L'HISTOIRE de la découverte d' Helicobacter pylori devrait être enseignée dans les facultés de médecine. C'est celle de deux chercheurs qui, au décours de parcours opposés mais complémentaires, sont arrivés à faire tomber des dogmes d'une communauté médicale pourtant peu encline à la nouveauté.
Cette histoire commence le jour du 42e anniversaire du Dr Robin Warren, en 1979. L'anatomopathologiste de l'hôpital Royal Perth examinait, comme tous les jours, des lames de tissus prélevés au cours d'interventions chirurgicales quand il aperçut, sur un prélèvement d'estomac ulcéreux, de petits bacilles de forme incurvée morphologiquement proches des campylobacters, à la surface de l'épithélium gastrique. Il s'agissait des colonies en multiplication et non de contaminants. Or, depuis le début des années 1970, le Dr Warren avait entrepris de mettre en place une nouvelle classification histologique des gastrites, un parent pauvre des manuels d'histologie qui étaient, à cette époque, illustrés par des images animales. Il avait proposé d'utiliser des colorants à base d'argent qui permettaient une meilleure visualisation des tissus et des bactéries que l'haematoxaline ou l'éosine. Les dix-huit mois suivant l'observation initiale, l'anatomopathologiste a découvert que les modifications histologiques accompagnant les gastrites aiguës n'étaient présentes qu'en cas de contamination bactérienne concomitante. La communauté médicale locale - à l'exception du Dr Win Warren, sa propre femme - était très réticente à ce travail. Elle se fondait sur une publication du Dr Palmer (en 1954-1955) sur 1 000 biopsies gastriques, qui affirmait qu'aucune bactérie ne pouvait survivre aux conditions écologiques existant dans l'estomac.
Pendant ce temps-là, Barry Marshall, un étudiant d'une trentaine d'année - pas très brillant selon ses collègues de l'époque - s'obstinait à vouloir devenir gastro-entérologue. Pour cela, il lui fallait absolument un sujet de travail scientifique. Le chef de service lui suggéra de se mettre en contact avec le Dr Warren qui avait besoin d'un gastro-entérologue pour poursuivre son travail. Le jeune chirurgien, peu enthousiaste, accepta de prélever des tissus destinés à l'analyse anatomopathologique à chacune de ses endoscopies. Le Dr Marshall suspendit son travail avec le Dr Warren pour s'intéresser momentanément à l'hématologie, au cœur des marathoniens et à la médecine rurale avant de revenir au laboratoire où il analysa les tissus qu'il avait prélevés. Le Dr Warren reconnaît que « sans Barry Marshall, (son) travail n'aurait pu aboutir » (« Lancet », 2001). C'est lui, en effet, qui prouva le lien entre l'infection par Helicobacter pylori et l'apparition des lésions gastriques : les 13 prélèvements d'ulcère duodénal et 24 des 28 prélèvements d'ulcère gastrique ont confirmé la coexistence de lésions inflammatoires et d'une infection par H. pylori.
Le week-end de Pâques 1982.
Mais cette découverte n'a pas été simple. Toutes les tentatives de cultures entreprises se sont révélées négatives jusqu'à ce week-end de Pâques de l'année 1982. En cette fin avril, le Dr Marshall prit quelques jours de congé avec sa femme et ses quatre enfants et il laissa dans un incubateur humide les boîtes de pétri ensemencées par les prélèvements gastriques. Le mardi, au retour de ses congés, il découvrit des colonies grises à la surface du milieu de culture qui contenaient des petits bacilles incurvés, proche du genre Campylobacter et que les chercheurs ont ensuite nommé Campylobacter pylori puis Helicobater pylori.
En 1983, les deux médecins ont adressé chacun une lettre au « Lancet » sur leurs découvertes. Les deux courriers ont été publiés simultanément (« Lancet » 1983, 1 273 et 1 273-1 274).
Dans les suites de ces publications, le Dr Marshall eut l'idée de tester l'effet d'un médicament en vente libre connu depuis 1940 pour ses propriétés apaisantes sur la symptomatologie ulcéreuse, le bismuth. En moins de vingt-quatre heures, les colonies bactériennes mises en contact avec cette molécule cessaient de se développer.
