La participation au tour de garde est une obligation légale. Le médecin de garde, confronté aux exigences de plus en plus élevées des patients, est exposé à des poursuites au plan pénal, civil ou disciplinaire. L’étude de la jurisprudence montre que, d’une façon générale, les juges portent une appréciation sévère sur l’attitude du médecin de garde. Il s’agit ici de faire le point sur les comportements à éviter.
Le médecin de garde doit rester joignable !
Un médecin réquisitionné avait passé la nuit de garde chez un ami qui n’était pas équipé d’une ligne téléphonique. Le médecin de garde avait bien conservé avec lui son portable mais il se trouve que, au domicile de son ami, les communications ne « passaient » pas toujours. La Cour de cassation a décidé que, en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour pouvoir être joint, le médecin a commis une « faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que le médecin ne pouvait ignorer ». Le médecin de garde a été condamné pour homicide involontaire (Cour de cassation, chambre criminelle, 13 févr. 2007, n° 06-81089).
Conserver une trace…
On conseillera au médecin de garde de conserver, par tous moyens, une trace des échanges avec la personne qui appelle. Dans le but d’abord de transmettre le plus d’informations au médecin habituel de la personne. Dans le but également de pouvoir justifier de la conformité du comportement adopté aux exigences légales (par exemple, justifier que les renseignements recueillis ne supposaient pas une intervention immédiate, ou bien que ces renseignements impliquaient l’envoi d’un transport médicalisé vers un établissement hospitalier).
Non-assistance à personne en danger (art. 223-6 du Code pénal)
Le médecin de garde qui est appelé doit porter assistance soit par son action personnelle soit en faisant appel à un tiers qui portera secours. Le médecin doit choisir la forme la plus appropriée. Dans les faits, le médecin de garde peut faire appel à un confrère ou bien solliciter le transport médicalisé vers un établissement hospitalier s’il doit faire face à plusieurs urgences de façon simultanée. Le recours à un tiers permet alors d’assurer de la façon la plus efficace la prise en charge du patient. Cependant, les juges considèrent généralement que l’appel à un tiers ne dispense pas le médecin d’une intervention personnelle. Il n’en va autrement que lorsque le médecin a été empêché de se déplacer, cet empêchement devant être précisément caractérisé. Ainsi, doit être relaxé le médecin régulateur du SAMU, qui, ne pouvant quitter son poste, en l'absence de l'autre médecin du service déjà en intervention, a mis en œuvre le moyen le plus approprié à la situation en demandant au médecin traitant du malade de se rendre auprès de celui-ci pour décider de son hospitalisation (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 mars 1997, Bull. crim. n° 123).
Le secours n’est imposé que s’il peut être apporté sans risque pour celui qui le porte et pour les tiers. Le risque encouru par le médecin de garde peut donc, en principe, justifier son refus de porter secours. Cependant, à cet égard, force est de constater que les juges portent une appréciation particulièrement sévère sur l’attitude du médecin de garde. Ainsi a été jugé coupable du délit de non-assistance le médecin de garde un dimanche qui, du fait des chutes de neige et des visites qu'il devait accomplir, a refusé de se déplacer auprès d'un enfant en danger, en se bornant à conseiller aux parents de se rendre à l'hôpital, sans provoquer lui-même des secours comme il en avait le devoir (Cour de cassation, chambre criminelle, 3 février 1998, Droit pénal 1998, 96, note M. Véron). Le médecin aurait dû, tout au moins, provoquer lui-même les secours.
L’épouse du médecin de garde doit informer celui-ci des appels qu’il reçoit. Dans une affaire où l’épouse du médecin de garde a refusé de réveiller son mari, l’épouse et le mari ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis chacun (Tribunal Correctionnel de Dijon, 1998, inédit).
Lorsque le patient appelle un médecin qui n’est pas de garde, celui-ci doit fournir le numéro du médecin de garde, et s’assurer auprès de ce dernier que les secours sont déclenchés. Il doit intervenir lui-même si aucun autre moyen plus efficace n’est disponible. A défaut, il se rend coupable du délit de non-assistance (Tribunal correctionnel de Lisieux, 1995, inédit, amende).
