Le Généraliste. Comment ont réagi les médecins quand vous avez pris la situation en main ?
Jean-Albert Lièvre. Les médecins n’étaient pas vraiment contre mais pensaient que c’était une folie car notre maison est isolée, loin de toute structure hospitalière. Pour certains, j’étais dans le déni de la maladie. Ma mère était dans un état désespéré, entre délire et apathie, prostration et agressivité, soumise à sept médicaments par jour ! Elle est arrivée dénutrie, ne pesant plus que trente-neuf kilos. Une semaine de plus et elle décédait ! Ma sœur et moi étions affolés.
Je n’attaque pas les médecins : dans ces institutions, ils ont à gérer beaucoup de patients, avec un personnel souvent réduit et sont souvent forcés d’avoir recours aux neuroleptiques… Dès notre installation en Corse, j’ai décidé, en accord avec le médecin généraliste local, d’arrêter progressivement les médicaments.
Et maman a enfin retrouvé le sommeil. Dans les instituts, c’était l’enfer, je restais le plus tard possible avec elle pour la voir s’endormir, mais le lendemain on m’apprenait qu’elle avait tout cassé dans sa
chambre. Entre-temps, les choses ont évolué, certains médicaments ont été déclassifiés par la Sécurité sociale et reconnus comme inefficaces, voire dangereux, associés les uns aux autres.
On vous voit essayer de la reconnecter avec son passé de peintre en l’entourant de tapisseries et de dessins.
J.-A. L. Oui, par moments, elle se met en arrêt devant le portrait qui était dans sa chambre. Ses yeux s’illuminent, elle a un petit sourire. Dans les institutions, ces moments de connexion sont terribles car ils ont lieu dans un décor inconnu, parfois au milieu de patients qui hurlent. Mais dans un environnement
aimant, en pleine nature, avec le contact de l’eau, du vent, du soleil, ils sont apaisés.
Comment lui avez vous fait oublier la caméra ?
J.-A. L. Je n’avais pas prévu de faire un film. Au début, je prenais des images avec mon téléphone portable pour les montrer aux neurologues. Au bout d’un an, j’ai pensé que cela valait le coup de filmer plus sérieusement. Mais je n’ai pas eu à lui faire oublier la caméra : elle ne la voyait pas. Parfois, je la laissais tourner dans un coin. Quand je filmais face à elle, elle me regardait dans les yeux. C’est pour cela qu’elle a cette présence incroyable à l’image…
Peut-on évoquer le coût d’une telle entreprise ?
J.-A. L. Bien sûr, il y a différents tarifs dans les instituts spécialisés. Et je ne compte pas le fait d’avoir une maison, les frais que cela implique. Ce qui coûte, c’est la disponibilité. Moi, depuis vingt ans, j’ai des films qui tournent et rapportent des droits d’auteur. Cela m’a permis de prendre quatre années off et ça, c’est un vrai luxe. Les infirmiers et le kiné sont pris en charge par la Sécu. J’ai un garçon qui vient huit heures par jour et une personne mensualisée à domicile. Ce qui a augmenté énormément, ce sont les charges sociales sur tous ces salaires.
Le côté tactile semble très important pour votre mère...
J.-A. L. C’est vrai. Or, dans les instituts, les patients sont coupés de la vie. Ils ne sortent pas. En été, ils se couchent en plein jour. Ils n’ont aucun contact avec le réel. Maman, elle marche pieds nus. Elle passe son temps à toucher, elle caresse la main des gens, elle sourit à tout le monde. Dans l’eau, elle touche les algues et les cailloux… Sur la plage, elle passe des heures à faire des lignes avec ses doigts dans le sable. Aujourd’hui, elle ressemble à celle que l’on voit nager dans les dernières images. Elle est un peu plus dans son monde, mais toujours aussi gaie et volontaire pour marcher, se baigner. Pour la baignade, au début, elle était affolée. Maintenant, elle en redemande. Et même elle plonge !
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