut faire très simple pour calmer les feux de broussaille, apaiser les médecins et construire l'avenir », explique-t-il.
La situation actuelle présente « deux dangers » aux yeux d'Etienne Caniard, qui représente la Mutualité française (fédérant 95 % des mutuelles santé) au conseil d'administration de la CNAM. « Si le RCM donne satisfaction aux médecins par une revalorisation uniforme des actes, il accorde ainsi une prime à la non-signature et confirme l'arrêt de mort du système conventionnel », explique Etienne Caniard. Il craint, en outre, « les réactions des médecins » qui pourraient être tentés d' « augmenter les dépassements sauvages d'honoraires ». Mais, nuance Etienne Caniard, « nous faisons le pari que les médecins sont suffisamment conscients pour ne pas se livrer à un comportement suicidaire à long terme, indépendamment de l'effet d'éviction des soins d'un certain nombre de patients ».
La CFTC « refuse » la proclamation de « la fin de la politique médicale conventionnelle », et appelle les syndicats de médecins « à ne pas prendre les assurés sociaux en otage par des dépassements d'honoraires non remboursés ».
« La base est tellement chauffée à blanc que le soufflé aura du mal à retomber », pronostique pour sa part le Dr Bernard Salengro, administrateur CFE-CGC à la CNAM. Les déclarations des dirigeants des syndicats médicaux semblent lui donner raison. « Nous allons opposer un rapport de forces permanent à la Sécu jusqu'à ce que l'assurance-maladie soit vraiment réformée », a déclaré le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, première centrale syndicale, alors qu'il manifestait à Nantes (voir page 4). La Fédération des médecins de France (FMF), à laquelle ont adhéré des médecins des coordinations, « appelle à l'intensification de la mobilisation et à l'union au-delà de toute appartenance syndicale ». Dans ce climat de révolte, le président du SML privilégie « une riposte graduée ». En attendant la publication du RCM, le SML « demande aux médecins de ne pas se lancer dans des actions de contestation et de provocation tout en continuant à n'appliquer des dépassements d'honoraires qu'avec tact et mesure ». Il précise que les médecins libéraux « n'ont plus vocation à travailler avec les caisses, notamment dans le cadre des URCAM » (unions régionales des caisses d'assurance-maladie).
La négociation de la CCAM
Paradoxalement, les syndicats médicaux, dans leur ensemble, ne veulent plus franchir le seuil de la CNAM, mais ils ont tout intérêt à venir négocier la nouvelle classification commune des actes médicaux (CCAM), dont le versant technique doit être théoriquement mis en place dès le 1er janvier 2004, avant le versant clinique attendu un an plus tard. En effet, seule la CCAM et la nouvelle hiérarchisation des actes sont susceptibles de revaloriser les honoraires des médecins libéraux tout en les adaptant à l'évolution de leur pratique.
« C'est le gros problème », reconnaît le président du SML. Le Dr Cabrera fait toutefois remarquer que les représentants des médecins libéraux sont tout à fait prêts à participer au comité de pilotage de la CCAM (qui n'a toujours pas été installé par le ministre de la Santé) s'il est « géré sous l'égide de la direction de la Sécurité sociale du ministère et non pas de la CNAM ». « Avec l'UMESPE [branche spécialiste de la CSMF, NDLR] , nous voulons monter un groupe intersyndical pour défendre nos intérêts dans les commissions de nomenclature », confirme le Dr Jean-Gabriel Brun, responsable de la branche spécialiste d'Alliance.
En l'absence d'accord conventionnel pour les spécialistes, d'aucuns prédisent un éclatement de la médecine spécialisée libérale, d'autant que l'on a déjà vu l'assurance-maladie contracter des accords bilatéraux avec les pédiatres (forfait pédiatrique de 5 euros pour la prise en charge des enfants de moins de deux ans), ou les radiologues (AcBUS sur les mammographies de dépistage du cancer du sein). Les chirurgiens eux-mêmes ont été tentés très récemment par une convention spécifique consacrée aux plateaux techniques lourds pour les sortir de l'impasse de la convention médicale unique. Plutôt que d'évoquer une « balkanisation », qui aurait une résonance « négative » selon lui, le Dr Pierre Costes, président du syndicat de généralistes MG-France, préfère parler de « construction, ou de reconstruction, adaptée à des besoins réels et hors de toute idéologie ».
Le Dr Cabrera ne redoute pas une atomisation de la médecine spécialisée à court terme. Au-delà du RCM, il n'exclut pas la possibilité d' « optimiser un peu les dépenses d'assurance-maladie par un accord collectif des médecins [avec l'Etat, NDLR] sur la modération des volumes d'actes et l'amélioration de la qualité des soins ». Il estime que, même avec une « formalisation minimaliste », un tel engagement collectif aurait le mérite de rétablir « des rapports de confiance » entre les médecins et les pouvoirs publics.
Du côté de la Mutualité française, Etienne Caniard souligne la nécessité de passer des contrats avec des obligations de résultats, qui seraient négociés avec l'ensemble des financeurs (y compris les complémentaires santé, appelées à jouer un plus grand rôle après la réforme de l'assurance-maladie). « Les syndicats médicaux ne savent plus, aujourd'hui, gérer les écarts de revenus entre les praticiens des secteurs I et II en l'absence de justification de la qualité des actes », constate Etienne Caniard. Afin de justifier ces écarts de rémunération, il préconise notamment « une évaluation plus fine de la qualité des actes et de la prise en charge » organisée par les médecins, puisque « l'évaluation par les acteurs eux-mêmes est la plus efficace ».
A cet égard, ajoute l'administrateur de la Mutualité délégué à la santé et à la Sécurité sociale, « il faut aller plus loin, plus vite et de manière plus transparente que l'évaluation des pratiques professionnelles », actuellement expérimentée par les unions régionales de médecins libéraux dans quatre régions. A défaut de « critères transparents des compétences », conclut Etienne Caniard, on donne « une prime à la médiocrité. Or ce n'est pas ce que recherchent les médecins ».
Dans le contexte actuel, le président du SML ne tire pas de plans sur la comète. Au lendemain du « constat de décès du système conventionnel », il attend d'en savoir plus sur la reconfiguration de l'assurance-maladie à venir avant d'envisager de nouveaux accords (convention, AcBUS) avec l'assurance-maladie rénovée et régionalisée.
(1) Les pénalités financières du RCM impliquent normalement une réduction de 66,66 % à 56,7 % de la prise en charge des cotisations sociales par les caisses.
Vers un conseil d'administration de crise à la CNAM ?
Après leur « divorce » officiel proclamé entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, les administrateurs FO, CFTC, CFE-CGC de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) réclament « un conseil d'administration extraordinaire ». Pour Jean-Claude Mallet, de FO, « c'est un échec de trop » du président CFDT de la CNAM, Jean-Marie Spaeth. FO lui reproche notamment d'avoir « fragilisé » l'assurance-maladie « à l'heure où le bruit des bottes de la privatisation est entendu par les défenseurs de la Sécurité sociale ».
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