PROPOSITIONS CHOCS nichées dans des rapports d'experts, expérimentations rendues possibles par la loi, nouveaux espaces de négociation conventionnelle, implication accrue des mutuelles : les pouvoirs publics disposent de nombreux outils ou leviers d'intervention pour amorcer un « big bang » de la politique de rémunération du corps médical. Etat des lieux.
Les expérimentations pour compléter ou remplacer le paiement à l'acte
La rémunération des professionnels libéraux reste quasi exclusivement fondée sur le paiement à l'acte. Chez les médecins de ville, le forfait ne représente qu'une part mineure des honoraires principalement réservée aux astreintes dans le cadre de la permanence des soins (PDS) et au médecin traitant au titre de la prise en charge spécifique des patients en ALD (40 euros par an par patient).
La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2008 a prévu la possibilité d'expérimenter – depuis le 1er janvier et pendant cinq ans au maximum – des modes de rémunération «alternatifs» au paiement à l'acte susceptibles de concerner les professionnels, mais aussi le financement des centres de santé et des maisons de santé. Ces tests (qui peuvent aussi concerner la permanence des soins) sont conduits sur une base volontaire par les missions régionales de santé (MRS) et doivent reposer sur une «évaluation quantitative et qualitative de l'activité». Ce rééquilibrage de la politique des honoraires aux dépens du paiement à l'acte répond à plusieurs objectifs : mieux répondre à l'aspiration des jeunes, repositionner davantage le système sur la prévention et améliorer le suivi des maladies chroniques.
Après le forfait « ALD » pour le médecin traitant, la CNAM (Caisse nationale d'assurance-maladie) a confirmé son virage stratégique en lançant dans dix départements son expérimentation « Sophia » de « disease management » autour des patients diabétiques. Enjeu : l'accompagnement d'une population cible de 136 000 patients diabétiques, en lien avec 6 000 médecins traitants rémunérés... au forfait. Chaque médecin traitant impliqué dans Sophia touchera 2 C (44 euros) à l'entrée d'un patient diabétique dans le dispositif, puis 1 C par an.
Sur le papier, les alternatives au paiement à l'acte ont le vent en poupe. Reste à concrétiser. Les états généraux de l'organisation de la santé (EGOS) ont suggéré que les expérimentations «concernent les soins de premier recours» et visent en priorité les médecins généralistes, les sages-femmes et autres professionnels paramédicaux. Elles pourraient se présenter comme des «combinaisons» de diverses modalités : capitation, forfait par pathologie, paiement horaire, collaboration salariée, incitation à atteindre des objectifs de santé publique.
L'intéressement individuel, le paiement « à la performance »
L'assurance-maladie est ici en première ligne. En juillet 2007, elle planchait déjà sur de «nouveaux outils contractuels» permettant de booster la dynamique de maîtrise médicalisée et évoquait l'intérêt de tester une «rémunération à la performance» pour les libéraux . Il s'agit de motiver individuellement les médecins conventionnés (mais aussi les centres de santé) à l'atteinte de certains objectifs mesurables, autrement dit de récompenser ceux qui veulent « aller plus loin » sur la base du volontariat. La loi a fixé le cadre général de cette rémunération à l'intéressement en permettant aux caisses primaires locales de conclure des contrats individuels avec les médecins (sur la base d'un contrat-type). Ce contrat, stipule la loi, «comporte des engagementsindividualisés» qui peuvent couvrir un champ presque infini d'indicateurs : objectifs de prescription, participation à des actions de dépistage et de prévention, actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins, participation à la permanence des soins, contrôle médical, ainsi que toute action d'amélioration des pratiques, de la formation ou de l'information des professionnels. C'est également le contrat qui détermine les «contreparties financières» liées à la réalisation des objectifs par les médecins. Le directeur de l'assurance-maladie fait de ces contrats individuels volontaires une priorité et Frédéric Van Roekeghem entend aboutir lors des négociations conventionnelles qui vont s'ouvrir. Ces contrats pourraient comporter plusieurs volets : prévention et dépistage ; suivi de pathologies chroniques; efficience médico-économique ; information (dossier médical).
Ils ressemblent très précisément à ce que propose le député (UMP) André Flajolet dans son rapport sur les inégalités territoriales (« le Quotidien » des 18 et 19 avril). Lui baptise le dispositif «mandats de santé publique» et valorise par ce biais l'implication des médecins dans la PDS, la veille sanitaire, leur exercice partiel dans une zone sous-médicalisée, ou bien encore leur effort d'accès au secteur I et au tiers payant.
Dans les «communautés de santé» qu'il invente, André Flajolet voudrait aussi que les médecins aient une rémunération double : une partie à l'acte (au tarif du secteur I) et une partie au résultat (pour charge de service public, c'est-à-dire le suivi de certaines ALD avec mesure des effets de la prévention tertiaire ; pour missions en zones désertifiées avec mesure de la réinsertion des populations dans le système de santé).
Avec le rapport Larcher, qui déplore «l'absence d'impact sur la rémunération de la qualité et de la quantité de travail fourni» par les médecins hospitaliers, la notion d'intéressement collectif cette fois (aux résultats de l'établissement) pointe aussi son nez à l'hôpital.
