L'Amérique unilatérale contrainte à quémander l'aide de l'ONU en Irak ; les adversaires d'hier, France, Allemagne, Russie, devenus les partenaires d'aujourd'hui ; la réactivation de la diplomatie américaine, au détriment de l'influence du Pentagone : George W. Bush a brûlé en quelques jours ses mythes les plus forts.
Ses difficultés en Irak (sans compter celles qu'il rencontre en Afghanistan, loin d'être pacifié) sont multiples :
- militaires d'abord : il ne dispose pas d'effectifs suffisants pour assurer la rotation des troupes, de sorte que le séjour de ses soldats en Irak devient anormalement long, donc épuisant, sans compter le risque croissant, pour chacun de ces soldats, d'être tué ;
- financières aussi : la guerre coûte un milliard de dollars par semaine. M. Bush entendait financer le maintien de l'ordre et la reconstruction de l'Irak au moyen du pétrole, mais Saddam et les fedayins s'ingénient à incendier les oléoducs ;
- politiques enfin : l'an prochain, le chef de l'exécutif est candidat à un second mandat et, si les soldats américains continuent à y mourir, il risque d'être renié par l'électorat.
Le multilatéralisme réinventé
Du coup, M. Bush réinvente les solutions que lui avaient proposées ses alliés à la veille du conflit : il a déjà constitué un gouvernement irakien qui doit encore faire ses preuves et demeure sous le contrôle strict de Washington ; mais il ne voit plus d'inconvénient à ce qu'une armée internationale quadrille le territoire irakien. Son secrétaire d'Etat Colin Powell a donc présenté un projet de résolution qui, tout en créant une force de l'ONU en Irak, laisserait aux Etats-Unis les décisions en matière politique et économique.
On espère que M. Powell n'a jamais cru que son texte serait adopté en l'état. Si la coopération de la Russie ne sera pas rapidement acquise, les pourparlers avec Paris et Berlin vont bon train. MM. Chirac et Schröder ont rapidement fait savoir que la résolution Powell n'était pas satisfaisante et qu'elle ne pouvait servir que de base de discussion. Le président et le chancelier se sont bien gardés, cette fois, de prononcer les mots qui leur sont venus naturellement aux lèvres : que M. Bush a pris des risques incalculables en dépit de leurs admonestations, qu'il n'en a fait qu'à sa tête et que, maintenant qu'il a créé le chaos irakien, il ne manque pas d'air quand il demande à des soldats français et allemands d'aller se faire tuer dans un guêpier dont il est l'unique responsable.
Si M. Chirac évite de prendre une position triomphaliste, s'il se situe vertueusement dans la diplomatie telle que l'ONU la souhaite, c'est parce qu'il sait qu'il a été un brin provocateur avant le déclenchement du conflit irakien.
Etrange itinéraire
Le chemin parcouru depuis lors est édifiant à plus d'un titre : la France s'est opposée avec une vigueur inattendue aux projets américains ; elle n'a pas craint de tenir la dragée haute à Washington, soulevant la colère de M. Bush et de M. Powell et provoquant des réactions d'intolérance dans la population américaine.
Puis, il s'est trouvé que les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont gagné la bataille d'Irak en trois semaines, que Saddam Hussein a perdu le pouvoir politique sinon le pouvoir de nuisance, et que des révélations multiples ont été faites sur les atrocités de son régime.
La France, alors, n'en menait pas large. Elle voyait monter un vent de colère aux Etats-Unis que nos diplomates en poste à Washington ont essayé d'apaiser, comme si leur gouvernement avait été coupable de s'être opposé à la guerre.
Puis, catastrophe pour Bush : il n'y avait pas d'armes de destruction massive en Irak. Là, au lieu de triompher, le gouvernement français a préféré jouer en douceur, alors que son idée de laisser les inspecteurs de l'ONU faire leur travail jusqu'au bout trouvait, dans l'absence d'ADM, une ample justification. Nous avions fait une mauvaise manière à l'Amérique et, même si la France avait raison, notre gouvernement s'est convaincu, au moment où sa position était entérinée par les faits, qu'il ne devait pas élargir le fossé avec les Etats-Unis.
Voilà pourquoi, aujourd'hui, Jacques Chirac ne dit pas à George W. Bush : vous êtes allé en Irak ? Débrouillez-vous maintenant. Non, c'est tout le contraire : la France affiche sa satisfaction devant le virage en épingle à cheveux de la diplomatie américaine ; et elle le prend très au sérieux : vous voulez une résolution de l'ONU ? Parfait. Mais si nous aussi allons en Irak, ce ne peut être que pour partager le pouvoir de décision. Non seulement la requête est hautement légitime, mais ce que demande Bush n'est nullement négligeable : il suffirait de consulter les Français et les Allemands pour savoir que, pour une très forte majorité, il n'est pas question d'envoyer des soldats en Irak. C'est sûr : l'opinion française aurait un langage beaucoup moins diplomatique que celui de M. Chirac.
Mythes effondrés
Ce qui est extraordinaire dans cette affaire, c'est l'effondrement des thèses américaines les plus ancrées dans la mentalité du gouvernement de M. Bush : la présence de ses forces en Afghanistan et en Irak amèneraient l'Iran et la Syrie à résipiscence ; la nécessité d'une conversion des régimes autoritaires à la démocratie deviendrait impérative ; l'Amérique imposerait ses solutions, notamment dans le conflit israélo-palestinien. Il y a, autour de M. Bush, des théoriciens qui ont défendu ces thèses pendant des années et que son arrivée à la Maison-Blanche a fait éclore comme fleurs au printemps. Piètre démonstration : il n'aura pas fallu trois mois pour qu'on leur prouve que l'Amérique n'a ni les moyens financiers ni les moyens humains d'appliquer leurs idées. Etrangement, M. Bush a déjà renoncé à sa propre vision des relations internationales car, s'il y avait tenu un tant soit peu, il aurait pu s'entêter : augmenter les effectifs américains en Irak (par exemple en évacuant les troupes stationnées en Europe et même en Corée du Sud) ; augmenter encore le budget militaire. Bref, parfaire sa victoire à n'importe quel prix.
Le voilà au contraire qui ne songe qu'à être réélu et peu importe l'idéologie qu'il défend. Il était unilatéraliste, il préconisait une politique de force, le voilà multilatéraliste et onusien, et probablement très ouvert à la notion de partage des responsabilités entre Américains et Européens en Irak.
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