Mise en danger d’autrui (art. 223-1 du code pénal)
Le délit de mise en danger d’autrui (ou « risque causé à autrui ») consiste dans le fait de mettre en danger une personne en violant une obligation particulière de sécurité ou de prudence, et cela même en l’absence de tout résultat dommageable (art. 223-1 Code pénal). Ce texte ne permet pas de sanctionner une simple erreur de diagnostic ; il sanctionne une « super imprudence ». Un arrêt rendu récemment par la Cour de cassation rappelle cette exigence particulière (Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 mars 2008, n° 07-83067).
Le Dr X, médecin de garde, a été appelé dans la nuit du 8 au 9 octobre 1998 au chevet de Mme Y, une patiente qui avait subi quelques jours auparavant une chirurgie cardiaque avec pose d’une prothèse valvulaire aortique et mitrale et qui souffrait de vomissements et de violentes douleurs abdominales. Après un examen que les experts ont qualifié de sommaire, il a diagnostiqué une gastro-entérite ne relevant pas d’une hospitalisation. Averti trois quarts d’heure plus tard de l’aggravation de l’état de la patiente, il a conseillé téléphoniquement une hospitalisation et a fourni les coordonnées d’un ambulancier. Mme Y a finalement été admise, à 6 heures 30, dans un centre hospitalier où l’on a diagnostiqué une complication post-opératoire justifiant un drainage chirurgical en urgence. La Cour d’appel de Grenoble a reconnu le Dr X coupable de mise en danger d’autrui. Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation pour violation de l’article 223-1 du Code pénal. La Cour de cassation décide que la Cour d’appel de Grenoble a méconnu le sens et la portée de l’article 223-1 du Code pénal. Le délit de mise en danger d’autrui incriminé à l’article 223-1 du Code pénal suppose une « violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ». En l’espèce, le Dr X n’a pas commis une telle violation.
Responsabilité civile et disciplinaire
Les sanctions civiles ou disciplinaires sont indépendantes des sanctions pénales. Un médecin relaxé au pénal peut voir sa responsabilité engagée au plan civil ou disciplinaire. Il peut alors être condamné à verser des dommages et intérêts à la victime (v. par ex. Cour de cassation, chambre criminelle, 3 mars 1993, Bull. crim. n° 96).
La participation au tour de garde est une obligation réglementaire (art. 77 du Code de déontologie). Le refus de participer au tour de garde est passible de pénales et disciplinaires (art. L. 4163-7 du Code de la santé publique). Le médecin de garde doit prendre ses dispositions pour être joint au plus vite (art. 78 du Code de déontologie).
La garde incombe en principe aux généralistes, car confier la garde à un spécialiste obligerait celui-ci à accomplir des actes en dehors de sa spécialité. Il existe cependant de plus en plus de gardes spécialisées, organisées pour la plupart dans des établissements hospitaliers publics ou privés. Pour un médecin généraliste, l’orientation particulière de sa pratique (en l’espèce vers l’acupuncture et la phytothérapie) n’est en principe pas susceptible de justifier une exemption (Conseil d’Etat, 15 juin 2001, n° 190124). Les établissements de soins privés assurant des gardes et permanences médicales peuvent faire appel à des médecins libéraux. Dans cette hypothèse, les médecins libéraux sont responsables personnellement pour les actes médicaux accomplis tandis que l’établissement est responsable de l’organisation de la garde (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 13 novembre 2008, n° 07-15049).
Dans l’exercice de la garde, le médecin est soumis à l’ensemble des règles du Code de déontologie. Ce Code prévoit notamment à l’article 32 que « dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science ». On peut déduire de ce texte que le médecin qui participe au tour de garde doit être en mesure de poser un premier diagnostic en fonction des éléments dont il dispose et d’apporter les premiers soins élémentaires.
Pour apprécier la responsabilité du médecin de garde, les juges tiennent compte du contexte particulier dans lequel il est intervenu et notamment du fait qu’il n’a en général pas accès au dosser médical du patient. Ainsi, les juges ont écarté la responsabilité d’un médecin gynécologue de garde en relevant qu’il « ne disposait pas de l'intégralité du dossier médical de la parturiente qui lui aurait permis de vérifier qu'une césarienne n'était pas contre-indiquée. Par suite, en décidant de ne pas pratiquer de césarienne, le médecin n'a pas commis de faute » (Conseil d’Etat, 30 juin 1999, n° 185123).
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