En matière de prévention de la menace NRBC, les signaux sont transmis très diversement : la simulation d'un attentat chimique de grande ampleur à la gare des Invalides à Paris, dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, a mobilisé 200 journalistes français et étrangers et fait les manchettes des journaux.
Comme le note Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, « le signal politique était aussi clair que fort : la France se prépare, la France est forte ».
Tout autre est l'écho réservé au rapport du Pr Didier Raoult sur la question : plus de trois mois se sont écoulés entre la remise du texte au ministre de la Santé son enregistrement. Le constat fait par le chef de service de bactériologie-virologie de l'hôpital de La Timone, à Marseille, que la France est mal préparée au bioterrorisme a visiblement du mal à passer. Les pouvoirs publics ont préféré le « Barnum », pour reprendre l'image de l'Agence France-Presse, qui a réuni 500 policiers, sapeurs-pompiers, SAMU, agents de la RATP, et la SNCF, selon un plan rouge et un plan Piratox réglés comme du papier à musique, même si, grand coordinateur de la manuvre, le préfet de police de Paris, Jean-Paul Proust, a reconnu que « le montage des tentes a été plus long que prévu. »
Tout d'abord, « il faut souligner que cet exercice concernait le seul risque chimique » (éclatement sur un quai de RER d'un récipient contenant un puissant gaz neurotoxique de type sarin), dit au « Quotidien » le député (UMP) Pierre Lang, auteur d'un rapport parlementaire publié il y a deux semaines. « L'alerte en cas d'attaque biologique est autrement complexe à mettre en uvre, souligne cet immunologiste de formation, directeur d'un laboratoire biologique en Moselle, les victimes du bacille du charbon n'étant repérées que huit jours après, quand elles sont dispersées aux quatre coins du pays. »
La grande misère de l'infectiologie
Plusieurs répétitions générales des plans d'urgence ont été effectués à ce jour en France, Metrotox à Toulouse en mai et Euratox, fin octobre 2002, sur le camp militaire de Canjuers (Vars), mais on attend encore la simulation d'une attaque biologique.
Ensuite, souligne le Pr Raoult, « on ne peut que se féliciter des trainings organisés par le ministère de l'Intérieur et les sapeurs-pompiers ; cela fait partie d'ailleurs de mes recommandations,. Mais ces opérations ne sauraient masquer la grande misère dont souffre l'infectiologie française, qu'il s'agisse d'équipements, de clinique ou de recherche, une situation de sous-développement tout autant dommageable en cas d'attentat biologique que lors d'une infection émergente comme le SRAS ».
Dans les hôpitaux, on va dans les choux, estime le PUPH : « Les responsables administratifs, toujours prompts à réagir, par crainte de poursuites, quand les pompiers agitent le chiffon rouge, ne bougent pas quand nous leur signalons un risque de contagion. Comme si le risque de contagion était nécessairement marginal, malgré l'expérience du SRAS au printemps dernier. »
Pour le Pr Raoult, le contraste est « saisissant » entre, d'un côté, « les quantités incroyables de formulaires et de directives qui réglementent dans tous les détails les procédures hospitalières », et, de l'autre, « le dénuement des moyens mis pour assurer l'isolement des patients ». Un dénuement tel que le seul laboratoire P4 dont dispose la France a du être financé (installation et fonctionnement sur quatre ans) par un bailleur de fonds privé car les engagements publics faisaient défaut pour une dépense qui ne représente que le quart du prix d'un avion de chasse. De même, chaque zone de défense devrait être théoriquement dotée d'un laboratoire P3, mais on en est réduit à espérer que les P3 verront enfin le jour l'année prochaine.
Un service de pointe comme celui des maladies infectieuses, du groupe La Pitié-Salpétrière, à Paris, n'est toujours pas en mesure de faire fonctionner un circuit réservé aux seuls malades contagieux (SRAS et autres).
Sur le plan des analyses, l'armée vient heureusement suppléer les manques des structures civiles, avec son laboratoire du Boucher, mais sa capacité est vite saturée, comme on l'a constaté lors de l'épidémie d'enveloppes contenant des poudres blanches, en 2001-2002.
Ecart logarithmique
Les carences françaises atteignent leur paroxysme dans le domaine de la recherche : pour les deux années 2002-2003, les engagements budgétaires n'auraient pas atteint le demi-million d'euros, selon le Pr Raoult. Un chiffre à rapprocher du budget recherche en bioterrorisme des Etats-Unis pour la seule année 2003, soit 1,3 milliard de dollars. « Un écart logarithmique », s'écrie le Pr Raoult.
Pourtant, les voies de recherche ne sont pas forcément ruineuses. Pierre Lang signale par exemple un programme sur la mise au point de puces biologiques capables de détecter des centaines de germes à partir de séquençage ADN et de sérums de détections. Les applications seraient pleines de promesses pour l'armée, mais aussi pour l'industrie alimentaire ou les réseaux de distribution d'eau.
Devant ce constat « proprement hallucinant », une seule note positive doit être décernée, au plan Variole, s'accordent les experts. Un plan pour lequel, semble-t-il, on dispose de dotations suffisantes en stocks de vaccins.
Pas de quoi pavoiser pour autant. Malgré les grandes manuvres médiatiques, « la France garde une capacité limitée à gérer les problèmes infectieux ». Elle compte aujourd'hui parmi « les pays les moins bien préparés à un problème d'épidémie massive ». Cet avertissement, en conclusion du rapport Raoult, vaut autant pour la menace bioterroriste que pour celle, moins improbable, d'une pandémie virale.
La médicalisation de l'avant validée
Les hôpitaux (avec le Plan blanc) n'étaient pas concernés par la simulation d'attentat chimique de grande ampleur qui s'est déroulée pour la première fois en conditions réelles à Paris, dans la gare des Invalides. Seuls en effet ont été activés les plans rouge (pour l'extraction et l'évacuation des victimes) et Piratox (pour leur décontamination et leur traitement.
Médecin-chef du service médical d'urgence de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), le Pr Michel Rüttimann explique que cet exercice aura permis de valider un nouveau dogme en matière d'urgentisme, celui de la médicalisation avancée des victimes : « Jusqu'à présent, on considérait qu'il fallait surseoir aux gestes médicaux comme la perfusion et l'intubation jusqu'à ce que les victimes aient été décontaminées. L'exercice a montré que ces actes pouvaient être effectués sur le site, avant même que soient opérationnelles les tentes de décontamination ; les sauveteurs, revêtus de leur combinaison de protection NRBC ont pu opérer en atmosphère contaminée et, ce faisant, ils ont gagné un temps précieux, particulièrement pour les quelques personnes qui étaient dans le coma. »
Une fois ces premiers soins dispensés, les quelque 50 victimes ont été déshabillées et ont fait l'objet de mesures avec un appareil portatif de contrôle de contamination (AP2C) qui vérifie par photométrie de flamme la présence de soufre et de phosphore. Les positifs ont été douchés sur place dans les cabines de campagne. Elles étaient alors prêtes à être dirigées vers un hôpital.
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