En 1983, à une conférence internationale de microbiologistes à Bruxelles, le Dr Marshall présenta le travail de l'équipe australienne et à la question : « Pensez-vous que certains ulcères soient liés à H. pylori ? », il répondit : « Non, tous les ulcères ». Si la plupart des participants ont considéré - parfois de manière véhémente - que les Australiens faisaient fausse route, certains ont considéré qu'il pouvait s'agir d'une piste de recherche.
Marshall ingère des bactéries.
Pour aller plus avant dans son travail, le Dr Marshall a eu l'idée de prouver le postulat de Koch (lien entre un agent infectieux et une maladie) sur lui-même. Il ingéra, un soir de juin 1984, des bactéries cultivées à partir d'un prélèvement humain et, en moins de 72 heures, il présenta des signes de gastrite. Au cours des premiers mois de la même année, il s'appuya sur les médias locaux pour trouver des patients qui acceptaient de tester des traitements à base de bismuth et d'antibiotiques. Il prit aussi des contacts avec des gastro-entérologues texans qui avaient constaté, chez des sujets biopsiés en 1976 pour pathologie gastrique, une « épidémie » d'ulcères dans les années qui avaient suivi. Il conseillait d'effectuer des recherches bactériennes et il fut invité à les mettre en place en 1984. Poursuivant en parallèle son travail avec le Dr Warren, il proposa en 1985 une étude randomisée sur 100 patients toujours recrutés par voie médiatique. En 1988, cette étude qui prouvait l'efficacité curative sur l'infection et la symptomatologie ulcéreuse des antibiotiques fut refusée par le « New England Journal of Medicine » pour résultats non concluants, et publiée plus tard par le « Lancet » («Lancet », 1988, 31 ; 2 : 1 437-1 442). C'est le début de la reconnaissance académique.
En 1989, plus de vingt groupes de recherche travaillent sur H. pylori. Plus de 135 000 personnes étaient incluses dans les études cliniques. L'une des questions qui restaient en suspens tenait au mécanisme de survie de la bactérie en environnement hostile. Le Dr Warren a montré que la bactérie produit, lorsqu'elle se développe à la surface de l'épithélium recouvert de mucus, de grandes quantités d'uréase, une enzyme qui fragmente l'urée en ammonium et dioxyde de carbone et forme un film alcalin protecteur autour d'elles. C'est grâce à cette découverte qu'il mit au point un test de détection utilisable rapidement sur les tissus biopsiés puis, secondairement, un test respiratoire non invasif. Son travail a été repris par les plus grands journaux américains (« New Yorker », « Time Magazine », « New York Times », « Wall Street Journal », « Washington Post »).
En 1997, lorsque ses enfants son devenus grands et que sa qualité de travail a été reconnu dans son pays d'origine, le Dr Warren est revenu s'installer à Perth où il dispose actuellement d'une équipe de recherche qui a récemment découvert un modèle animal d'ulcère par hypersensibilité à H. pylori, la gerbille mongolienne.
En 1999, le Dr Robin Warren a mis un terme à sa carrière d'anatomopathologiste à l'hôpital de Perth et il vit toujours dans cette ville.
Suspectée dès 1882
En 2002, Barry Marshall a coordonné la publication d'un livre, « Helicobacter pioneers, firtshand accounts from the scientists who discovered helicobacters » (Blackwell Scientific, 2002) qui retrace l'aventure des pionniers qui ont, dès 1882, suspecté la présence d'une bactérie dans l'estomac. Le premier d'entre eux fut le pathologiste italien Guilio Bizzozero en 1892. En 1917, un Japonais, Kobayashi travailla sur le même sujet suivi par A. Stone Freedberg (1940, Boston), Fitzerald (1950, Irlande), Leiber (1957, Belgique), Likoudis (1958, Grèce), Ito (1967, Boston), Xiao, Shi et Lui (1973, Chine), Steer (1975, Grande-Bretagne) et Lee, Phillips et O'Rourke (1975).
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