LE QUOTIDIEN DU MEDECIN – Comment accorde-t-on un piano ?
STEPHEN PAULELLO – Bien accorder un piano n’a rien à voir avec le fait d’avoir une bonne oreille. Il s’agit d’acquérir une technique d’accords fondée sur l’audition des battements et des harmoniques. Quand on part d’une quinte et qu’on superpose douze quintes les unes au-dessus des autres, on tombe sur une octave trop grande. Le rôle de l’accordeur est donc de rétrécir un peu les quintes pour arriver à avoir une octave juste. En les rétrécissant, on pense comme un technicien et non pas comme un musicien. Quand la quinte est parfaitement juste, on ne perçoit pas de battement. Au fur et à mesure qu’on la rétrécit, on commence à en percevoir, un demi par seconde, ensuite un par seconde et, si on continue de rétrécir, de plus en plus.
L’accord d’un piano, c’est un bricolage faramineux qui tient compte d’énormément de paramètres. Il faut tenir compte de la corde elle-même, de sa raideur et des déficiences naturelles de l’oreille. En général, l’oreille entend plus bas dans les aigus et plus haut dans les basses. L’accordeur en tient donc compte en augmentant très progressivement la fréquence des notes aiguës et il diminue très progressivement la fréquence des notes basses.
Vous êtes facteur de piano. Comment procédez-vous pour améliorer le son des pianos que vous construisez ?
Il faut savoir tout d’abord qu’il existe des problèmes dans la table d’harmonie elle-même qui n’ont jamais été résolus. Par exemple, sur le demi-queue que j’ai conçu, il y a un système d’agrafes sur le chevalet qui tient les cordes. Elles sont tenues habituellement par une ligne de trois clous devant et derrière et c’est comme ça qu’elles sont fixées au chevalet, de telle façon que lorsqu’elles vibrent, leur énergie entraîne le chevalet lui-même sur la table d’harmonie qui vibre alors de haut en bas. Mon système apporte beaucoup d’avantages techniques et permet un comportement de la corde et de la table d’harmonie complètement différent de ce qui se fait habituellement. La sonorité est ainsi améliorée. On a longtemps dit que le piano était arrivé à un stade de perfection. Ce n’est pas tout à fait vrai. On fait encore beaucoup de recherches dans ce domaine.
Quelles sont-elles ?
On a encore beaucoup de progrès à faire dans les registres aigus du piano. On essaie aussi de diminuer au minimum le bruit lorsque l’on joue une note, pour favoriser le son. Dans les médiums, il y a beaucoup de son et pas beaucoup de bruit. Le bruit d’impact du marteau est minime, tout comme les résonances des tables d’harmonie. La sonorité y est plutôt réussie. Mais dans le registre aigu, il y a presque 85 % de bruit et le reste, c’est du son. Les progrès à faire se situent ici.
Comment procède-t-on alors…
Pour améliorer le son, on va jouer sur la longueur des cordes, leur diamètre et le positionnement du chevalet sur la table d’harmonie. Il y a trois éléments essentiels sur lesquels il faut travailler pour diriger l’instrument qu’on veut fabriquer vers la qualité désirée. Il y a tout d’abord le plan du piano qui représente sa forme, la forme de la table d’harmonie et le galbe de la table d’harmonie. Il y a ensuite le choix des matériaux. Il faut trouver le meilleur feutre pour les marteaux, le meilleur bois possible qui aura peu d’amortissement, ainsi que les meilleurs cuirs. Enfin, la qualité de la fabrication doit être précise, jusque dans l’harmonisation. C’est là que la technique et l’art se rejoignent.
Vous êtes également pianiste. En quoi le fait d’avoir l’oreille absolue vous aide-t-il dans la pratique de l’instrument ?
L’oreille absolue donne une mémoire des textes et une rapidité de mémorisation supérieures à la normale. Même si on n’a pas joué un texte depuis longtemps, on l’a en mémoire et l’on peut presque en faire une dictée musicale instantanée. C’est un confort mais pas une nécessité. Beaucoup de grands pianistes ne l’ont pas.
Dans quel cas peut-elle devenir un handicap ?
Lorsque l’on fait de la transposition ou lorsque l’on joue sur un piano qui n’est pas accordé au diapason, on peut être gêné par l’oreille absolue. Il y a aussi des personnes qui ont l’oreille absolue pour leur instrument, mais si, par exemple, elles entendent un klaxon dans la rue, elles ne sauront pas reconnaître la note. Certaines oreilles sont absolues pour des instruments précis.
Parmi vos élèves, comment détectez-vous l’oreille absolue ?
Il y a une sorte de mémoire des fréquences de base qui s’installe rapidement. J’ai plutôt remarqué, parmi la plupart de mes élèves, qu’ils ont l’oreille absolue tout de suite. Ils enregistrent intégralement les notes qu’on peut leur jouer une semaine avant. D’autres, en revanche, ne l’auront jamais. On le sait rapidement.
En vieillissant, reste-t-elle intacte ?
Je connais une personne qui, à 95 ans, a toujours l’oreille absolue. Depuis un an, elle commence malheureusement à avoir des décalages dans les aigus. Fauré d’ailleurs a eu cette maladie. C’était terrible, car il entendait alors les aigus décalés pratiquement d’une tierce, d’après ce que l’on dit. C’est apparemment courant chez les personnes âgées. Il faut savoir que, à la naissance, on entend en principe de 16 000 Hz à 21 000 Hz. Théoriquement, on perd 2 000 Hz tous les dix ans, à partir des aigus.
Et les pianistes sourds comme Beethoven, il en existe ?
Pas vraiment. Ça me paraît compliqué ! Beethoven, avec sa surdité grandissante à la fin de sa vie, continuait surtout à composer. L’oreille absolue est formidable pour ça. On prend une partition, on la regarde, et on entend ce qu’il y a écrit. On peut donc composer tout en étant sourd. Mais en tant que pianiste, il faut absolument entendre ce que l’on fait ! Beethoven, vers 1807, n’entendait presque plus. Il tapait très fort sur son piano pour entendre ce qu’il jouait. L’auditoire était complètement atterré. Il avait demandé à ce qu’on ajoute des cordes, en en mettant quatre par note, et il utilisait des cornets acoustiques de toutes sortes pour les mettre entre l’oreille et le piano. Malheureusement, rien n’y fit. Et les causes de sa surdité demeurent inconnues.
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