C'EST EN FAIT à William Thackeray que l'on attribue ce mot curieux. Son « Livre des snobs » est traduit en français en 1857, mais l'apparition n'est pas la racine et diverses hypothèses sont plausibles. Aucune définition du snobisme n'est totalement satisfaisante, mais l'auteur propose tout de même un fil conducteur, le snobisme comme attitude «qui consiste à vouloir ressembler par son nom ou son apparence, ses goûts, ses opinions ou ses comportements aux membres d'un groupe que l'on juge supérieur».
Ceci a deux conséquences. Le snob est avant tout quelqu'un qui singe, parfois maladroitement, ce qu'il pense être une élite ; il est donc souvent ridicule à son insu. Molière a incontestablement fixé à jamais les traits de ce snobisme mondain à travers le personnage de Monsieur Jourdain. Tartuffe n'est qu'un arriviste. Il en résulte aussi que le mépris est consubstantiel au snobisme. Ceux qui n'appartiennent pas au clan sont jugés communs, arriérés, inférieurs. L'obsession est donc là, il faut à tout prix « en être ».
Mais pour« en être », il faut d'abord « en avoir ». Avoir quoi ? Non, pas seulement de l'argent (quelle vulgarité !), mais des noms ronflants, des titres, des particules. Le snob idéal c'est bien sûr le bourgeois de l'Ancien Régime, puis du Directoire ou du Second Empire, friand des atours de la noblesse.
Particule rime avec ridicule et Saint-Simon a en son temps étudié les usurpations de noms et de titres de noblesse. On y voit qu'au départ les vrais nobles n'ont pas de particules et que cette dernière est souvent glanée à bas prix par des classes « inférieures ». On jouera sur le lieu-dit ou le hameau d'où l'on vient pour faire entériner une simple origine roturière. Un chapitre savoureux révèle les astuces d'un trafic de particules, de titres et même d'armes et blasons. Comble du snobisme pour Saint- Simon, certains ducs intriguent pour être princes.
Anglomanie.
Pour « en être », il faut également pouvoir pénétrer certains « cercles », ce qui suppose beaucoup de connaissances en géométrie mondaine. Le 11 novembre 1834 est créé le Jockey Club, LE club par excellence, porté sur les fonts baptismaux par deux fils de Louis-Philippe, une pincée de grands princes, et une poignée de grands bourgeois. Sa sélection est hyperverrouillée, élimine d'emblée l'affairiste douteux, le margoulin nouveau riche au nom bizarre et relie le snobisme à deux composantes fondamentales : le cheval et l'anglomanie. En fait, il n'était pas indispensable de monter à cheval pour être «jockeyable», mais un encouragement de la race chevaline était le bienvenu, vous rendait «fashionable». Cette anglomanie que l'on retrouvera dans d'autres secteurs du snobisme, l'accoutrement « dandy » bien sûr, mérite qu'on s'attarde sur elle en tant qu'elle signifie quelque chose.
Voulant intégrer les « classes supérieures », le snob doit à la fois les singer et se distinguer de celles qui sont juste en dessous, non sans, nous le disions plus haut, un appui permettant mépris et condescendance. Il se fera volontiers cosmopolite, «xénolâtre», aimant systématiquement tout ce qui vient de l'étranger.
Il y eut dans d'autres pays une fascination pour tout ce qui était français, et on note encore aujourd'hui un total ravissement pour le raffinement italien, mais l'engouement anglomaniaque balaie tout. L'auteur, qui n'a pas de mal à l'illustrer, montre aussi la réaction. En 1757, l'écrivain Fougeret de Monbron écrit « Préservatif contre l'anglomanie », preuve que le mot est ancien, un livre salué par Voltaire. Mais rien n'y fait, à partir de la Restauration, les clubs, les whiskys, les jockeys, déferlent sur la France. De plus, au tournant du siècle précédent, le snob va subir une terrible injonction, pour l'être totalement : il faut faire du sport.
C'est dans un texte de 1828 qu'un chroniqueur du « Journal des haras » écrit que le mot « sport »** n'a pas d'équivalent en français. De fait, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, des activités telles que la chasse, l'équitation, l'escrime, sont pratiquées dans un but utilitaire. Le sport tel qu'il est aujourd'hui, activité de joie physique libre et désintéressée, n'existe... qu'en Angleterre. Et nous voilà repartis pour un nouveau tour d'anglomanie qui en exaspère tant.
Impressionner les autres.
Toujours est-il que dans ce cas comme pour d'autres secteurs, il s'agit moins d'amour du sport que de faire chic, et de se conformer aux codes de la bonne société.
Les pratiques oscillent en fonction du fait que les happy few sont sommés d'exercer une activité inconnue des «unhappy many»... La brutale démocratisation du cyclisme, plus récemment du tennis et du ski, crée une «désnobisation» analysée avec un humour féroce par Frédéric Rouvillois. Ça devient vulgaire, le snob va voir ailleurs, ou se convertit au churchillien «No sport».
Car il y un snobisme du refus inscrit en creux dans le social : ne pas avoir la télévision ou une automobile, rester chez soi pour les vacances.
«L'essence du snobisme c'est de vouloir impressionner les autres», disait Virginia Wolf. De ce point de vue, le « dandy », mot apparu en 1813 sous la plume de Lord Byron, impose son éclat, allant jusqu'au ridicule et au mauvais goût. Même si les deux catégories ne se superposent pas, il y a chez le snob le goût d'épater par son caractère unique, extravagant. À la fois singer servilement et proclamer son sublime particularisme.
Plus profondément, l'auteur (qui, bien sûr, se reconnaît un peu snob) décèle sous le phénomène la quête d'un rêve. Autant pour lui que pour la société, le snob met en scène sa vie, vit ce rêve éveillé, il « en est » enfin !
Frédéric Rouvillois, « Histoire du snobisme », Flammarion, 364 p., 25 euros.
* Flammarion, 2006.
** En Angleterre, le mot semble associé aux courses de chevaux, « Sport of Kings » et « King of Sports ». Le mythique journal hippique anglais se nommait « Sporting Life ».
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