Par le Pr Alexandre Hertig*
La moitié des patients atteints de myélome sont en insuffisance rénale au moment du diagnostic, et la cause la plus fréquente de cette insuffisance rénale, qui typiquement est aiguë ou subaiguë, est la précipitation intratubulaire de cylindres composés de la protéine de Tamm Horsfall et de la chaîne légère (kappa ou lambda) produite en excès par le clone plasmocytaire tumoral. Il faut la conjonction de trois paramètres pour que ces cylindres se forment dans le néphron distal : 1) une forte concentration de chaînes légères, de faible poids moléculaire (environ 25 kDa) et donc présentes dans l’ultrafiltrat glomérulaire, 2) une affinité du domaine CDR3 (Complementarity Determining Region 3) de ladite chaîne légère envers la protéine de Tamm Horsfall, et 3) des conditions physico-chimiques favorables : déshydratation extracellulaire, ou traitement par furosémide. Cette insuffisance rénale aiguë par obstruction tubulaire a un moins bon pronostic rénal qu’une banale nécrose tubulaire aiguë ischémique, puisque seulement 30 à 50% des patients récupéreront, mais ils peuvent récupérer complètement, avec l’effet du temps et, bien sûr, un traitement approprié. La réversibilité de l’insuffisance rénale est d’ailleurs un facteur indépendant de survie. Le traitement repose sur l’éradication des trois facteurs précipitant cités plus haut, et, lorsque c’est nécessaire, sur la dialyse, en utilisant jusqu’à preuve du contraire des membranes conventionnelles. La pierre d’angle du traitement est la réduction tumorale, car c’est la mesure la plus efficace pour diminuer durablement la concentration de chaînes légères circulantes. L’autogreffe doit toujours être envisagée, car l’insuffisance rénale n’affecte ni la qualité du prélèvement de cellules souches, ni la qualité de la greffe elle-même. En attendant, ou si l’autogreffe est impossible, la chimiothérapie ne repose plus sur les agents alkylants : du fait de sa clairance rénale, d’une plus grande toxicité, et d’une moins bonne efficacité en contexte d’insuffisance rénale, le melphalan n’est plus utilisé en première ligne. Le traitement conventionnel repose désormais sur une combinaison de bortezomib (inhibiteur du protéasome) et de dexaméthasone à forte dose. Le bortezomib ne s’adapte pas à la fonction rénale, est efficace quel que soit le niveau de celle-ci (près de 80 % de patients y sont répondeurs et voient leur fonction rénale s’améliorer dans les deux mois), et sa toxicité est essentiellement hématologique et neurologique. Une étude française, multicentrique, prospective et randomisée, est actuellement en cours d’inclusion qui évalue notamment l’intérêt d’ajouter du cyclophosphamide à ce traitement conventionnel, chez les patients en insuffisance rénale : c’est l’étude MYRE, coordonnée par les Pr Fermand (Hôpital Saint Louis, Paris) et Bridoux (Limoges), et qui devrait inclure environ 300 patients. En seconde ligne, le thalidomide ou le lenalidomide peuvent être utilisés. L’inhibition de l’interaction entre la protéine de Tamm Horsfall et le domaine CDR3 des chaînes légères serait un traitement à la fois spécifique et sophistiqué. Des peptides cycliques ont été développés, qui ont fait la preuve d’une efficacité remarquable chez l’animal, mais leur développement clinique n’est pas, à l’heure qu’il est, annoncé. Enfin, il est important de lutter contre les facteurs physiques ou pharmacologiques précipitant la formation des cylindres. Les patients excrétant des chaînes légères libres en grand excès doivent être bien hydratés, c’est-à-dire que les traitements diurétiques doivent être proscrits, etles apports hydrosodés abondants, a fortiori en cas de situation à risque (fièvre, diarrhée, etc). Il est courant de préconiser l’utilisation de soluté bicarbonaté (eau de Vichy). Enfin, anti-inflammatoires non stéroïdiens et produits de contraste iodés doivent être évités. La question est toujours posée de savoir s’il y a un intérêt clinique à viser, en marge de tous ces traitements ou recommandations, une réduction artificielle de la concentration circulante de chaînes légères par des techniques extracorporelles. Sauf syndrome d’hyperviscosité, il n’y a pas de preuve que les échanges plasmatiques aient une quelconque efficacité (leur impact à six mois sur la mortalité, la nécessité de recourir à la dialyse, ou même la fonction rénale, est faible à nul). L’utilisation de membranes à haut point de coupure (HCO®, fabriquée par Gambro©, cut-off à 45 kD) est également évaluée par l’étude interventionnelle MYRE, déjà citée. Elle n’est pas indiquée en routine.
*Hôpital Tenon, Paris
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