Connaissances sur la mémoire

À la recherche du souvenir perdu

Publié le 29/06/2008
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À PARTIR d'observations médicales pêchées dans leur expérience clinique de neurologues, d'histoires de mémoires défaillantes et de vies transformées par ces troubles, les auteurs témoignent de ce que l'on sait du fonctionnement de la mémoire, de la façon dont ses failles peuvent être ou non compensées, de ce que la neuro-imagerie apporte à la compréhension de cette fonction complexe. Sans tomber dans le piège de l'anecdote et du sensationnel, Michèle Puel et Catherine Thomas-Antérion partent d'histoires vécues, de tranches de vie pour éveiller l'attention et la curiosité du lecteur et répondre à des questions faussement simples : comment fait-on pour apprendre une fable de La Fontaine et s'en souvenir toujours ? Comment la psychologie colore-t-elle le souvenir ? Pourquoi «perd-on un mot» et comment le retrouve-t-on ? Comment distinguer une plainte attentionnelle d'une plainte mnésique ? Quelles zones cérébrales sont indispensables à la mémoire ? Entre autres questions banales, dont les réponses nécessitent d'expliquer et de décrire des mécanismes neurophysiologiques ultrasophistiqués. Que les auteurs parviennent à rendre accessibles au lecteur non spécialiste. Les bases du fonctionnement mnésique, les différentes pathologies ou difficultés objectives et subjectives le concernant sont illustrées par des histoires toujours parlantes et souvent amusantes pour le lecteur sans pour autant perdre un fil conducteur, celui de l'utilisation rigoureuse du vocabulaire de la mémoire issu de la psychologie cognitive.

L'étude de la prosopagnosie de ce coiffeur qui exerce la coiffure depuis vingt ans au même endroit sans être jamais capable de reconnaître ses clientes, outre son étrangeté, contée avec finesse par Michèle Puel et Catherine Thomas-Antérion, permet, par exemple, de souligner la haute spécialisation de certaines fonctions (mettre un nom sur un visage), comme la capacité de mettre en place des mécanismes compensatoires et des stratégies d'adaptation efficaces.

La façon dont cinq amis ont de mémoriser la liste des sept merveilles du monde ou dont une vieille dame victime d'une maladie d'Alzheimer reconnaît un cousin oublié par l'intermédiaire d'un curieux mot utilisé pendant leur enfance commune permet d'évoquer le curieux labyrinthe de la mémoire et les façons dont peut réapparaître le souvenir. Ces histoires de troubles de la mémoire sont non seulement analysées d'un point de vue neurologique, mais aussi illustrées de descriptions littéraires éloquentes. Les amoureux de la littérature comme les scientifiques se délecteront de l'analyse du souvenir de la madeleine de Proust à la lumière des connaissances actuelles de la neuropsychologie et de la neuro-imagerie. Et apprendront que si cette réminiscence est liée à l'activation de nombreuses régions du cerveau, c'est plus particulièrement à l'amygdale et à l'hippocampe de l'auteur de « À la recherche du temps perdu » que nous devons la restitution de ce souvenir. L'origine du talent et du style n'étant toujours pas localisée précisément dans notre système nerveux ! Si Marcel Proust se trouve, bien naturellement, largement cité et évoqué dans cette recherche sur la mémoire perdue, les textes de nombreux autres auteurs, Marguerite Yourcenar, Antonio Tabucchi ou Lie Tseu, entre autres, permettent aussi d'appuyer avec efficacité le propos des auteurs. Quelques pages consacrées à une synthèse sur le fonctionnement mnésique autour de la psychologie cognitive, de l'anatomie et de la biologie complètent utilement l'ouvrage.

Michèle Puel et Catherine Thomas-Antérion, « les Labyrinthes de la mémoire - Paroles et histoires inédites », Éditions Privat, 280 pages, 18 euros.

> Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8402