Neurotransmetteurs et troubles psychotiques
IL SEMBLE ACQUIS que les troubles schizophréniques résultent d'un dysfonctionnement de plusieurs systèmes de neurotransmission au cœur desquels se trouvent la classique hyperactivité dopaminergique, l'altération des mécanismes de régulation corticale et les déficits neuronaux ou synaptiques de nature neurodéveloppementale ou environnementale. Le cerveau devient donc hyperréactif aux stimuli et ne parvient pas à réguler sa réponse par les processus inhibiteurs qui sont normalement mis en jeu
Au cours d'un épisode psychotique aigu, la réponse des neurones du cortex pyramidal est excessive ; leur activité échappe à la modulation directe ou indirecte des systèmes de neurotransmission dopaminergique, sérotoninergique, glutaminergique et cholinergique.
Dopamine.
Le rôle de la dopamine (DA) dans les processus psychotiques est connu depuis longtemps ; qu'il s'agisse de l'hyperactivité mésolimbique ou de l'hypoactivité mésocorticale pour les symptômes négatifs de la schizophrénie. La lévodopa décarboxylase est d'ailleurs élevée chez les patients schizophrènes, et les amphétamines ou les amphétaminiques, comme le 3 ,4 méthylènedioxyméthamphétamine (Mdma ecstasy), qui provoque une libération synaptique de DA, entraînent des manifestations psychotiques chez les sujets sains et l'exacerbation des symptômes délirants chez des patients psychotiques ; c'est d'ailleurs par leur effet antidopaminergique que les neuroleptiques ont une efficacité thérapeutique
Sérotonine (5HT).
La sérotonine joue également un rôle, comme le montre deux produits hallucinogènes, le LSD (Lysergic Acid Diethylamide) et la mescaline, qui agissent sur les récepteurs 5HT2. D'ailleurs, les antipsychotiques atypiques agissent également sur les récepteurs 5HT2. Certains polymorphismes des gènes codant pour les récepteurs 5HT2 ont été isolés comme facteurs de risque chez certains schizophrènes.
Glutamate.
De nombreux travaux suggèrent que la stimulation des récepteurs au glutamate de type Ampa serait impliquée dans la survenue de symptômes positifs de la schizophrénie, alors qu'un hypofonctionnement des récepteurs au glutamate de type Nmda jouerait un rôle dans l'apparition des symptômes négatifs du déficit cognitif. Les antagonistes des récepteurs Nmda, comme le PCP (phéncyclidine) ou la kétamine, sont connus pour induire des symptômes psychotiques, alors que les produits qui stimulent les récepteurs Nmda via la modulation par la glycine semblent améliorer les symptômes négatifs et le déficit cognitif de patients schizophrènes recevant des antipsychotiques atypiques.
Acide gama aminobutyrique (Gaba).
Certaines observations histo-immunochimiques permettent de penser que le dysfonctionnement du cortex préfrontal dorso-latéral, mis en cause dans la schizophrénie, serait lié à une altération de la transmission gabaergique. Ces neurones gabaergiques seraient sous contrôle dopaminergique et exerceraient un rétrocontrôle inhibiteur sur les neurones excitateurs. Cette hypothèse est d'autant plus séduisante que ces systèmes neuronaux connaissent un profond remaniement au moment de l'adolescence, âge critique pour le début de troubles psychotiques. La baisse de la GAD ( Glutamic Acid Decarboxylase) entraîne une diminution de l'activité gabaergique et, donc, une perte de contrôle gabaergique sur les neurones glutamatergiques, dont l'hyperactivité est une caractéristique des troubles psychotiques. Or la baisse de l'activité de la GAD a été observée chez les schizophrènes, et les antipsychotiques par leur action antagoniste D2 ont tendance à augmenter l'expression de la GAD
Nicotine.
Le fait de fumer semble avoir un effet bénéfique pour le trouble schizophrénique ; cela explique peut-être l'importance du tabagisme chez ces patients, les récepteurs cholinergiques de type nicotinique étant impliqués dans l'altération des fonctions cognitives chez les schizophrènes. Chez ces patients, l'activité de ces récepteurs est d'ailleurs réduite dans l'hippocampe. De surcroît, l'utilisation de patchs nicotiniques comme substitut améliore leurs fonctions cognitives.
L'implication de ces différents systèmes dopaminergiques, sérotoninergiques, glutamatergiques, gabaergiques et nicotiniques est complexe par leurs interactions variables aux différentes phases des troubles psychotiques. Pour autant, ils permettent de modéliser des hypothèses physiopathogéniques en intégrant les connaissances d'autres voies de recherche, comme les perspectives neurodéveloppementales ou la génétique. Ils ouvrent également la voie vers de nouvelles approches thérapeutiques après les neuroleptiques classiques ou les molécules intermédiaires, comme l'amisulpiride. Ainsi, à côté des antipsychotiques atypiques, comme l'olanzapine, la clozapine, la rispéridone ou la ziprazidone, dont le mode d'action est essentiellement dopaminergique et antagoniste sérotoninergique, sont apparues de nouvelles molécules, comme l'aripiprazole, agoniste partiel D2 et 5HT1A, qui bloque les récepteurs en cas d'hyperactivité dopaminergique et les stimule en cas d'hypoactivité ; ce qui pourrait rendre compte de son activité sur les symptômes négatifs et positifs de la schizophrénie.
De nombreux autres produits sont en développement, soit dans le champ des systèmes dopaminergiques et/ou sérotoninergiques, soit orientés vers la modulation glutamatergique ou la stimulation des récepteurs nicotiniques. D'autres pistes sont également explorées, comme les agonistes sigma 1, les antagonistes NK3 (neurokinines), les antagonistes des récepteurs cannabinoïdes, les modulateurs de la glycine, voire celle de la thérapie génique.
Actuellement, parmi la soixantaine de molécules étudiées dans les troubles psychotiques (en phase préclinique ou en phase II ou III), il est probable qu'un petit nombre seulement parviendra au stade de l'autorisation de mise sur le marché. Cette profusion témoigne néanmoins du dynamisme des recherches en neurosciences et des espoirs d'amélioration du traitement des troubles psychotiques.
D'après un entretien avec le Pr Frédéric Rouillon (hôpital Albert-Chennevier, Créteil France).
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