Déclinaison individuelle des objectifs nationaux

La révolution douce cachée dans l'accord conventionnel

Publié le 29/03/2007
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ET SI, POUR UNE FOIS, l'essentiel de l'accord conventionnel conclu à la mi-mars n'était pas dans les tarifs ? Non pas dans le passage du C à 22 euros au 1er juillet et à 23 euros l'an prochain, mais dans la mobilisation «individuelle» des médecins traitants dans la prévention et la maîtrise médicalisée ? Pour la première fois, des syndicats médicaux partenaires de la convention ont accepté d'engager la profession dans une dynamique qui dépasse les habituels objectifs collectifs pour impliquer « au plus près » chaque professionnel, invité à réduire ses écarts constatés par rapport à la moyenne (de ses confrères du département, du pays). Certes, les médecins libéraux ont déjà expérimenté les visites individuelles des 750 délégués de l'assurance-maladie (DAM) ; et ils sont rompus aux « entretiens confraternels » directs avec les médecins-conseils.

Mais le fait de consigner noir sur blanc dans un accord la «déclinaison individuelle» d'objectifs chiffrés est une nouveauté. Le directeur de l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (Uncam), Frédéric Van Roekeghem, qui dirige volontiers la Sécu comme une entreprise (il a réorganisé le réseau des caisses, créé une direction centrale de la lutte contre les fraudes, exigé la constitution de banques de données...) est à l'origine de cette petite révolution. Inventaire des questions qui se posent.

Quels sont les programmes et les thèmes concernés?

La prévention est le premier champ exploré. Pour améliorer l'efficience des programmes, l'assurance-maladie va «accompagner» chaque médecin traitant en lui délivrant une information individualisée sur sa pratique. Le dépistage précoce du cancer du sein (12 000 femmes en meurent chaque année) a été retenu. Le dépistage organisé (DO) a été généralisé en 2004 pour l'ensemble des femmes de 50 à 74 ans. L'objectif collectif est d'inclure 80 % de femmes dans le programme en trois ans (le taux global de dépistage actuel est estimé à 66 %). Pour atteindre cette augmentation de 14 points, la Cnam incitera les médecins à augmenter individuellement leur taux de dépistage par mammographie une fois tous les deux ans des femmes de la tranche d'âge concernée «en privilégiant le dépistage organisé». Le «suivi individuel» portera sur le ratio du nombre de mammographies DO et hors DO (et DO seul) rapporté au nombre de femmes de la patientèle âgée de 50 à 74 ans par période de deux ans. Deuxième thème de prévention : la vaccination antigrippale chez les personnes âgées. La loi de santé publique a inscrit un objectif de 75 % dans les groupes à risques (dont les plus de 65 ans). Mais, en 2006, le taux de couverture était seulement de 63 %. Il s'agit d'augmenter ce taux de 12 points en trois ans. Là encore, l'objectif collectif sera «décliné et analysé individuellement». En revanche, le troisième thème de prévention de l'accord, la lutte contre l'iatroégnie médicamenteuse chez les personnes âgées (1,5 million de personnes consomment chaque jour au moins sept médicaments de classes différentes), ne donnera pas lieu à une individualisation des objectifs collectifs ; les médecins auront une information sur le nombre de leurs patients âgés polymédiqués avec un rappel des objectifs collectifs à atteindre sur cette cible (dont la baisse de 10 % des prescriptions de vasodilatateurs).

Quatre thèmes de maîtrise médicalisée seront par ailleurs déclinés individuellement : la délivrance de génériques ; la juste prescription des inhibiteurs de la pompe à protons – IPP – dans le répertoire ; les prescriptions d'antibiotiques ; le respect de la réglementation de l'ordonnance bizone. Pour ce dernier item, l'indicateur individuel utilisé sera la part des médicaments remboursés à tort à 100 % dans le total des médicaments pris en charge à 100 % pour les patients atteints d'une ALD.

«Sur les thèmes de maîtrise, on fixe un objectif national collectif et on situe la pratique du médecin par rapport à celle de ses collègues dans le département et par rapport à l'échelon national», précise, au « Quotidien », le Pr Hubert Allemand, médecin-conseil national.

Qu'est ce qui change en pratique?