Le ballon d'oxygène des complémentaires
Les possibilités financières de l'assurance-maladie étant limitées (déficit proche de 5 milliards d'euros en 2007) et la valeur des actes médicaux «sous-évaluée», l'idée d'appeler les complémentaires à la rescousse de la rémunération est une piste à la fois naturelle et complexe. Le feuilleton du secteur optionnel est révélateur. Après un premier round de discussions qui n'a mené à rien (janvier-avril 2007), puis une année blanche en raison du calendrier électoral, les contacts ont récemment repris, en vue de mettre en place ce nouveau secteur d'exercice qui permettait à certaines spécialités de facturer des «compléments de rémunération» encadrés et solvabilisés (principalement par les complémentaires). Jusque-là, le débat a achoppé sur le périmètre du secteur optionnel et le sort du secteur II. En mars 2008, l'Union nationale des complémentaires santé (UNOCAM qui réunit mutuelles, assureurs et institutions de prévoyance) a jugé qu'il était possible de reprendre la «négociation», mais elle a posé ses conditions : traiter en priorité les spécialités de plateaux techniques (les compléments d'honoraires porteraient sur des actes ou groupes d'actes techniques à négocier) ; définir des contreparties qualitatives «mesurables» ; encadrer le secteur II actuel d'une façon ou d'une autre. Il ne s'agit donc pas simplement d'appeler les mutuelles en renfort, mais de les impliquer davantage dans la régulation du système de soins.
Les contrats régionaux d'exercice
S'il ne porte que sur les chirurgiens, le rapport du Pr Guy Vallancien a néanmoins suggéré une petite révolution avec un schéma «unifié» de rémunération pour les praticiens du public et du privé. En logeant à la même enseigne les médecins des hôpitaux et des cliniques, auxquels seraient proposé un «contrat d'exercice global» établi avec la future agence régionale de santé (ARS), ce document fait exploser les modèles en vigueur dans les cliniques (paiement à l'acte fondé sur la CCAM chirurgicale) et dans les établissements (salariat).
Ce contrat local à adhésion volontaire négocié tous les trois ans (à la carte ?) rémunérerait chaque chirurgien à l'activité (majoritairement) et au forfait pour les astreintes et les activités « hors soins ». Ce contrat, précise le rapport, «éclate» les postes budgétaires actuels, l'idée étant de rendre la spécialité plus attractive : le chirurgien ne financerait plus sa prime de RCP (transférée à l'ARS) ni le personnel, les matériels, les locaux et la redevance (transférés à l'établissement). Le rapport estime que ce modèle pourrait s'adapter rapidement aux anesthésistes et aux spécialistes interventionnels.
L'hôpital s'invite en ville, la ville à l'hôpital
Plus encore que les travaux du Pr Vallancien, le rapport Larcher (« le Quotidien » du 14 avril) brouille les cartes. Dans un sens, il prévoit que les médecins libéraux puissent exercer à l'hôpital à temps partiel en étant rémunérés à l'acte. Dans l'autre sens, en introduisant pour les volontaires une part variable dans le salaire des praticiens hospitaliers (PH), il n'exclut pas de rémunérer ces médecins à l'acte. Cette part variable permet en effet de reconnaître des missions particulières remplies par les praticiens. En ce qui concerne l'enseignement ou la recherche, les tâches « administratives », voire la pénibilité (avec peut-être un coefficient spécifique), on restera sans doute dans le registre du salaire. En revanche, il n'est pas exclu de valoriser ainsi des niveaux d'activité, ce qui suppose... une rémunération à l'acte.
Les émoluments d'un salarié lambda
A tous les contractuels, jusqu'à présent liés à leur établissement avec des contrats de droit public, le rapport Larcher propose des contrats de travail de droit privé en bonne et due forme, avec une rémunération fonction de leur activité clinique.
Des actes à très « haute valeur ajoutée »
Qu'il s'agisse de conserver la logique du paiement à l'acte ou d'explorer d'autres voies, des syndicats avancent en ordre dispersé des mesures tarifaires de forte revalorisation de l'exercice qui aboutiraient de fait à transformer radicalement la rémunération, ainsi que la façon de travailler des médecins. On peut citer la récente proposition du Syndicat des médecins libéraux (SML) d'une consultation «à haute valeur médicale ajoutée» rémunérée 50 euros, censée permettre au praticien d'avoir une approche clinique approfondie et de baisser son volume d'activité. Faute de pouvoir généraliser immédiatement ce tarif, le SML suggère de permettre aux praticiens volontaires de facturer ces consultations dignement honorées sur une part «significative» de l'exercice (en contrepartie de contrats de qualité).
Dans le registre forfaitaire cette fois, MG-France plaide pour la généralisation à l'ensemble des patients du forfait médecin traitant aujourd'hui réservé aux ALD. Une mesure extrêmement coûteuse.
Nouveau round conventionnel
Les parties signataires de la convention se retrouvent ce matin. L'objectif de cette séance est d'examiner l'agenda et les sujets possibles des négociations conventionnelles qui vont reprendre à une date pour l'instant indéterminée et pour lesquelles le directeur de l'assurance-maladie attend par ailleurs un mandat de son conseil.
Dans un courrier adressé à la CNAM (Caisse nationale d'assurance-maladie), le Dr Michel Chassang énumère en tout cas les «priorités» qu'il souhaite programmer jusqu'en 2010, terme de la convention. Le président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) n'acceptera pas de nouveau report des mesures de rattrapage en faveur des spécialités cliniques ayant connu une baisse d'activité avec le parcours de soins. Il demande à cet égard le déblocage immédiat des règles d'assouplissement du C2 (une parution au « Journal officiel » est attendue sur ce dossier depuis plus d'un an).
Le syndicat réclame également la «remise à niveau du C» à 23 euros «avant la fin 2008». Ce tarif constituera le socle de la nouvelle grille des consultations (CCAM clinique) dont la CSMF attend dès cette année «une première tranche». La mise en place du secteur optionnel «doit être accélérée» et, ce, «sans porter atteinte au secteurII». Autres exigences : l'extension du dispositif de permanence des soins à tous les spécialistes et la poursuite du chantier de la simplification administrative.
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