ENTRE LE MOMENT où un antidépresseur est prescrit et celui où il devient efficace sur le sommeil, il peut se passer trois mois, voire plus. Certains déprimés guéris de leur dépression peuvent même garder un mauvais sommeil. Si l'on prescrit des benzodiazépines, le sommeil est amélioré pendant quatre à six semaines, mais ensuite un phénomène d'échappement est fréquent. « Les antidépresseurs agissent sur l'humeur en stimulant les récepteurs à la sérotonine 5HT1. Mais ils stimulent également les récepteurs 5HT2A, provoquant une insomnie. Le seul moyen de contrecarrer ce problème serait d'utiliser un antagoniste 5HT2. C'est même d'autant plus intéressant que l'antagoniste 5HT2 potentialise la stimulation des récepteurs 5HT1A et donc l'action antidépressive », explique le Dr Goldenberg.
Aucun antagoniste 5HT2 pur sur le marché français.
Or, en France, il existe bien des médicaments ayant des propriétés antagonistes 5HT2, mais en association avec d'autres propriétés. C'est notamment le cas de la mirtazapine, un antidépresseur capable à la fois de stimuler les récepteurs 5HT1 et de se comporter comme un antagoniste des récepteurs 5HT2, mais qui agit aussi sur d'autres récepteurs, tout comme la miansérine. Quant à la trazodone, également inhibiteur de la recapture de la sérotonine et antagoniste 5HT2, sa commercialisation a été arrêtée dans notre pays (mais pas dans les pays limitrophes !). C'est d'autant plus dommage que ce produit bien toléré contrecarrait les effets sexuels des antidépresseurs (anorgasmie, anéjaculation). « Ainsi, aux Etats-Unis où la trazodone est toujours commercialisée, ce médicament représente une part non négligeable de la prise en charge de l'insomnie chronique. Elle y est donnée à petites doses : 50 à 100 mg par jour, alors que son action antidépressive n'apparaît qu'à des posologies quotidiennes supérieures à 100 mg », précise le Dr Goldenberg. En France, le Risperdal (rispéridone), un antipsychotique, est parfois utilisé à très faible dose (de l'ordre de 0,5 mg/j) car, à cette posologie, il est seulement antagoniste 5HT2 et pas encore neuroleptique. Il peut aussi potentialiser l'action de l'antidépresseur. Mais il n'est pas certain que tous les patients acceptent de prendre un médicament étiqueté « comme psychotique » !
Quant aux agonistes de la mélatonine, ils ne sont pas encore commercialisés dans notre pays, alors que le rameltéon (Roterzem) vient d'arriver sur le marché aux Etats-Unis dans les troubles du sommeil. On manque toutefois de recul sur ses résultats en association avec des antidépresseurs. L'agomélatine (Valdoxan), à la fois antidépresseur et agoniste de la mélatonine inducteur du sommeil, aurait pu faire un bon candidat : malheureusement, il vient d'essuyer un refus d'AMM français pour insuffisances d'études.
Faute de trouver une réponse satisfaisante avec les traitements spécifiques du sommeil, les scientifiques se sont donc intéressés à d'autres molécules comme les antiépileptiques. En effet, ces derniers sont aussi dotés de propriétés antalgiques, normothymiques et hypnotiques, tout en étant bien tolérés. « Ils agissent par le biais du système gabaergique et certaines publications rapportent un effet intéressant en cas d'insomnie chronique. C'est le cas de la gabapentine à petites doses, ainsi que de la gabatrine ou de la tiagabine. Toute la difficulté est de trouver l'équilibre entre le fait d'induire le sommeil et le risque de somnolence le lendemain », précise le Dr Goldenberg. Outre les antiépileptiques, d'autres traitements agissant aussi sur le système gabaergique peuvent être utiles : c'est le cas de la prégabaline, un médicament habituellement prescrit pour des douleurs neuropathiques chroniques. « En fait, tout traitement ayant une action sur le système gabaergique semble doté d'une action sur le sommeil. Cependant, les études n'ont pas apporté la preuve que cette action pourrait être supérieure à celle des benzodiazépines » remarque le Dr Goldenberg.
D'après un entretien avec le Dr Françoise Goldenberg, attachée au centre d'exploration fonctionnelle de l'hôpital Henri-Mondor et coauteur avec le Dr Odile Beno[235]t de « L'Insomnie chronique », paru aux éditions Masson en 2004.
De nouvelles molécules en développement
Plusieurs molécules sont actuellement en développement. Ainsi, les laboratoires sanofi-aventis ont un antagoniste 5HT2 pur, actuellement en phase III d’études cliniques. Il s’agit de l’éplivansérine. Si cette molécule augmente bien le sommeil lent profond (le plus récupérateur), comme on a toutes les raisons de le penser, elle apportera enfin aux dépressifs victimes d’insomnie une réponse concrète. Une demande d’AMM pourrait être déposée courant 2007.
Autre voie de recherche, mais à un stade moins avancé, celle portant sur un peptide hypothalamique, l’hypocrétine, qui n’est plus produite chez les personnes atteintes de narcolepsie-cataplexie. C’est donc la preuve que ce peptide joue un rôle dans l’éveil. Un laboratoire américain a cherché à produire un antagoniste de l’hypocrétine qui aurait théoriquement un effet anti-éveil et donc inducteur du sommeil. Leur molécule fait actuellement l’objet d’études de phase I, mais ne devrait pas arriver sur le marché avant plusieurs années.
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