NICOLAS SARKOZY ne fait rien dans la précipitation ou dans la confusion, et ses dérapages, si on peut les appeler ainsi, sont contrôlés : lorsqu'il a dit qu'il nettoierait un quartier au Kärcher, puis, plus récemment, lorsqu'il a parlé de « tolérance zéro » à l'égard des émeutiers de Clichy-sous-Bois, lorsqu'il a évoqué la « racaille » des banlieues, il menait simplement sa campagne de recrutement à l'UMP d'électeurs du Front national. Ses mots n'ont donc pas dépassé sa pensée. Mais le terme de « racaille » a indigné son collègue Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion des chances, qui a si souvent exprimé sa joie de se retrouver dans un gouvernement républicain, et qui l'a profondément déçu. On a envie de dire à M. Sarkozy : il ne faut pas insulter le présent.
Douleur des familles.
L'enjeu, au demeurant, n'est pas de savoir si M. Sarkozy ira avec des troupes nombreuses à l'assaut de la présidence en 2007, c'est de savoir si on va mettre au point une méthode qui empêche les éruptions de plus en plus graves de la banlieue.
En attendant le résultat des diverses enquêtes qui ont été ordonnées au sujet des événements de Clichy, on discerne peu de circonstances atténuantes pour les émeutiers : certes, ils se sont soulevés parce que deux jeunes qui s'étaient réfugiés dans un transformateur électrique sont morts électrocutés. On mesure la douleur des familles, pour qui le deuil s'ajoute à des conditions difficiles d'existence. Mais non seulement la preuve n'a pas été apportée que les deux jeunes victimes étaient pourchassés par la police, mais on ne comprend pas qu'une action policière dans un quartier sensible soit déjà considérée comme une faute.
Le dilemme, entre l'ordre et le désordre, est pourtant simple : si les jeunes des banlieues estiment qu'ils n'ont pas de comptes à rendre aux forces de l'ordre, cela signifie qu'ils s'autorisent à commettre tous les délits qui leur passent par la tête.
L'ampleur des manifestations qui ont suivi le décès des deux adolescents et la violence des émeutes nocturnes n'ont fait qu'aggraver le malentendu entre un Etat contraint pratiquement à s'excuser parce qu'il tente de faire régner l'ordre et des jeunes certains de leur bon droit : il est établi que le transformateur est situé à un kilomètre de l'endroit où la patrouille de policiers est apparue et il semble étonnant qu'ils se soient lancés dans une si longue poursuite.
L'INTÉGRATION RISQUE D'ÉCHOUER ; RAISON DE PLUS POUR METTRE À CONTRIBUTION LES BONNES VOLONTÉS
Les rumeurs.
Dans cette affaire aussi, les rumeurs se sont multipliées qui se sont vite transformées en vérité d'évangile : une grenade a été jetée dans une mosquée, et à la « férocité » policière s'ajoute la « profanation ». Mais il a été prouvé que la grenade n'appartenait pas à la police ; des coups de feu ont été tirés contre des véhicules des forces de l'ordre, ce qui montre que des provocateurs se servent du mécontentement des jeunes pour accroître le chaos : l'agitation est entretenue par des pervers qui veulent arracher la jeunesse des banlieues au giron républicain et la mettre au service de la cause fondamentaliste.
Symboliques d'un malaise profond et général, les émeutes de Clichy ont montré une fois encore que le désordre se retourne, bien entendu, contre le quartier où il se produit ; les familles n'étaient pas rares qui, s'adressant aux émeutiers, leur demandaient d'en finir parce qu'ils brûlent les voitures des gens modestes, et qu'ils les brûlent par dizaines. Là encore, on en est arrivé à considérer que l'incendie d'une voiture est un délit assez courant pour être pardonné. De ce point de vue, M. Sarkozy n'a pas tort d'appliquer à ce délit son principe de « tolérance zéro ».
Le crime d'Epinay.
Le pire, c'est que, au cours de la même semaine de fièvre mortelle, un crime épouvantable a eu lieu à Epinay. Un photographe a été battu à mort, sous les yeux de sa femme et de sa fille, par des voyous qui, heureusement, ont été arrêtés. Mais qu'est-ce qui peut bien justifier ce meurtre gratuit sinon une haine tout aussi gratuite qui s'est exercée contre une victime qui n'a témoigné aucune animosité à l'égard de ses agresseurs ? La conjonction des deux événements n'a sûrement pas aidé la « cause » des émeutiers de Clichy. Ils se révoltent ; et nous sommes révoltés.
Le pire, dans ces affaires, comme dans toutes les autres, c'est que les ambitions politiques - par exemple, celles de M. Sarkozy - compliquent la crise. Il est bon que nous ayons un fils d'immigré comme ministre délégué à la Promotion des chances. Mais M. Begag mérite mieux. Incarnation de l'intégration réussie, il est l'homme le plus indiqué pour s'adresser aux jeunes des banlieues. Il serait même utile de créer autour de lui une équipe ministérielle composée de personnes issues de l'immigration ; elle s'occuperait des quartiers sensibles et recruterait le plus de policiers possible dans les milieux d'immigrés. Il n'y aura pas de risque qu'ils désignent leurs coreligionnaires par ce terrible mot de « racaille » que M. Sarkozy a lancé beaucoup trop vite et qui risque de laisser des séquelles.
Mais, même s'il s'est gravement trompé dans le choix de son vocabulaire, les contraventions à la loi sont trop nombreuses, trop routinières pour qu'il ne devienne pas indispensable de mettre hors d'état de nuire les casseurs, les incendiaires et les autres criminels. Il est indéniable que l'intégration va mal, que le risque d'échec existe. Mais nous n'avons pas le droit de désespérer et nous devons mettre à contribution toutes les bonnes volontés. Comme celle d'Azouz Begag.
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