CERTAINS cancers du sein sont sous influence hormonale, les estrogènes (d’origine ovarienne avant la ménopause, dérivés des androgènes après la ménopause) participant à la croissance tumorale. Les antiaromatases, classe de médicaments utilisée dans les années 1970 pour combattre la production d’estrogènes d’origine surrénalienne, agissent en bloquant une enzyme de conversion des androgènes en estrogènes et ne peuvent a priori être utilisés avant la ménopause. C’est donc dans les cancers du sein hormonodépendants de la femme ménopausée que leur développement s’est focalisé.
Tout d’abord, dans le cancer métastatique qui, depuis une vingtaine d’années, faisait indiquer préférentiellement un traitement par tamoxifène aux propriétés estrogéniques sur l’os et l’utérus, et antiestrogénique sur le sein. La protection osseuse apportée devrait toutefois être mise en balance avec la toxicité vasculaire (risque thromboembolique veineux) et l’augmentation du risque de cancer de l’endomètre.
D’autres traitements du cancer du sein métastatique étaient proposés : médroxyprogestérone à forte dose, avec un risque de complications vasculaires ; androgènes, sources de virilisation ; ou estrogènes, exposant quant à eux à un risque d’accidents artériels.
Les oncologues se sont réappropriés les antiaromatases, le premier, non stéroïdien, étant l’aminoglutethimide (Orimeten), actif en cas d’échappement au tamoxifène, mais posant le problème de sa mauvaise tolérance et d’une administration complexe.
Depuis, d’autres antiaromatases ont été développés : l’anastrozole (Arimidex) et le létrozole (Fémara), tous deux non stéroïdiens, et l’exémastane (Aromasine), antiaromatase stéroïdien.
En première ligne.
«Ces molécules ont tout d’abord fait la preuve de leur supériorité sur la progestérone en termes d’efficacité et de tolérance, chez des patientes échappant au tamoxifène. Puis, comparativement au tamoxifène, les antiaromatases se sont montrés capables d’apporter de meilleurs taux de réponses et des réponses de durée prolongée, ce qui leur a conféré la place de traitement de première intention du cancer hormonodépendant métastatique après la ménopause. Les études cliniques ont également permis de montrer que, en cas d’inefficacité d’un antiaromatase non stéroïdien, une réponse est possible avec un antiaromatase stéroïdien», poursuit le Dr Laurent Mignot.
« Au niveau de la tolérance,les antiaromatases entraînent moins de bouffées de chaleur ou de complications vasculaires que le tamoxifène, mais exposent à trois problèmes: en premier lieu, des douleurs articulaires au cours du traitement, parfois pénibles et invalidantes, qui ont toutefois la particularité d’être molécule-dépendantes; ensuite, une asthénie, durable et donc très mal vécue par les patientes ; enfin, une toxicité cardio-vasculaire secondaire à l’hypercholestérolémie induite par le traitement. Il faut en outre mettre l’accent sur l’aggravation de l’ostéoporose et, donc, sur le risque fracturaire, fait à prendre particulièrement en compte dans le cadre d’un traitement adjuvant ou en cas de traitement complémentaire», insiste le Dr Mignot.
En adjuvant.
La place des antiaromatases a ensuite été évaluée, toujours chez des femmes ménopausées, en traitement adjuvant du cancer du sein localisé ou opéré.
Dans ces tumeurs, le tamoxifène administré pendant cinq ans seul, ou en association à la chimiothérapie, fait diminuer de 30 % le risque de rechute chez les femmes à risque. Mais ce bénéfice se fait au prix d’une augmentation du risque de cancer de l’endomètre, (sans impact sur la survie, toutefois), et de complications vasculaires. C’est dans ce contexte que les antiaromatases ont été évalués dans deux grandes études randomisées, anastrozole versus tamoxifène et létrozole versus tamoxifène, chacune d’une durée de cinq ans. Ces deux essais ont là encore mis en évidence la supériorité des antiaromatases sur le tamoxifène, avec une réduction supplémentaire de 15 % du risque de rechute. Au niveau des effets secondaires, l’augmentation du risque fracturaire dépend du statut osseux des femmes. La mesure de la densité minérale osseuse (DOM) par absorptiométrie biphotonique doit être systématique avant l’instauration du traitement. En fonction des résultats de la DMO, les femmes reçoivent un bisphosphonate ou une supplémentation calcique seule, et bénéficient d’une surveillance de la DMO tous les deux ans. Le pic de risque fracturaire se situe au cours de la deuxième année de traitement. « Une augmentation du risque d’infarctus du myocarde a été rapportée dans l’une de ces études, mais, dans tous les cas, le rapport bénéfice/risque était en faveur du traitement par antiaromatase», précise le Dr Mignot.
L’évaluation clinique des antiaromatases a ensuite permis de démontrer leur intérêt pour réduire le risque résiduel de rechute chez des femmes ayant reçu du tamoxifène pendant cinq ans. D’autres études concordantes soulignent également l’efficacité des antiaromatases après deux ans de tamoxifène.
«Quelle est la meilleure stratégie à adopter pour que les femmes bénéficient au mieux de ces nouveaux traitements sans compromettre leur capital osseux? s’interroge le Dr Mignot. Faut-il commencer par deux ans de tamoxifène, afin de stimuler la formation osseuse, puis administrer trois ans d’antiaromatase, ou donner un antiaromatase d’emblée pendant cinqans? » Une vaste étude comportant quatre bras thérapeutiques devrait répondre à cette question. « Faut-il prolonger le traitement en cas de maladie étendue, avec, par exemple, des séquences thérapeutiques?» Là encore, une étude est en cours pour préciser la pertinence de cette approche.
Avant la ménopause.
Enfin, quelle est la place potentielle des antiaromatases dans les cancers du sein hormonosensibles survenant avant la ménopause, pour lesquels le tamoxifène est actuellement le chef de file du traitement hormonal.
Deux essais en cours comparent ce dernier à l’association agonistes de la GnRH - antiaromatases et devraient permettre de préciser leur place chez la femme non ménopausée à risque de rechute.
* Chef du département d’oncologie médicale, institut Curie, Paris.
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