C’EST LA PUBLICATION en 2002, par une équipe canadienne, de son expérience de trois cas de péridurale chez des patientes ayant des tatouages lombaires (1) qui a sensibilisé les anesthésistes-réanimateurs à ce problème. Il faut dire que les tatouages, en particulier ceux réalisés dans des zones « inhabituelles », parmi lesquelles les régions lombaire et sacrée, sont un phénomène d’ampleur récente. Avec son équipe, le Dr Mercier a, lui aussi, été confronté à deux cas similaires publiés cette année (2), auxquels on peut ajouter les cinq recensés par l’équipe SOS-ALR depuis sa mise en place il y a huit ans.
La réalisation d’une anesthésie locorégionale (ALR) périmédullaire chez les patients porteurs de tatouages lombaires médians fait courir deux risques potentiels : d’une part, celui «d’abîmer les tatouages, dont certains sont de véritables oeuvres d’art» et, d’autre part, «le carottage de tissus lors de la ponction, avec dépôt de pigment dans les espaces périmédullaires, qui pourraient, en théorie, induire des complications neurologiques tardives».
En fait, aucune complication sérieuse n’a encore été rapportée. Et la seule complication publiée dans la littérature est mineure et «très discutable». Il s’agit d’un cas, cité dans une lettre, de douleur profonde spontanément résolutive en vingt-quatre heures chez une patiente ayant bénéficié d’une péridurale obstétricale (3). «On peut dire que la douleur n’a probablement aucun rapport avec le tatouage. La lettre n’apporte aucun argument sur un lien de cause à effet et elle n’a convaincu personne», tranche le Dr Mercier. D’ailleurs, des manifestations de ce type surviennent également en l’absence de tatouage.
Enfin, l’apparition tardive de réactions granulomateuses, lichénoïdes ou inflammatoires qui peuvent survenir en réaction aux produits de tatouage n’a jamais été signalée dans un contexte postanesthésique. Trois explications à l’absence de signalement de ces complications lors des péridurales peuvent être envisagées : «Soit il n’y a pas de problème, soit on manque de recul, soit on prend suffisamment de précautions pour éviter d’emporter des particules vers l’espace péridural.» Il existe, en effet, des recommandations pour éviter ce risque théorique lors de la pratique d’une ALR périmédullaire chez des sujets ayant un tatouage lombaire médian.
Les solutions.
Plusieurs solutions peuvent être proposées dans ces circonstances (2, 4). «On peut rechercher une zone sans pigment au sein du tatouage ou, à défaut, effectuer la ponction péridurale en dehors de la zone tatouée, dans les espaces disponibles sus- ou sous-jacents, ou en utilisant un abord latéral (paramédian). » Quand ces solutions sont inapplicables, il faut ponctionner dans le tatouage. Dans ce cas, deux recommandations claires ont été édictées.
La première consiste à faire une petite incision du derme à l’aide d’un bistouri pointu, sous anesthésie locale. «Cela évite d’abîmer le tatouage et permet d’écarter les berges pour introduire l’aiguille directement dans l’espace sous-cutané», supprimant ainsi le risque de migration du pigment vers l’espace péridural. La seconde recommandation est de bien s’assurer que le mandrin est enfoncé jusqu’à la garde dans l’aiguille afin d’éviter le phénomène de carottage lors de son introduction cutanée et sous-cutanée.
Informer.
Les candidats à une ALR périmédullaire doivent être informés en amont sur les problèmes susceptibles d’être engendrés par les tatouages lombaires. A propos de l’intérêt de réaliser une campagne visant à proscrire cette localisation lombaire, le Dr Mercier estime que la mesure est délicate à prôner car, «à l’heure actuelle, on ne dispose d’aucun élément indiquant que le problème est réel». En revanche, informer les patients sur les solutions possibles est capital.
«Globalement, conclut le Dr Mercier, il faut savoir que la plupart des médecins anesthésistes acceptent de réaliser une péridurale chez les patients au dos tatoué, même quand il n’y a pas d’intervalle de peau saine.» Les refus éventuels sont la conséquence d’un doute théorique, même s’il n’y a pas de complications rapportées – ce que l’immense majorité des patients ignorent – et sur les conditions d’obtention du consentement éclairé. Les généralistes doivent donc insister sur l’importance des consultations préanesthésiques, en particulier au 8e mois de grossesse. En effet, il est difficile de donner correctement cette information à la parturiente juste avant la réalisation de la péridurale, car son attention est alors souvent focalisée sur ses contractions douloureuses.
(1) Douglas MJ, Swenerton JE. 2002 ; 49 (10) : 1057-1060.
(2) Raynaud L et coll. « Ann Fr Anesth Reanim » 2006 ; 25 (1) : 71-3.
(3) Kuczkowski KM. « Can J Anaesth » 2004 ; 51 (1) : 93.
(4) Hotton J. « ALR actualités », n° 5, juin 2004.
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