DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
« IL N'EST PAS QUESTION de revenir en arrière et de réinstaller les services. Au bout de quatre ans, le bilan est positif : les dépenses médicales restent stables, les médecins se sont approprié le dispositif », commente le président de la Commission médicale d'établissement (CME), le Dr Emmanuel Hornus.
Le centre hospitalier intercommunal (chic) du Val d'Ariège fait partie de la centaine d'hôpitaux sélectionnés par le ministère de la Santé pour expérimenter la réforme de la gouvernance hospitalière. Comme les autres, il a carte blanche pour tester localement diverses initiatives s'inscrivant dans le cadre de la future ordonnance, qui rendra obligatoire la réorganisation en pôles à partir de 2007.
Mais contrairement aux autres hôpitaux expérimentateurs, cet établissement du Val d'Ariège n'a pas attendu que des textes soient en préparation pour revoir de fond en comble son fonctionnement.
Fusions de deux établissements.
La réflexion est née il y a six ans, en même temps que l'idée de réunir sur un site unique les hôpitaux fusionnés de Foix et de Pamiers.
Avec ce projet, le directeur souhaitait mettre fin aux doublons de services, à l'éclatement des plateaux techniques, mais aussi à « l'individualisme forcené » de certains médecins et à « l'absence de stratégie d'ensemble ». Repenser à la fois l'architecture des bâtiments et celle des hommes, telle était alors l'idée de Max Alquier. Décision est donc prise de profiter de la construction d'un nouvel hôpital pour supprimer les 40 services et créer 11 départements (de soins et médico-techniques).
Les travaux commencent, avec la bénédiction des tutelles : dès 1998, l'agence régionale de l'hospitalisation Midi-Pyrénées suggérait aux hôpitaux de Foix et Pamiers de se regrouper avec une « organisation médicale par département débouchant sur la contractualisation interne et une organisation paramédicale et du travail rationnelle et novatrice ». Se réorganiser pour rééquilibrer l'offre de soins dans la région et apporter un contrepoids au CHU de Toulouse : « Nous n'avions pas d'autre choix, il aurait été dommage de refaire un Saint-Affrique en Ariège », glisse le président de la CME.
Un hôpital neuf sort peu à peu de terre. Décembre 2000, ouverture des portes. Le nouvel établissement emploie 1 200 personnes, il contient 550 lits, dont 300 en MCO. Son architecture reflète les restructurations voulues : à chaque étage correspond un département, qui regroupe les activités d'hospitalisation, de consultation et d'ambulatoire d'une poignée de spécialités.
Le découpage répond-il à une logique médicale ou gestionnaire ? Les deux à la fois.
« On a trouvé une formule qui évite de laisser des spécialités de côté, raconte le Dr Hornus, président de la CME.
D'où le regroupement par plateaux techniques plutôt que par organes.
»« On a aussi voulu utiliser au mieux les moyens, rationaliser sans pour autant rationner »
, ajoute Max Alquier.
« Dans les hôpitaux, les marges d'économies sont énormes », estime encore Emmanuel Hornus, manifestement très en phase avec son directeur.
Résistances.
Le directeur a-t-il imposé ses décisions au personnel ? La question l'irrite au plus au point : « On est parti du terrain, le personnel a été associé à la réflexion pour s'approprier le projet. Vous savez, je suis une personne rustique. Je sais faire marche arrière si je sens des résistances. » Pragmatique, Max Alquier. Avec de la suite dans les idées, aussi. Car pour lui, créer des départements n'était pas une finalité en soi. Pour que le projet prenne tout son sens sur le plan de la gestion, il fallait aller plus loin et développer une politique de contractualisation interne et d'intéressement.
La mission est confiée à Didier Carlier, contrôleur de gestion. Rude tâche que celle de faire accepter aux soignants l'idée d'un management participatif, reliant les logiques administrative et médicale. Didier Carlier sait dès le départ qu'il va se heurter à un mur d'oppositions. « Au début, on me voyait comme l'œil de Moscou quand je débarquais dans les services », raconte-t-il. Mais à force de discuter, les résistances tombent et font place à un climat de confiance. Pour preuve, l'évolution du regard porté sur les contrats d'objectifs reliant chaque département à la direction : « En 2002, première année de la contractualisation interne, la procédure était vue comme "la chose" de l'administration, se souvient Didier Carlier . En 2003, les médecins se sont approprié l'outil, et, en 2004, ce sont eux-mêmes qui ont proposé des économies ».
En obstétrique, par exemple. Ayant constaté une surconsommation de couches pour bébé en 2003, les médecins se sont fixé pour objectif d'en utiliser moitié moins en 2004. Au 31 août dernier, la baisse était de - 39 % par rapport à l'année passée. Vigilance sur le budget téléphonique, baisse des prescriptions d'actes de biologie (- 12 % en un an), réduction des transferts héliportés (leur nombre annuel est tombé de 120 à 15 en trois ans) : des pistes d'économies sont explorées tous azimuts.
Dépenses stables.
Un suivi informatique régulier permet à la direction de comparer les comportements de chaque médecin par rapport à une moyenne. Aucune sanction individuelle n'est prévue en cas de dérapage. Cependant, « les gros prescripteurs sont rentrés dans le rang, ils n'aiment pas être montrés du doigt », observe le contrôleur de gestion. L'instauration d'une politique d'intéressement collectif a contribué à motiver les troupes : elle permet la rétrocession de 25 % des économies aux départements pour financer des projets médicaux innovants.
Comment se traduisent ces efforts sur les comptes de la maison ? « Les dépenses médicales sont stables depuis 2002, alors que l'activité a augmenté de 15 % », affirme le Dr Hornus. Mais en dépit de cette apparente réussite financière, des ombres au tableau persistent. « Les cadres infirmiers n'ont pas trouvé leurs repères dans la nouvelle organisation, reprend le président de la CME. La mutation est amorcée parmi les médecins, le reste de l'hôpital doit suivre. Aujourd'hui, le problème est sociologique plus que structurel. »
Tout comme le Dr Hornus, le directeur est convaincu d'être engagé dans la bonne direction. Mais il sait que son établissement n'a fait qu'une partie du chemin : « Côté gestion, tout va bien. Côté social, c'est plus dur : les chefs de département n'arrivent pas à impulser une unité d'ensemble. Pourquoi ? Sans doute parce que la délégation de gestion reste partielle, analyse Max Alquier. Les départements ne sont pas vraiment autonomes puisque les contrats portent sur les objectifs mais pas sur les moyens. Il va falloir aller plus loin, envisager de déléguer la gestion du personnel, par exemple ».
Qu'en pense le directeur des soins ? Gérard Garnier admet qu'il faudra « encore beaucoup de travail pour faire vivre les départements », mais pour lui, la taille du département - environ 100 lits et 150 personnes au CH du Val d'Ariège - est « trop petite pour justifier la gestion du personnel ».
Les directions vont perdre du pouvoir, les départements vont en gagner : le directeur pense cette évolution inéluctable - et souhaitable. « Mais cela posera un autre problème : comment maintenir l'unité de l'hôpital et éviter sa balkanisation ? » s'interroge Max Alquier. Le directeur du CH du Val d'Ariège n'a pas encore trouvé la réponse à sa question, mais il a une conviction : « Je suis d'accord pour qu'une ordonnance fixe un cadre national à la réforme, mais à la condition qu'elle nous laisse un maximum de liberté pour que chaque hôpital trouve les remèdes qui lui conviennent. »
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