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LES NEUROLOGUES, les gériatres ou les psychiatres connaissent depuis longtemps l'incontournable rôle des « aidants » pour leurs patients victimes d'une maladie de Parkinson, d'Alzheimer ou d'une psychose. Les autres situations médicales où l'attitude des proches a une importance capitale dans l'amélioration de la qualité de vie des patients sont légion : transplantations, cancers, insuffisance rénale dialysée. Elles se multiplient avec l'allongement de la vie et la chronicité des maladies. Chacun en a ou en aura autour de soi.
De la Vieille Europe à l'Europe de la vieillesse.
Dans quelques décennies, les plus de 60 ans seront 22 millions en France ; 4,4 millions de nos concitoyens auront plus de 85 ans et seront dans l'âge où le risque de perte d'autonomie est le plus grand, la morbidité la plus élevée. D'ici à 2040, le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait croître de 35 à 80 % alors que dans le même temps la population susceptible d'apporter son aide devrait augmenter de 10 %, rappelle Hugues Joublin, directeur exécutif du groupe Novartis en France. La solidarité collective ne suffira pas à répondre aux besoins. L'entourage du patient est appelé à développer le rôle essentiel qu'il joue déjà auprès des proches fragiles et l'investissement qu'il leur consacre. Pourquoi ne pas favoriser la coordination, la formalisation de cette solidarité de proximité capable, mieux que tout système, de s'adapter à la dynamique et à l'évolutivité de la maladie comme à la personnalité du patient ? C'est à la réflexion sur ce nouveau territoire au carrefour entre le social, le médical et le psychologique que se consacre la proximologie.
Système D.
En France, cette solidarité de proximité fonctionne pour l'instant de manière informelle, tel un système D. Pourquoi ne pas la faciliter, l'institutionnaliser, l'organiser de manière durable et rationnelle comme cela est déjà le cas dans d'autres pays ? explique Hugues Joublin dans son manifeste de proximologie. L'auteur plaide pour l'attribution d'un statut, la reconnaissance des droits des proches, la valorisation de leur activité, leur intégration dans une vision plus globale de la prise en charge et fait dix propositions concrètes pour permettre cette solidarité de proximité. Qui dit organiser dit aussi se donner les moyens de mesurer l'impact de cette aide de l'entourage sur la société, la qualité des soins et celle de la vie des patients, mais aussi, inversement, sur la qualité de vie de l'aidant et sa santé. Lorsque l'aide fait appel à des personnes externes et rémunérées, cette économie de la solidarité est aujourd'hui principalement souterraine (85 % de l'activité relève du travail au noir), entre autres parce que les personnes qui en ont besoin ne disposent pas de moyens suffisants pour faire autrement. L'organisation de la proximologie passe aussi par la formalisation et la professionnalisation de certaines des activités qui peuvent être déléguées, en gardant à l'esprit la fragilité et la vulnérabilité des sujets ayant besoin d'aide et le fait que la maltraitance est fréquente. « En revendiquant et en protégeant la relation au proche comme attribut premier de notre humanité, la solidarité de proximité consolide les fondations du vivre ensemble », écrit H. Joublin.
Une mutation culturelle.
« Le seul lien natif entre les hommes, c'est la vulnérabilité », souligne Charles Gardou, président du Collectif de recherche sur les situations de handicap, l'éducation et les sociétés et qui a présidé avec Julia Kristeva le Conseil national sur le handicap. « Fragments sur le handicap et la vulnérabilité » est un vibrant plaidoyer pour l'effacement des frontières entre les « bien portants » et les « handicapés » considérés comme un groupe en soi. Cette réflexion, issue de plusieurs années de pratique, analyse les difficultés rencontrées par les personnes handicapées dans la sphère affective, sexuelle ou sociale. Ni exhortation à la tolérance ou à la pitié ni tentative d'imposer une pensée normative, il s'agit de changer notre regard sur cette frange marginalisée à l'école, dans la rue ou au travail et souvent privée des droits élémentaires du citoyen. Parce que la fragilité et la vulnérabilité constituent le sort commun, il est urgent que nous nous interrogions sur notre monde et sa « religion entrepreneuriale qui canonise le battant et mythifie le gagnant et conduit insidieusement à la déliquescence communautaire par mépris de celui qui, par manque de force et de moyens, ne peut (...) réussir ». Devenir proches, en somme !
« Réinventer la solidarité et la proximité. Manifeste de proximologie », Hugues Joublin, Albin Michel, 175 pages, 12 euros.
« Fragments sur le handicap et la vulnérabilité », Charles Gardou, Erès, 260 pages, 25 euros.
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