«La nouveauté, c'est que les médecins auront les données individuelles dont disposent les caisses depuis longtemps»,ironise Michel Combier, président de l'Unof (branche généraliste de la Csmf). Un progrès dans la transparence, donc. De fait, chaque médecin connaîtra bientôt son profild'activité et de prescripteur sur tous les nouveaux thèmesconcernés, ses résultats propres et, le cas échéant, les écarts individuels à réduire par rapport aux moyennes constatées. «Les objectifs individualisés de prévention seront définis en fonction du résultat de départ du médecin,précise le Pr Allemand . On dit aux médecins: “Voilà où vous en êtes aujourd'hui, voilà ce que vous devez atteindre au bout d'un an, de deux ans, de trois ans pour que l'objectif collectif de 80% de taux de participation [pour le dépistage du cancer du sein] soit atteint par tout le monde.”» En clair, plus le médecin sera loin de la cible collective, plus l'effort qui lui sera demandé sera important. Un principe déjà appliqué aux officines de pharmacie pour les taux de génériques. Ce travail de suivi individualisé sera piloté par les délégués de l'assurance-maladie et les médecins-conseils (en cas d'explication médicalisée). Les commissions paritaires locales (CPL) auront leur mot à dire pour accompagner ces actions dans les départements et pendre en compte le contexte géographique et social.

Quel calendrier?

Pour la prévention du cancer du sein, l'opération est en cours : les délégués de l'assurance-maladie vont rencontrer 14 000 médecins généralistes dans les deux mois qui viennent. Les médecins qui ont un faible taux de participation dans leur population cible sont « privilégiés ». Pour la vaccination antigrippale, chaque médecin traitant aura son objectif (en fonction de son point de départ) à la fin de 2007 afin de se caler sur le programme de vaccination du dernier trimestre.

Sur les thèmes de maîtrise médicalisée, la Cnam a mis en place un plan de bataille sur l'année afin d'articuler les actions des médecins-conseils et des DAM. Là encore, dans un souci d'efficacité, les praticiens ne seront pas choisis au hasard. La caisse s'adressera en priorité aux médecins qui ont le plus grand écart de pratique avec les objectifs recherchés. Problème : selon la Cnam, ce sont souvent les mêmes praticiens qui affichent des résultats en décalage sur plusieurs thèmes différents. «On ne peut pas être chez un médecin en permanence, il y aurait un phénomène de saturation, on fera des choix prioritaires dans nos interventions»,rassure le Pr Allemand . La lettre mensuelleaux médecins fera également le point sur un thème donné.

Faut-il craindre des dérives?

Lors de l'assemblée générale de la Csmf, il y a une semaine, des médecins généralistes ont pointé deux types de menaces : le «flicage» des caisses et les «sanctions». Du coup,la motion du syndicat met en garde contre toute tentative de l'Uncam d'engager les libéraux dans une démarche de contractualisation individuelle sur des objectifs «opposables». La Csmf insiste sur le caractère «pédagogique» des objectifs individuels. La direction de la caisse avait anticipé ces inquiétudes en parlant de «petits défis personnels» à atteindre pour les médecins. Mais, pour le Dr Martial Olivier-Koehret, président de MG-France, le danger est réel. «Avec ce genre de méthodes, c'est la certitude de contraintes supplémentaires pour les généralistes et d'une pression accrue de la part des administratifs des caisses, déclare-t-il . On expliquera aux médecins qu'ils ne sont pas dans les clous pour faire baisser la pharmacie remboursée en ville.»

De son côté, la Cnam n'exclut pas, dans un second temps, de mettre en place un «étage supérieur» de maîtrise pour les seuls médecins volontaires avec, dans ce cadre, des incitations individuelles.

Comme toujours, c'est à l'usage que les médecins apprécieront les conséquences, bonnes ou néfastes, d'une innovation conventionnelle.

Le bonus de 20 % dans les déserts médicaux au « JO »

L'avenant n° 20 à la convention qui porte sur la majoration de 20 % des honoraires pour les généralistes exerçant en cabinet de groupe dans les zones sous-médicalisées a été publié au « Journal officiel »*. Ce texte avait fait l'objet d'un accord en début d'année entre l'assurance-maladie et les signataires de la convention (« le Quotidien » du 22 janvier). Environ 1 600 généralistes, répartis sur 4 500 communes, correspondant à une population de 2,6 millions d'habitants, exercent dans les zones dites déficitaires (selon la classification 2006 des missions régionales de santé). La nouvelle option conventionnelle mise en place est destinée à «favoriser l'installation et le maintien des médecins généralistes» dans ces déserts médicaux et à favoriser l'exercice regroupé. Dans ce cadre, les honoraires (C+V) des généralistes de secteur I (ou ayant choisi l'option de coordination) exerçant dans ces zones en cabinet de groupe pourront être majorés de 20 %. L'aide sera versée par les Cpam sous forme d'un forfait annuel individuel. La durée de vie de l'option a été limitée au 11 février 2010. Un observatoire de la démographie sera mis en place afin d'évaluer l'efficacité du dispositif. Un bilan général sera réalisé dans le courant du premier trimestre 2009 : en cas d'échec, des mesures de régulation «le cas échéant financières, notamment dans les zones médicalement très surdotées», pourront s'appliquer pour les nouveaux installés.

* www.legifrance.gouv.fr

> CYRILLE DUPUIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8137